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Le rapport de l’IGEN : Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire pour la langue de 2008.
Analyses du Monde, du Café pédagogique et d’Emmanuel Davidenkoff

26 novembre 2013

Additif du 26.11.13 :
Le point de vue de , professeur de français à l’IUFM de Nancy

Le rapport de l’Inspection Générale sur la mise en œuvre des programmes analyse la façon dont les enseignants de primaire organisent le travail d’étude de la langue dans leur classe. Il affirme notamment que « la majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines ». Ces reproches sont précisément ceux que beaucoup d’’enseignants formulent à l’encontre de ces programmes de 2008 ! Les enseignants regrettent en effet : l’accumulation de notions à travailler, sans qu’elles soient mises en lien et la non présentation de la langue comme un système ; la non hiérarchisation des notions qu’il est demandé de faire travailler aux élèves ; l’absence de progression organisant les notions à étudier.

Extrait de cafepedagogique.net du26.11.13 : Programmes de 2008 : Jean-Paul Vaubourg : L’Inspection est-elle myope ?

 

Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008
Rapport n° 2013-066, juin 2013

Philippe CLAUS Inspecteur général de l’éducation nationale, doyen du groupe enseignement primaire,
Viviane BOUYSSE, Marie MEGARD, inspectrices générales de l’éducation nationale
Daniel AUVERLOT, Jean-Louis DURPAIRE, Pascal JARDIN, Christian LOARER et Yannick TENNE, inspecteurs généraux de l’éducation nationale

Extraits significatifs du bilan

SOMMAIRE

Introduction

[...] Il convient tout d’abord de rappeler le contexte de la mise en oeuvre de ces textes. En 2007, de nombreux indicateurs font état de la dégradation persistante des performances scolaires des élèves en France : fort taux d’élèves ne possédant pas les acquis attendus à l’entrée en sixième, « reproduction des inégalités sociales » qui se lit dans le redoublement massif des enfants d’employés, d’ouvriers et des d’enfants d’inactifs, et recul des résultats de la France dans l’enquête PIRLS3 de 2006, qui évalue les compétences de lecteurs des enfants de 10 ans
et situe la France en fin de classement au sein de l’Union européenne. [...]

1. L’enseignement du français

Rappel du contexte
p. 11 du PDF
En 2008, les changements introduits dans les programmes pour l’école élémentaire en français étaient censés remédier aux faiblesses mises en évidence par les évaluations nationales (notamment par les comparaisons de résultats aux mêmes épreuves dans le temps) ou internationales (PIRLS) :
• des fragilités voire des insuffisances en lecture, notamment pour les compétences de haut niveau (inférences complexes, interprétation, relations entre forme et sens),
• un manque d’aisance avec la production d’écrit,
• des connaissances sur la langue insuffisantes ou mal assimilées, qui se marquaient en particulier par une dégradation des performances en orthographe grammaticale,
• des écarts d’acquis entre filles et garçons,
des écarts se creusant entre élèves forts et élèves faibles, ces derniers massivement issus des milieux défavorisés. [...]

En 2010, un plan de prévention de l’illettrisme est venu relancer et renforcer la mobilisation pour un enseignement efficace du français dès l’école maternelle. L’accent a alors été mis sur les « automatismes » en lecture, sur l’encouragement au plaisir de lire et sur le rôle de la mémoire, « de la répétition et de la récitation », notamment des conjugaisons pour ce qui concerne notre sujet. [...]

1.1. L’organisation de l’enseignement du français
1.1.1. Le temps dévolu à la discipline
p. 13 du PDF
[...] Les analyses des emplois du temps des classes visitées confirment pour l’essentiel ces observations. En cycle 2, le minimum affiché est de 9 heures par semaine alors que le maximum est de 11 heures 45 (dans un CP en école ECLAIR) ; au cycle 3, le minimum affiché est de 7 heures et le maximum de 9 heures.[...]
1.1.2. Le temps plus long des progressions : une grande variété de traitements des divers domaines
1.1.3. Les outils des élèves : peu d’écrits personnels, peu de supports authentiques (papiers ou numériques)
1.1.4. La dimension transversale de l’enseignement insuffisamment exploitée

