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ASSISES. La relance des ZEP de 97-98 : genèse et fonctionnement d’un dispositif national, avec Ph. Bongrand, chercheur en science politique (Rencontre OZP)

avril 2004

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

(Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr)

n° 47 - avril 2004

Philippe Bongrand, du CURAPP (CNRS/Université de Picardie), qui, dans le cadre de la préparation d’une thèse, accompagne très régulièrement les travaux de l’OZP depuis une année, a présenté récemment son mémoire de DEA en science politique sur la relance des ZEP de 1997-1998. Ce premier travail nous donne l’occasion de revenir sur les mécanismes concrets qui ont progressivement mis en place cette relance.

Celle-ci est une étape importante dans l’histoire de l’éducation prioritaire puisqu’elle est à l’origine de la création des REP et des contrats de réussite. Elle a donné l’occasion de présenter un état des lieux lors des forums académiques et des Assises nationales de Rouen qui se sont tenus au printemps 1998.

Ce retour sur la relance du dispositif s’effectue d’un point de vue relativement inhabituel pour l’OZP : le regard porté sur l’éducation prioritaire n’est pas ici celui d’un chercheur en sciences de l’éducation ou d’un acteur de terrain, mais celui d’un chercheur en science politique spécialisé en analyse des politiques publiques.

Pourquoi relancer l’éducation prioritaire en 1997 ?
Les ZEP étant une politique initiée par la gauche, l’arrivée d’un gouvernement avec Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, et Claude Allègre, ministre de l’Education nationale, suffisait-elle à la réinscrire à l’agenda politique ? Auparavant, ni Jack Lang ni Jean-Pierre Chevènement, qui appartenaient aussi à un gouvernement de gauche, n’avaient relancé l’éducation prioritaire. Pourquoi ce gouvernement s’est-il cette fois intéressé à ce dossier ?

Philippe Bongrand fait l’hypothèse que le choix de traiter ce dossier est le résultat de la conjonction de trois éléments :
 le désintérêt de Claude Allègre, plus intéressé par l’enseignement supérieur, qui a rendu cette politique accessible à la ministre déléguée – à la différence d’autres dossiers où leur concurrence pouvait se manifester ;
 la remise d’un rapport, Les déterminants de la réussite scolaire en ZEP, rédigé par deux inspecteurs généraux, Catherine Moisan et Jacky Simon. Commencé sous le ministère précédent, ce travail coïncide avec l’arrivée du cabinet de la ministre. En plus des propositions opérationnelles pour relancer cette politique, il lui donnait une tonalité positive en mettant l’accent sur la réussite en ZEP, rencontrant ainsi les intérêts de la ministre ;
 la configuration du cabinet de la ministre, réunissant des proches des auteurs du rapport : le directeur de cabinet, qui en a eu un exemplaire dès la veille de sa première journée de travail, et deux conseillers (un inspecteur d’académie qui s’était investi sur les ZEP dans son académie et un ancien membre du cabinet de Jack Lang, auquel appartenait Catherine Moisan). La configuration
était donc parfaitement favorable à l’exploitation du rapport présenté officiellement en septembre 1997. Ségolène Royal a voulu intégrer à ce rapport l’idée des Assises nationales.

Comment s’est déroulée cette relance ?

Le cadre général

Catherine Moisan et Jacky Simon ont proposé un dispositif à double entrée : le travail sur la carte devait être séparé de la démarche pédagogique.

- Le travail de révision de la carte devait être « verrouillé » : la négociation pour le classement ou la
sortie de ZEP ne se ferait qu’au niveau local. L’administration centrale donnerait l’enveloppe aux recteurs et les soutiendrait : si un établissement, ou un élu, venait à manifester rue de Grenelle, il ne serait pas entendu.

- Le travail sur les méthodes, les outils, la pédagogie, serait réservé aux animations des Assises.

Le directeur de cabinet et la ministre ont nommé Catherine Moisan en septembre 1997 pour mettre en place la relance : elle devait s’occuper de la définition de la carte avec les recteurs et de l’aspect pédagogique avec les acteurs de terrain. Pour le travail pédagogique, elle s’est entourée de chercheurs et a créé un comité de pilotage de la relance des ZEP. Pendant toute l’année, les acteurs de terrain ont été consultés.

