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Le programme Eclair a-t-il favorisé l’innovation ? Qu’est-ce qu’un établissement innovant ? Réflexions d’une principale de collège Eclair à Lille

11 octobre 2013

L’invitée : Cécile Trémolières

Cécile Trémolières a dirigé jusqu’en 2013 le collège [ECLAIR] Verlaine à Lille. Elle évoque, dans cet entretien, le passage de la notion d’innovation dans un établissement scolaire à celle d’établissement innovant...

Comment expliques-tu que la thématique de l’innovation soit maintenant au centre du discours institutionnel ?
La conversion de la hiérarchie de l’institution scolaire à l’innovation est une réponse aux évolutions des systèmes éducatifs. Elle s’inscrit dans une perspective d’amélioration de leurs performances. Encadré par la LOLF, le pilotage par les résultats s’impose après les années 90 où le constat a été fait que l’accroissement des moyens investis dans l’éducation n’engendrait pas de progression symétrique des résultats. Dans un registre plus économique, l’invention technologique génértrice de progrès technique est le seul véritable moteur de la croissance économique. Dans l’éducation nationale, en revanche, la nouveauté n’est pas une fin en soi. Pour améliorer l’efficacité du système sans dégrader son efficience, on mise sur l’autonomie des établissements à qui l’on demande moins d’être des pionniers que d’appliquer chez eux des solutions qui ont fait leurs preuves ailleurs. Plus que l’inédit, le critère d’une innovation réussie est sa capacité à répondre à un problème se manifestant dans un contexte local, de même que sa capacité à être transférée dans un contexte similaire. L’innovation est présentée comme accroissant la réactivité de l’institution et sa capacité à s’adapter à l’environnement qui sera celui des élèves. Elle n’est jamais une fin en soi, mais doit être conçue pour améliorer l’existant au service des élèves.

Quelle est ta définition de l’innovation en matière scolaire ?
L’innovation est une expérience collective. Elle peut être définie comme « une action adaptative novatrice des acteurs du système scolaire qui a pour objectif ou effet de répondre à une exigence interne ou externe du changement en modifiant durablement les manières de faire et de voir des mêmes acteurs ». Elle entraîne un changement dans l’organisation et le fonctionnement de l’établissement, qui se traduit en retour par un changement de l’établissement comme groupement humain organisé. L’innovation scolaire est un changement choisi qui ne recouvre pas entièrement le changement dans les organisations. Par exemple, elle ne consiste pas dans la mise en conformité à une norme imposée à l’établissement scolaire qui impliquerait une adaptation passant par les rapports hiérarchiques et le fonctionnement bureaucratique classique. Elle implique une participation des acteurs à la décision. Elle a aussi une dimension stratégique. Elle s’inscrit dans le projet d’établissement qui donne sens et cohérence aux projets mis en œuvre dans l’établissement. Elle vise une amélioration de l’action éducatrice de l’établissement en contribuant à l’atteinte des objectifs pluriannuels fixés par le contrat d’objectifs.

Mais concrètement, dans l’établissement, est-ce si simple ?
Il ne suffit pas que l’institution encourage l’innovation pour qu’elle voie le jour. Dans un établissement scolaire disposant de marges d’autonomie croissantes, à qui revient la décision d’innover ? Pour que l’innovation produise une amélioration de l’acte éducatif et qu’elle se diffuse, quels processus d’information et de décision faut-il mettre en place ? Ces questions intéressent autant l’autorité académique souhaitant promouvoir l’innovation que le chef d’établissement qui veut la susciter et l’accompagner. Quelles sont les conséquences des caractéristiques énumérées sur la décision d’innover ?

Les établissements scolaires français du second degré ont une spécificité. Deux sources de décision en matière d’innovation pédagogique y coexistent : la liberté pédagogique de l’enseignant et le rôle de pilote pédagogique dévolu au chef d’établissement. L’innovation résultant de la décision de l’enseignant au nom de sa liberté pédagogique est vécue sur le mode de l’engagement personnel, voire d’un engagement militant considéré comme « un antidote au caractère bureaucratique de l’institution ». Les décisions du chef d’établissement, pilote de l’équipe pédagogique et de l’équipe de direction, dès lors qu’elles sont ratifiées par le conseil d’administration, sont une deuxième source d’innovation. Elles sont prises au nom de l’ensemble de la communauté éducative et se réfèrent au bien commun, intégrant une dimension d’établissement.