1.2. Au cycle des apprentissages fondamentaux, la lecture, priorité incontestée
1.2.1. La lecture : un travail rigoureux sur le code au CP, des faiblesses récurrentes par ailleurs
p. 20 du PDF
[...] Alors que les différences se sont accrues au CE1, conséquences de ce qui vient d’être dit, la différenciation n’est guère prise en charge à ce niveau, sauf dans certaines écoles de l’éducation prioritaire quand des ressources en personnels surnuméraires existent. Les maîtres de ces classes en parlent fort peu, comme si c’était une fatalité à laquelle ils se sont habitués, car c’est moins nouveau pour eux que pour leurs collègues du CP.
1.2.2. L’écriture : un domaine multiforme, très diversement considéré
1.2.3. L’oral : un continent délaissé, mais une activité plébiscitée : la récitation
p. 22 du PDF
[...] Dans une seule des écoles visitées, le travail de l’oral donne lieu sur une partie de l’année de CP à des ateliers grâce à la participation d’un enseignant spécialisé E et d’un maître surnuméraire dans le cadre de la politique locale d’éducation prioritaire.
1.2.4. L’étude de la langue : des interrogations et des difficultés, le CE1 vu comme une « classe malmenée »
p. 23 du PDF
[...] Ce domaine fait s’inquiéter les enseignants, qui affichent deux attitudes : la condamnation de programmes trop lourds et le constat d’une impuissance. « On ne sait pas faire avec les élèves qu’on a », notamment dans les écoles relevant de l’éducation prioritaire.
▪ Vocabulaire : un grand embarras face au contenu du programme
p. 23 du PDF
[...] La question de l’accroissement renvoie à celle des champs lexicaux choisis : le programme ne donne pas d’indications précises sur un vocabulaire « prioritaire » et, comme le domaine est immense, les maîtres sont désemparés pour décider. Durant l’enquête, un seul exemple a pu être donné de choix explicites et assumés dans une classe de CE1 d’une école ECLAIR ; par période, l’enseignante traite cette année successivement « des pirates, des contes, des dinosaures, de l’Afrique, des papillons ». La logique sous-jacente est celle des lectures et des sujets d’étude choisis dans la découverte du monde, ce qui peut avoir une cohérence dans la vie de la classe. Mais quand et comment ce vocabulaire censé être acquis pourra-t-il être
réutilisé par les élèves ? À quoi servira-t-il réellement pour leur expression ? [...]
▪ Grammaire : des constats quasi unanimes : métalangage jugé prématuré, conceptualisation impossible
p. 24 du PDF
[...] Les enseignants disent passer du temps au CE1 sur un enseignement systématique de la grammaire respectueux du programme, sauf en matière de conjugaison où tous les temps ne sont pas traités pour tous les verbes qui devraient être appris à ce niveau. À titre d’exemple, à la mi-avril, dans des écoles de l’éducation prioritaire, l’enquête montre que l’étude de la conjugaison n’a pas encore été amorcée dans plusieurs classes et que dans les autres, seul le présent a été travaillé sur les verbes du premier groupe et sur être et avoir.

1.3. Au cycle des approfondissements, l’étude de la langue, première préoccupation et foyer essentiel des insatisfactions professionnelles
1.3.1. L’étude de la langue : le vocabulaire en parent pauvre et, de manière générale, une didactique en panne 18
1.3.2. La lecture et la littérature : des situations d’une grande diversité, une insuffisante différenciation .
p. 28 du PDF
[...] L’observation conduit à relativiser les discours sur la compréhension : elle n’est guère enseignée, même si les élèves sont soumis fréquemment, parfois quotidiennement, à des questionnaires sur des textes. Des dispositifs peuvent relancer cette préoccupation, notamment les réseaux d’observatoires locaux de la lecture (ROLL) dont les ressources sont utilisées comme autant d’exercices qui se juxtaposent et sont censés construire une pédagogie. [...]
1.3.3. Le domaine de l’écrit : une très forte variété des pratiques
p. 30 du PDF
[...] Dans quelques classes, sont mis en place des « cahiers de vie » individuels, des « cahiers d’écrivains », des « carnets de route », dans lesquels les élèves sont invités à écrire librement ; les écrits sont lus éventuellement devant les pairs, voire publiés (blog ou journal d’école). Les enseignants qui pratiquent ainsi trouvent que « l’écrit se libère », ce qui rend plus aisée la rédaction sur sujet imposé. Il importe de signaler que ces pratiques ont été observées dans des écoles de l’éducation prioritaire ; leur efficacité montre qu’il est possible d’être exigeant et que, dans ces écoles, les ambitions que l’on se donne le plus communément sont trop réduites.
Les élèves ont des choses à exprimer et savent trouver des mises en mots qui révèlent une première culture de lecteurs, même si leur maîtrise de la langue reste faible. [...]
1.3.4. L’oral : quelques pratiques convaincantes mais bien rares, la récitation toujours