Ségolène Royal était d’accord avec cet aspect du travail, mais les deux logiques apparurent vite opposées. En effet, pour la ministre, il s’agissait d’une logique ascendante : elle attendait des chercheurs qu’ils fassent remonter les informations du terrain. Pour Catherine Moisan, il s’agissait d’une logique descendante : le rapport était public, les déterminants de la réussite scolaire en ZEP avaient été étudiés ; il restait à informer le terrain et à faire réfléchir les acteurs sur ce qui pouvait être efficace.

Les désaccords vont apparaître progressivement.

Le travail avec le comité de pilotage

Le comité avait été chargé d’organiser les consultations dans les académies. Pour Catherine Moisan, il s’agissait de veiller à ce que l’appropriation se fasse de façon scientifique et de réfléchir aux informations qui allaient redescendre. Pour Ségolène Royal, il s’agissait de faire remonter à l’administration centrale une synthèse sur l’état des ZEP et leurs attentes.

La logique du comité était différente, il ne s’agissait pas de faire descendre ni remonter des informations mais d’établir un diagnostic pour ensuite proposer une politique - même si certains ne croyaient pas au pilotage, estimant qu’un chercheur peut proposer mais, par principe ou en pratique, ne peut pas piloter.

Ces logiques différentes expliquent les difficultés :

 des propositions parfois provocatrices, comme celle de déplacer symboliquement le budget des
classes préparatoires parisiennes vers l’éducation prioritaire ;

 les nombreux malentendus : Dominique Glasman avait exposé comment se posait le rapport aux familles dans l’éducation prioritaire : il avait souligné que les parents se sentaient concernés par l’éducation et qu’il s’agissait de ne pas stigmatiser les familles en rejetant l’échec sur elles. Ségolène Royal, proche de la logique de terrain, s’était approprié le discours enseignant et ne pouvait entendre un discours venant d’ailleurs.

 le désaccord entre le comité de pilotage et l’entourage de la ministre à propos des notes de la DEP. L’objectif de Ségolène Royal était de remobiliser les acteurs de terrain en insistant sur tous les aspects positifs. C’est ainsi qu’il a fallu de longues négociations pour aboutir à la rédaction du commentaire des résultats des représentations enseignantes sur la politique des ZEP, le ministère imposant finalement un texte les jugeant favorables alors que les résultats chiffrés étaient plus nuancés. Dans le même ordre d’idées, la représentation cartographique de la géographie des ZEP a été retirée, car elle illustrait trop clairement des dysfonctionnements dans sa délimitation.

 l’affaire des enfants qui étaient venus témoigner devant le public des Assises de tout ce que les ZEP leur avaient apporté. Ségolène Royal estimait - dans une logique de reconnaissance des acteurs de terrain - que ces enfants représentaient symboliquement la réussite des ZEP et qu’il fallait mettre en valeur leur témoignage. Le comité de pilotage ne partageait pas ce point de vue mais n’a pas pu éviter la représentation : les enfants ont finalement présenté un témoignage qui semblait n’avoir pas été écrit par eux.
Les relations entre les chercheurs et la ministre se sont détériorées au point d’investir le journal Le Monde, où le procédé de témoignage des enfants était qualifié de stalinien. Cette critique était insupportable pour Ségolène Royal, profondément impliquée dans la réussite de ces Assises - d’ailleurs ouvertes par le premier ministre. Sa réponse dans le même journal a été violente.

L’action sur la carte :

Parallèlement se déroulait le travail sur la carte. Ségolène Royal a toujours donné de manière spontanée la légitimité aux élus locaux. Elle a toujours donné le primat à la parole de terrain dans sa manière de faire de la politique. Les heurts avec les inspecteurs généraux étaient inévitables : ils estimaient devoir adopter une vision semi-experte, avec des indicateurs, des résultats d’enquêtes scientifiques. Selon eux, la révision de la carte ne pouvait dépendre des représentations des acteurs de terrain.