Plus un enseignant participe à des projets innovants, plus il devient innovant

Quelles conditions doivent être réunies pour que l’innovation acquière une dimension d’établissement ?
Pour qu’une innovation transforme durablement le fonctionnement de l’établissement scolaire et qu’elle produise une amélioration de l’acte éducatif, elle ne doit pas rester confinée à l’espace clos d’une classe. à l’opposé, l’innovation impulsée par le chef d’établissement doit « descendre » jusque dans la classe pour atteindre le cœur de la pédagogie.

L’existence d’une culture de l’innovation développée au fil des ans facilite l’émergence de projets de plus grande envergure. Expérimenter une première fois rend plus facile de se lancer dans une nouvelle expérimentation. Plus un enseignant participe à des projets innovants, plus il devient innovant. L’habitude du travail collectif rend la reconnaissance mutuelle plus aisée et libère de la peur du jugement. Pour cela, il est important que les différents porteurs de projet échangent et qu’il y ait une capitalisation d’expérience entre enseignants. Plusieurs innovations pédagogiques isolées lorsqu’elles poursuivent des finalités identiques font advenir des innovations possédant une dimension d’établissement.

Le programme ÉCLAIR a-t-il favorisé l’innovation pédagogique ?
L’apparition d’enseignants chargés de missions définies permet d’atténuer l’opposition entre la culture professionnelle des enseignants et celle de l’équipe de direction. Porteurs en tant qu’enseignants d’une expertise pédagogique reconnue par leurs collègues, ils exercent de manière volontaire une responsabilité reconnue dans l’établissement. à ce titre, ils sont également porteurs de la dimension d’établissement reposant sur le contrat d’objectif et le projet d’établissement. Responsables, ils jouent un rôle décisif dans l’impulsion et la diffusion de l’innovation.

La dynamisation de la réflexion pédagogique est favorisée par l’existence d’instances où le travail en commun des enseignants et de la direction est possible sur le mode de la collaboration, chacun intervenant dans son domaine d’expertise : la didactique et la pédagogie pour les enseignants, l’ingénierie pédagogique (constituer les emplois du temps en donnant la priorité à certaines contraintes pédagogiques, etc.) et les aspects managériaux (quelle personne pour quelle classe, quelle équipe, quelle mission) pour le chef d’établissement. C’est le cas du conseil pédagogique, à condition que sa composition soit la plus ouverte possible, tout enseignant désirant y participer, même ponctuellement, devant pouvoir le faire. Les comptes rendus des conseils pédagogiques ont un rôle important de transparence (ils doivent relater les débats et les divergences exprimées) et de mémoire de la réflexion pédagogique dans l’établissement.

Qu’est, finalement, un établissement innovant ?
Lorsque l’innovation acquiert une dimension d’établissement, elle concerne l’élève dans et hors la classe. Elle ne se contente plus de toucher une classe, mais concerne au moins un niveau de classe. L’établissement scolaire innovant prend en compte la cohérence du parcours de l’élève en anticipant ce qui va se passer pour lui l’année qui suivra l’expérimentation. Devenir un établissement innovant place l’établissement scolaire dans la catégorie des « organisations apprenantes ». En modifiant durablement l’organisation et le fonctionnement de l’EPLE, l’innovation transforme l’établissement lui-même. Créer les conditions d’une réflexion et d’une décision collective afin de réussir l’innovation suppose d’identifier les objectifs et les moyens de les atteindre et de les évaluer. Cela ne signifie pas nécessairement que l’on puisse anticiper toutes les conséquences de l’innovation et que l’on sache exactement où l’on va arriver. Tout ce qui a été projeté n’est pas réalisé. L’innovation ne se décrète pas. Elle ne s’impose pas de l’extérieur, mais provient d’un processus de décision interne. Pour qu’advienne l’établissement innovant, le conseil pédagogique doit être un des lieux privilégiés, mais non unique, de la confrontation des expériences, de la mutualisation et de la réflexion pédagogique. Enfin, le projet d’établissement et le contrat d’objectif doivent être des instruments donnant du sens à l’action collective. Le chef d’établissement doit en être davantage le gardien que l’auteur.

(Interview parue dans Profession Éducation n° 221, septembre 2013. Propos recueillis par Claudie Paillette)

[Extrait de cfdt.fr du 06.09.13 : Invitée Cécile trémoilères

 

Cécile Trémolières, "De l’innovation dans l’établissement scolaire à l’établissement innovant"

Extrait de cfedt.fr du 06.09.13 : Innovation et décision

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