1.4. Un enseignement à rééquilibrer, à structurer, à outiller
1.4.1. Un bilan inquiétant et des explications aux difficultés
p. 33 du PDF
[...] Globalement, les équipes pédagogiques qui ne jugent pas les programmes de français trop lourds, voire « infaisables », sont rares ; ce fut le cas, durant l’enquête, dans une seule école (située en secteur rural, accueillant des élèves de milieux sociaux divers, connaissant une stabilité de ses enseignants). Mais même quand ils considèrent que la charge est excessive, tous les maîtres ne sont pas favorables à un trop grand allégement, notamment quand ils enseignent dans les milieux les plus défavorisés. Ils expriment alors leur conviction que la maîtrise du français – que leurs élèves ne peuvent acquérir qu’à l’école – doit être la première des priorités, mieux calibrée sans doute pour chaque étape de la scolarité. Mais selon eux, ce sont d’autres parties du programme qui doivent être allégées pour donner au français le temps nécessaire. [...]
1.4.2. Des besoins réels de modification des programmes, de ressources, de vulgarisation de la recherche .

2. L’enseignement des langues vivantes

2.1. Un enseignement assuré partout, un statut encore fragile
2.1.1. Un enseignement de la langue anglaise principalement pris en charge par les professeurs d’école grâce aux échanges de service
2.1.2. Des horaires réels en-deçà des horaires réglementaires

2.2. La mise en œuvre des programmes, une réalité diverse et contrastée
2.2.1. Des compétences très inégalement traitées, une polyvalence peu mise à profit
2.2.2. Des ressources didactiques nombreuses et peu connues des maîtres
2.2.3. Les manuels et les ressources numériques sont peu utilisés
2.2.4. Une validation du niveau A1 très inégale dans les académies, et recouvrant des réalités très différentes
2.2.5. Au collège une prise en compte encore trop faible des acquis des élèves venus de l’école primaire

2.3. Une absence de cadrage national, des initiatives contre-productives
2.3.1. Un nécessaire accompagnement pour aider les maîtres à s’approprier l’enseignement des langues vivantes
2.3.2. L’enseignement de deux langues vivantes à l’école primaire : une initiative contre-productive

2.4. Conclusion et préconisations : L’enseignement des langues vivantes étrangères à
l’école élémentaire, un décalage entre les objectifs affichés et la réalité
Préconisations

3. L’enseignement des mathématiques

3.1. Les programmes 2008 ont fortement marqué l’enseignement des mathématiques de ces dernières années
3.1.1. Un impératif qui peu à peu s’est imposé à tous : renforcer les automatismes et la mémorisation tout en valorisant la résolution de problèmes
3.1.2. L’accroissement des connaissances à maîtriser en fin d’école a finalement peu fait débat, non pas parce qu’il a été accepté et compris mais parce que les maîtres s’en sont affranchis

3.2. L’organisation des enseignements
3.2.1. Un volume horaire globalement respecté
3.2.2. Des repères annuels appréciés des enseignants, mais dont la lecture et la mise en œuvre sont encore souvent trop linéaires
3.2.3. Outillage : fichiers, manuels, écrits des élèves, numérique, jeux…

3.3. La mise en œuvre des programmes
3.3.1. Une amélioration du travail et des acquisitions en calcul, mais la quantité et la qualité des activités de résolution de problèmes sont encore insuffisantes
3.3.2. Les quatre domaines sont inégalement traités

3.4. Conclusions et recommandations
3.4.1. Des évolutions positives dans la perception du rôle des connaissances et des automatismes pour la résolution de problèmes ainsi que dans certaines démarches pédagogiques
3.4.2. Une réflexion sur les progressions à renforcer, qu’un allègement des programmes sur certains points pourrait aider
3.4.3. Conserver les équilibres nouveaux qui se dessinent entre acquisition d’automatismes et résolution de problèmes, mais aider les enseignants à gérer le temps par une révision de certains points des progressions ou du programme
3.4.4. Poursuivre et intensifier l’effort de formation des inspecteurs et des enseignants en mathématiques