Débat

Les réactions et débats qui ont suivi l’exposé esquissent un bilan, mitigé, de cette relance.

Un participant souligne l’effet de remobilisation des acteurs de terrain : le travail préparatoire de communication n’a pas été inutile. L’image des ZEP était très brouillée : avant cette relance, un inspecteur de l’Education nationale sur quatre ignorait les ZEP, un principal sur six remarquait que les organes de la ZEP ne se réunissaient pas. Faire ce bilan était la première phase d’une mobilisation.

Philippe Bongrand apporte des précisions à propos de la distinction ZEP-REP : A l’origine, l’idée de réseau d’éducation prioritaire avait été introduite par Catherine Moisan et Jacky Simon parce qu’il était difficile de trouver une frontière entre ZEP et non ZEP. Le REP donnait la possibilité de faire profiter les établissements voisins des actions et des structures de la ZEP.
Les négociations avec le terrain au sujet de la carte ont été longues, même si le REP permettait de proposer une sorte de transition pour faire sortir de ZEP de manière douce. Le contrat de réussite avait vocation à mobiliser l’administration intermédiaire, jusqu’au recteur, et à faire en sorte que l’inspection académique s’engage. Par ailleurs, le terme « réussite » entrait dans la symbolique positive à laquelle Ségolène Royal était particulièrement attachée.

Ségolène Royal a toujours porté une attention extrême à la communication et à la voix du terrain. notamment à celle des enfants. On a l’impression qu’analyser l’affaire du témoignage des élèves par exemple relève autant de la psychologie que de la science politique.

Un autre participant dresse un bilan plus négatif de la relance : il n’y a pas eu de bilan qualitatif des effets de cette relance mais on a constaté qu’elle avait entraîné une extension inconsidérée du nombre de ZEP.
Peut-on dire qu’il s’agissait d’une manière de faire qui permet d’occuper le terrain sans que rien ne change ? Ne peut-on affirmer, sans, il est vrai, que des analyses de pratiques de terrain aient été véritablement menées, que les conséquences de cette relance ont été quasiment nulles ? L’affectation des chefs d’établissement, par exemple, se fait toujours en fonction du même barème ; qu’en est-il du choix de personnalités charismatiques ?

Il s’agit de l’une des premières affaires qui se traite sans les syndicats, directement avec l’opinion publique, fait remarquer un participant. L’objectif était-il d’occuper le terrain sans mettre en place de réelles mesures efficaces ? D’autant que le ministère Allègre avait refondu l’administration centrale et inauguré un type de fonctionnement avec des comités composés d’universitaires et d’experts ; mais il n’y avait pas de structure administrative pour soutenir l’enjeu des textes publiés : une fois le comité dissout, personne ne peut assurer la continuité.

Pour Philippe Bongrand, il faudrait poser l’hypothèse suivant laquelle la relance peut être interprétée comme une manière de gouverner une politique déconcentrée. Le niveau national donnerait les outils, les cadres (les contrats de réussite avec la procédure, par exemple) ; le véritable pouvoir reviendrait à l’encadrement local.

Des questions sont soulevées sur le niveau de gestion approprié : une politique de solidarité qui nécessite du courage ne devrait-elle pas être mise en oeuvre à un niveau très élevé ? Y a-t-il moins d’inégalités quand la gestion est départementale ou régionale ? Y a-t-il plus de courage politique au niveau local ou au niveau national ?
Il est facile, estime un participant, de tenir un discours qui rejette toute la responsabilité sur les acteurs locaux alors que la véritable question est de savoir ce qui doit être traité au niveau national et ce qui doit être laissé aux acteurs locaux.
Mais il s’agit là presque d’un autre débat qui pourrait être le sujet d’une rencontre à venir, conclut un autre.

Rendez-vous est pris avec Philippe Bongrand pour la suite de ses travaux qui s’orientent vers une étude de la politique de l’éducation prioritaire, d’une part au niveau de l’administration centrale à partir des archives, et d’autre part au niveau des acteurs de terrain, à partir de l’analyse de ce qui se passe dans les ZEP et dans les CAREP.

Compte rendu rédigé par Lucienne Siuda

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