4. L’enseignement des sciences et de la technologie

4.1. L’organisation de l’enseignement
4.1.1. Une inscription dans l’emploi du temps, un temps réel d’enseignement plus contrasté
4.1.2. Les productions écrites des élèves trop pauvres pour structurer les connaissances
4.1.3. La démarche d’investigation se développe sûrement mais lentement
4.1.4. La construction de la maîtrise de la langue peu exploitée

4.2. La mise en œuvre des programmes
4.2.1. Les enseignants face aux programmes
4.2.2. Les constats des inspecteurs de l’éducation nationale
4.2.3. Un écart important entre les intentions des enseignants et les réalisations observables

4.3. Conclusion et perspectives

5. Les usages du numérique à l’école élémentaire

5.1. L’organisation des enseignements : une construction progressive des apprentissages à conforter
5.1.1. Des séances souvent ponctuelles
5.1.2. Des usages transversaux encore trop peu nombreux

5.2. La mise en œuvre du programme : les cinq domaines sont inégalement traités
5.2.1. Deux domaines sont peu investis par les maîtres : l’éducation à la responsabilité dans les usages d’internet et le domaine relatif à la communication et aux échanges
5.2.2. La maîtrise des fonctions de base d’un ordinateur est enseignée de façon satisfaisante

5.3. Conclusion et perspectives
5.3.1. La place du numérique dans les textes règlementaires qui régissent le premier degré doit être confortée, clarifiée et explicitée .
5.3.2. La loi sur la refondation de l’école et la stratégie numérique gouvernementale vont avoir des conséquences importantes pour les usages du numérique à l’école élémentaire

6. L’enseignement de la culture humaniste et de l’instruction civique et morale

6.1. Des objectifs ambitieux
6.1.1. Des finalités communes pour des disciplines en réseau
6.1.2. Des volumes horaires restreints et difficiles à mettre en œuvre

6.2. L’espace et le temps au cycle 2 : un investissement modeste de la part des enseignants
6.2.1. Les séances ont souvent lieu en fin d’après-midi
6.2.2. Les progressions de 2012 ne sont pas mises en œuvre
6.2.3. Les supports d’enseignement restent à améliorer
6.2.4. Des traces écrites peu nombreuses, pas d’évaluations spécifiques
6.2.5. Les difficultés rencontrées par les maîtres nuisent à une véritable mise en œuvre des programmes

6.3. Les disciplines de la culture humaniste au cycle 3
6.3.1. L’organisation des enseignements
6.3.2. Le programme d’histoire
6.3.3. Le programme de géographie
6.3.4. Le programme d’histoire de l’art : un enseignement qui a sa place en interdisciplinarité
6.3.5. L’enseignement de l’instruction civique et morale : une variable d’ajustement des horaires
p. 78 du PDF
[...] Parmi les autres causes rendant compte de cette désaffection, figurent l’image désuète voire négative de la morale et la crainte nouvelle, mais soulignée à plusieurs reprises, de rencontrer des difficultés avec des familles, hostiles ou éloignées de tout enseignement moral, parfois sur des bases religieuses. [...]

6.4. Quelques propositions
6.4.1. La nécessité de programmes précis et clairs
6.4.2. Un besoin de réflexion sur les volumes horaires et sur le parcours de l’élève
6.4.3. L’accompagnement des maîtres est indispensable

7. L’enseignement de l’éducation physique et sportive

7.1. Le volume horaire prévu n’est pas réalisé

7.2. Les enseignants font travailler les élèves en référence aux compétences des
programmes, sans profiter pleinement de la variété des situations

7.3. Le pilotage institutionnel nécessiterait une forte réactivation

8. Bilan et préconisations
p. 82 à 87 du PDF

Le bilan de la mise en œuvre des programmes met en évidence des éléments conjoncturels : des difficultés sont liées à la lourdeur des programmes de 2008 rapportée au temps réel de classe. Mais on ne saurait négliger des éléments de fond, récurrents, qui attirent l’attention sur des points de réflexion nécessaires : l’insuffisante maîtrise des fondements disciplinaires et didactiques ; l’inertie de l’entrée en application des nouveaux textes faute de capacité d’analyse, de formation ou d’accompagnement, de ressources ; voire une attitude attentiste eu égard au rythme des changements.

8.1. Un bilan des enseignements très mitigé, dans lequel n’entre pas seulement le facteur des programmes

Le bilan effectué par l’inspection générale montre une très grande hétérogénéité tant en matière de respect des programmes que de lecture souvent particulière qu’en font les maîtres :
- Hétérogénéité entre les disciplines, qui confirme les tendances antérieures. Pour l’enseignement du français et des mathématiques, les maîtres tentent de respecter au moins formellement les programmes et les horaires qui sont règlementairement attribués à ces disciplines alors que dans les autres domaines ils prennent plus de distance. La place particulière qu’occupent le français et les mathématiques tient à leur statut partagé de « matières fondamentales », à l’attention privilégiée que leur portent les parents mais aussi l’institution par le biais des évaluations nationales. Ces évaluations fournissent en outre des repères qui guident les enseignants.
- Hétérogénéité entre les lieux. D’une école à l’autre, les équipes ou les individus
font des choix différents qui ne s’expliquent pas toujours uniquement par le contexte. Les formations ou l’accompagnement dont ils bénéficient dans la durée – et pas seulement au moment de la parution de nouveaux textes – constituent aussi une explication importante.

La quasi-totalité des équipes pédagogiques rencontrées par la mission d’inspection générale juge ces programmes trop lourds, voire « infaisables ». Plus que la légitimité des contenus à faire acquérir – même si quelques éléments sont mis en cause – c’est le « manque de temps » qui est le plus souvent allégué pour fonder cette appréciation.

La qualité disparate de la mise en œuvre des programmes s’explique par le niveau de maîtrise très hétérogène des outils conceptuels et didactiques par les professeurs des écoles, pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. La mission d’inspection générale relève des améliorations en mathématiques ou en sciences particulièrement. Mais dans tous les autres domaines, la logique d’activités prend le plus souvent le pas sur une logique d’apprentissage.

Le déficit de formation continue autour des programmes, et plus largement en matière de didactique des disciplines, est patent. Quantitativement, les services déconcentrés ont souvent accordé une place de choix à la maîtrise de la langue et depuis peu aux mathématiques, mais des disciplines comme l’histoire, la géographie ou l’instruction civique et morale ont été totalement négligées. Qualitativement, c’est l’ensemble des disciplines qui ne bénéficient pas d’un accompagnement suffisant.

Le suivi assuré par les inspecteurs est loin de couvrir tout le champ des programmes. Les séances d’enseignement réellement observées en inspection portent rarement sur d’autres matières que le français ou les mathématiques. Les rapports d’inspection ne font souvent que des allusions très évasives à l’ensemble des enseignements, entérinant par leur silence le statut très secondaire des autres domaines.

8.2. Des préconisations pour des programmes modifiés
Les inspecteurs généraux constatent des besoins réels de modification des programmes et la nécessité d’une réflexion approfondie sur le facteur-temps dans les apprentissages.

▪ Des exigences auxquelles devrait satisfaire le texte revu des programmes
L’écriture de nouveaux programmes semble devoir répondre à plusieurs exigences que l’exposé ci-après juxtapose mais qui sont liées :
- L’articulation renforcée et clarifiée entre socle commun de connaissances, de
compétences et de culture et programmes. Le socle commun et ses paliers
éventuels à chaque fin de chaque cycle devraient préciser ce que les élèves doivent
acquérir. Les programmes ont pour fonction d’expliciter les moyens de parvenir
aux objectifs visés, c’est-à-dire ce qui doit être enseigné, avec un niveau de détail
adapté.
- Des textes dénués d’ambiguïtés. La volonté de concision qui avait présidé à la
rédaction des programmes de 2008 doit s’accompagner d’une exigence de
précision. La définition des contenus d’enseignement doit être claire, les niveaux
d’exigences dans la maîtrise des connaissances et des compétences explicites. Le
cadre de référence pour les enseignants doit être très lisible et si plusieurs
références complémentaires sont données, elles doivent être au moins coordonnées
et cohérentes.
- Des textes en continuité avec les précédents. Les enseignants ont besoin d’une relative stabilité dans les programmes qu’ils doivent traiter. Il conviendrait de
confirmer les atouts des programmes antérieurs en réaffirmant la priorité aux
apprentissages, à l’acquisition de connaissances et de méthodes sûres, à l’exigence
et la rigueur éducatives. L’obligation de résultat, qui doit être rappelée, ne restreint
pas la liberté pédagogique des enseignants qui trouvera à s’exercer plus aisément
dans un cadre d’exercice clarifié.
- La définition, concomitante à la rédaction des programmes et de manière bien
articulée avec elle, d’un dispositif national d’évaluation du niveau des élèves.
S’ils sont libres de leurs méthodes pédagogiques, les enseignants doivent être aidés
dans l’appréhension précise des connaissances et compétences attendues des
élèves. La production centralisée d’exercices d’évaluation dans tous les domaines
est de nature à expliciter au mieux ces attendus. Dans les deux domaines
fondamentaux du français et des mathématiques, une standardisation des
conditions de passation et un relevé des résultats des classes et/ou des écoles
permettraient aux inspecteurs de mesurer l’efficacité ou les difficultés rencontrées
par les équipes pédagogiques et d’assurer un accompagnement adapté.
- Des liens explicites entre les disciplines et, en particulier, ceux qui permettent
la construction de la maîtrise de la langue. Les enseignants ont besoin que des
indications précises leur soient données sur les interrelations entre les disciplines,
et particulièrement entre le français et les autres disciplines. Pour chaque domaine,
il conviendrait d’expliciter des objets, situations et modalités de travail ainsi que
les compétences visées pour que la langue française fasse l’objet d’un véritable
apprentissage au travers des divers champs disciplinaires, à l’écrit comme à l’oral,
en production comme en réception.
- L’intégration de la dimension numérique dans l’ensemble des champs : lire
numérique, écrire numérique, compter numérique. Une réflexion sur la littératie
numérique à l’école élémentaire est nécessaire. Le B2i-école a permis une
première prise de conscience des enseignants ; il est aujourd’hui urgent d’aller plus
loin en permettant à tous les professeurs des écoles de maîtriser une culture
numérique adaptée à leurs besoins.

▪ Une prise en compte réaliste du temps d’apprentissage
Plusieurs variables doivent intervenir dans la réflexion :
- La progressivité au long du parcours scolaire. En tenant compte du parcours des élèves, on doit parvenir à mieux organiser la progressivité entre les enseignements de l’école élémentaire et ceux du collège ; les programmes de ces deux niveaux devraient être rédigés concomitamment, ce qui est rendu indispensable par la création d’un cycle qui couvre la fin de l’école élémentaire et le tout début du
collège. Ainsi, le temps des élèves doit être mieux pris en compte, notamment par
une organisation à la fois progressive et spiralaire des enseignements sur la durée
de la scolarité obligatoire. Les apprentissages stabilisés, solides, se construisent sur
plusieurs années et les programmes doivent faciliter cette organisation dynamique
dans le temps.
- Le temps réel de la classe. La semaine de neuf demi-journées compte 24 heures scolaires virtuellement mais il faut en déduire le temps de récréation des élèves et les temps interstitiels de régulation nécessaire de la vie de la classe, ce qui conduit à un temps réel de travail de moins de 22 heures. Il importe que cette contrainte soit assumée par les concepteurs des programmes car les arbitrages sur la réduction du temps théoriquement imparti à chaque domaine que font individuellement les maîtres de l’école élémentaire finissent par être inégalitaires. Au-delà de cette précaution et en relation avec les nouveaux programmes, une réflexion devrait être relancée auprès des équipes pédagogiques sur l’organisation des journées scolaires ; l’habitude de placer le français et les mathématiques en matinée risque, si elle persiste, de conduire à laisser fort peu de place aux autres enseignements dans des après-midi qui auront une durée inférieure à trois heures, temps auquel tous les enseignants sont habitués à se référer.
- L’intégration de toutes les composantes de la formation à donner aux élèves.
La définition des programmes et le réglage de leur extension devraient enfin tenir
compte de deux contraintes. D’une part, des obligations sont faites à l’école
primaire de mettre en oeuvre une éducation à la santé, à la sexualité, à la sécurité, à
l’environnement durable ; les programmes devraient intégrer « ces éducations
à… » de telle manière qu’elles soient clairement adossées aux contenus à
enseigner et ne paraissent pas s’ajouter et parasiter le temps des programmes.
D’autre part, l’efficacité attendue de l’école suppose que soient prises en
considération, outre les temps d’évaluation, les activités d’entraînement
nécessaires à l’automatisation de certaines connaissances, à l’apprentissage de leur
transfert et de leur intégration dans des situations de complexité croissante ; le
report hors de l’école de ces composantes indispensables à la consolidation des
acquis pénalise les enfants qui ne peuvent être aidés.

8.3. L’accompagnement de la mise en œuvre de nouveaux programmes et plus généralement des enseignements, en particulier grâce aux possibilités du numérique

▪ Un processus d’accompagnement associant des modalités variées
Durant la décennie 2000, l’école primaire a connu deux programmes (si l’on excepte l’éphémère programme 2007). Leur mise en œuvre s’est effectuée de manière très différente : en 2002, avec la publication d’un nombre important de documents dits d’application ou d’accompagnement diffusés au long de la période d’entrée en vigueur des programmes de 2002 à 2005 ; en 2008, en laissant les équipes de terrain inventer leurs propres outils, les documents nationaux étant en nombre très limité. Mais un point commun a été le peu de prise en compte du numérique alors que celui-ci prenait un essor considérable.

L’accompagnement des maîtres (et des formateurs) est à repenser. Il faut désormais partir de leurs besoins tels qu’ils les expriment, besoins individuels et besoins liés au travail en équipe, et leur proposer des réponses adaptées. Internet facilite cela par les mises en relation qu’il autorise. L’accompagnement devrait comporter plusieurs facettes indissociables, associant le travail autonome facilité par les supports numériques et des modalités impliquant équipes et formateurs. Sa continuité est indispensable au-delà de l’année qui suit la publication de nouveaux programmes. La mise en œuvre progressive des programmes, en commençant par la première année de chaque cycle, favorise grandement l’aide aux équipes, l’anticipation possible.

▪ Des ressources, notamment sur supports numériques
Aujourd’hui bon nombre d’enseignants sont acteurs des réseaux sociaux, souvent dans leur vie privée, mais aussi dans leur vie professionnelle. L’Institution doit les accompagner pour faire en sorte que les outils et ressources dont ils ont besoin soient créés, disponibles, efficaces. Une mutation profonde du travail de l’enseignant est à l’œuvre ; grâce au numérique et à la capacité d’échange de productions, un précieux temps de travail doit être gagné sur la préparation de classe pour être réinvesti dans le suivi personnalisé des élèves.

C’est à l’éducation nationale de proposer un accompagnement pédagogique en ligne de qualité, vers lequel les enseignants auront naturellement envie de se tourner. Dans les parcours hybrides de formation mobilisant les supports numériques, il y a un grand besoin de réflexion et de créativité pour engager les enseignants dans la compréhension de ce qu’ils doivent modifier dans leurs habitudes, des raisons de cette nécessaire modification et dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques dont la continuité sur plusieurs années (solidarité au long du cycle) et la cohérence globale (liens entre domaines) soient pensées. Des plates-formes d’échanges sont à encourager, qui permettraient des discussions, des partages d’outils ponctuels comme de scénarios pédagogiques. Sans envisager de valider nécessairement tous les objets échangés, il paraît pertinent que des avis et des précautions d’usage soient donnés par des formateurs ou par des chercheurs.

▪ Le travail en équipe facilité
Le temps du service des enseignants non affecté à de l’intervention devant élèves, qui vient d’être allongé, pourrait être plus systématiquement et mieux mobilisé pour développer une réflexion en équipe sur les questions d’enseignement. L’accompagnement (partiel) de ce travail collectif par les membres de l’équipe de circonscription serait de nature à en soutenir l’efficacité.

Enfin, les évaluations d’école, dont on peut espérer qu’elles se multiplieront, semblent être de bons cadres de travail collectif pour identifier les problèmes locaux et parvenir à les résoudre en mobilisant les équipes de circonscription. Ces évaluations doivent s’attacher à traiter des sujets didactiques ; il n’est pas à exclure que certaines d’entre elles portent sur un objet précis à l’échelle du secteur de collège, en associant ainsi ce dernier et en mobilisant un ou des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux dans le(s) domaine(s) concerné(s).

Ce travail collaboratif sera mieux accueilli et donnera sa pleine efficacité s’il y a une volonté partagée de tous les acteurs de s’inscrire dans une stratégie de résolution de problème, au service d’une meilleure réussite de tous les élèves.

Annexe

Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008 (117 pages)

 

22 novembre 2013

D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ?

Selon le rapport de l’inspection générale intitulé "Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008", que Le Monde s’est procuré, les mauvais résultats de l’école primaire française qui n’apprend à lire et à compter qu’à 80 % des enfants, ont des racines plus profondes que la seule mise en cause des programmes. Dix grandes leçons ressortent du travail collectif remis au ministre en juin 2013.

Leçon 1 : pourquoi trop d’écoliers ne lisent pas
Leçon 2 : lire n’est pas que déchiffrer
Leçon 3 : les élèves n’écrivent plus
Leçon 4 : élaguer les programmes
Leçon 5 : rédiger des textes, bof… bof
Leçon 6 : l’anglais ? La grande mystification
Leçon 7 : des maths dans les programmes ? Ah, bon !
Leçon 8 : vous avez dit oral ?
Leçon 9 : le « dico », objet d’étude et non d’usage
Leçon 10 : taper de ses 10 doigts

Extrait de lemonde-educ.blog.lemonde.fr du 22.11.2013 : D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire en France ?

 

Edito de F. Jarraud

La fuite du rapport de l’inspection générale sur les programmes de 2008 est un mauvais coup porté à l’école. Elle nourrit la confusion et les ressentiments alors que l’Ecole a besoin de confiance. Elle indique de mauvaises solutions alors qu’il est urgent de changer l’Ecole.

[...]
Les prédictions de 2008 sont confirmées
Effectivement le niveau scolaire des jeunes français ne s’est pas amélioré avec les programmes de 2008. Aussi les choix du rapport sont surprenants. Le choix de valider des programmes qui posent autant de problèmes, selon le rapport lui-même, aux enseignants est surprenant. Tout autant surprenant d’ailleurs est le fait de laisser croire qu’un changement de programmes devrait apporter une solution aux difficultés scolaires. Rompre avec les programmes de 2002 et impulser des réorientations brutales n’a fait que déstabiliser les enseignants en leur apportant peu de positif. Curieusement cette argumentation est maintenant utilisée par les auteurs du rapport pour que, en dépit des résultats, on ne touche pas aux programmes de 2008...

Le moment choisi pour faire sortir un rapport aussi accusateur interroge également
La publication le 3 décembre des résultats de PISA devrait envoyer un véritable électrochoc dans l’opinion publique. En faisant sortir ce rapport juste avant on lui désigne des responsables : les enseignants. Et on sanctuarise du même coup les programmes de 2008.

Les préconisations sont choquantes
Les auteurs demandent la mise en place de programmes faciles à comprendre et d’un système d’évaluation centralisé. Faut-il penser qu’ils recommandent une surveillance accrue du travail enseignant ? En tous cas, on connait les défauts du pilotage par l’évaluation qui sévit dans le monde anglo saxon. Il encourage la concurrence et le classement entre les écoles. Il pousse aussi au décrochage les élèves les plus fragiles et réduit l’enseignement aux fondamentaux évalués. Disons le cette solution est trompeuse.

Le rapport heurte aussi par le modèle d’école qu’il sous tend
Certes les inspecteurs ont une obligation de sincérité dans leur rapport. Certes les difficultés et les lacunes qu’ils mettent à jour doivent être connues. Mais ces éclairages viennent bien tard. Le rapport omet complètement la dégradation constante des conditions de travail dans les classes tout au long de ces années. Il oublie aussi le silence qui a entouré au sommet la destruction de la formation continue et même initiale tout au long de ces années.

En réalité on ne sortira pas l’Ecole de l’ornière en dressant les parents contre les enseignants
On ne fera pas progresser le niveau en mettant des tests et de la surveillance partout. Ce dont l’Ecole a besoin ce ne sont pas de programmes. Mais de répondre à la demande de formation des enseignants. De réduire le nombre d’élèves dans les écoles des quartiers populaires. De redonner du pouvoir aux enseignants notamment aux équipes. D’encourager le plaisir à enseigner et à apprendre. Un peu le contraire de ce rapport.

- Primaire : L’Inspection met en cause les enseignants
- Dossier Programmes de 2008
- Article d’Alain Refalo

Extrait de L’Expresso du 25.11.2013 : Primaire : Un rapport contre productif

 

Réécouter Emmanuel Davidenkoff sur Franceinfo du 25.11.2013 : Sévère inspection pour les instits

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