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"Dans la classe. Une année à l’école primaire" [en ZEP], par Alain Amariglio (ancien responsable de start-up), Ed. Equateur, 2014. Un entretien avec l’auteur

3 octobre 2014

Dernier ajout le 17 novembre 2016

Entretien de l’auteur avec le Café pédagogique

[...]
Voilà pour la magie. Mais comment s’exprime-t-elle ?

Pour qu’elle s’exprime, il faut aussi pouvoir travailler dans des groupes où les profils sont variés, au contraire de ghettos. J’ai eu la chance de travailler dans des REP plutôt « mixtes ».

J’ai cherché, dans le livre, à ne jamais idéaliser. Nous connaissons des moments de grande fatigue, de grande détresse, et nous sommes parfois déprimés, c’est vrai. Ce que j’essaie de dire c’est que les satisfactions intenses, les joies, les émotions et, donc, la beauté du métier, viendront de la salle de classe et de l’enfance.

[...]
Pensez-vous que les parents devraient avoir plus de pouvoir dans l’école, et si oui en quels domaines ?

J’y vois un signe de la transformation de l’école en centre de prestations de services. Si l’école n’est plus qu’un prestataire comme un autre, il est inévitable qu’elle soit évaluée – et critiquée – sur des paramètres superficiels, mais visibles, de ce service, du programme des animations et des sorties scolaires au menu de la cantine et à la propreté de la vaisselle. En gros, on confond l’école et le centre de loisirs, encore plus depuis les nouveaux rythmes scolaires. A l’occasion de ce débat, ou à chaque publication des dates des vacances, bien que toutes les parties n’aient à la bouche que « l’intérêt de l’élève », on voit bien que ce sont des contraintes extérieures à l’école, et d’abord économiques, qui sont prioritaires.

Dans ces conditions, je ne crois pas que les parents devraient avoir plus de pouvoir à l’école ni même, à vrai dire, le moindre pouvoir. Mais ils ont des droits. Par exemple celui d’être bien accueillis, informés, écoutés, en un mot, à l’aise dans l’école, condition importante pour que leurs enfants le soient aussi. Nous avons besoin d’un climat de confiance et de respect mutuels, qui donnerait à l’expression « communauté éducative » un peu plus de contenu. [...]

[...] Tout le long de votre livre on découvre un fort attachement entre vous et les enfants… Est-ce bien professionnel ?

De ce point de vue, je ne suis peut-être pas assez « professionnel », comme pouvaient l’être, je m’en souviens, les maîtres de mon enfance, que je cite dans mon livre et qui m’ont beaucoup marqué. Eux étaient de vrais « hussards noirs ». A ma décharge, mon empathie pour les élèves m’a souvent conduit à ne pas les « lâcher » lorsqu’ils étaient menacés de décrocher. Je ne dis pas que l’on ne peut pas parvenir au même résultat de manière plus technique, et moins affective. Ce qu’il faut, c’est que l’empathie améliore la lucidité de l’enseignant, plutôt que de l’altérer. Ce n’est pas simple. Votre question est tellement centrale qu’elle pourrait servir de thème à un colloque, qui serait passionnant. Quoi qu’il en soit, je veux croire que mon principal apport aux élèves, c’est l’accès aux savoirs et à la culture.
[...]

Extrait de cafepedagogique.net du 17.11.16 : Alain Amariglio : Heureusement il y a les enfants

 

Dans la classe. Une année à l’école primaire
Alain Amariglio
Editions des Equateurs
28 août 2014
300 pages
ISBN 9782849903162

Présentation de l’éditeur

Extrait

[...] « Etre utile et enseigner » voilà la décision prise par Alain Amariglio après un détour par la direction d’entreprise. Intéressant ! Héritier en ZEP d’un double niveau CE2-CM2, il nous fait vivre son rêve qui, grâce à son humour, ne se transformera pas, dans la durée, en cauchemar.

Ses portraits d’élèves sont vivants et attachants : Quentin qui ne veut pas apprendre, Yacouba qui a peur, s’il est méchant, de rester bête, Mamadou qui promet qu’il « va se concentrer de la mémoire », Katia qui ne veut pas être gagnée par la « désabusion », Katia qui, « si elle rate ( elle veut devenir paléontologue), voudrait être Présidente de la république » et Léopoldine (Marlène Dietrich dans Témoin à charge), alternent avec un questionnement pédagogique aigu et juste mais le plus souvent solitaire : rendre les élèves disponibles, réapprendre à penser seul, surfer sur l’enthousiasme des élèves...

Je fais mienne sa question : « Ce métier est-il possible, en vrai ? ». Sa grande intelligence, sa générosité désintéressée, sa sensibilité toute en pudeur, sa passion pour la transmission qui lui permet d’offrir à ses élèves les « merveilles et trésors » dont il est riche : Mythologie grecque, Brassens, Visite du Louvre, du Musée Carnavalet sont autant de réponses à sa question dans une institution qui le laisse sans réponse « Et mes questions ? ». [...]

Agnès Pires

Questions à Alain Amariglio

[...] Dès le tout début du livre, vous parlez souvent des parents, de l’entourage. Comment l’ensemble école, familles, quartier, s’articule-t-il ?

C’est un sujet délicat. Il est important que l’école fasse de la pédagogie et communique le plus naturellement possible avec les parents. Il est essentiel que les parents s’en remettent à elle avec confiance pour l’instruction de leurs enfants. Ce qui exclut toute forme d’ingérence ou de consumérisme. Et suppose des échanges sincères et fluides, mais aussi institutionnels et ancrés sur la mission de l’Ecole : l’instruction. Au contraire, par exemple, de nombre de conseils d’école centrés sur le « périscolaire » : la cantine, la kermesse, le lave-vaisselle…
D’où le sentiment confus et chaque jour renforcé que l’Ecole est un lieu de prestation de services comme les autres, un centre de loisirs, voire un commerce. Or c’est une de nos institutions les plus vitales, plus facile à détruire ou à dissoudre qu’à reconstruire. Attention.
L’évolution n’est pas favorable. Elle pourrait l’être si l’Ecole était plus forte, parvenait encore à rayonner. Mais il me semble que sa faiblesse, dont les causes sont multiples, est l’un des symptômes d’une faiblesse plus générale, celle de l’Etat.
Sur un plan pratique, il me semble que le plus important, c’est la cohérence. Parents et enseignants devraient placer très haut dans leurs priorités cet objectif majeur : préserver la cohérence du monde des adultes vu par les enfants. Quitte à, parfois, en rabattre un peu, non sur les principes, mais sur les égos. On sous-estime les effets ravageurs d’une petite phrase, lâchée dans un moment d’agacement, mais qui continuera de faire son chemin dans la tête de l’enfant bien après qu’on l’aura oubliée. Les adultes, tous les adultes, doivent faire des efforts.

Votre parcours professionnel n’a pas été rectiligne puisque vous étiez ingénieur en informatique, avant de devenir professeur des écoles. Qu’est-ce que cela apporte de changer de métier ?

Je ne sais pas.
Il m’est difficile de faire la part des choses entre mon expérience propre, et celle que j’aurais, de toute façon acquise si j’avais fait d’autres choix professionnels. Il peut même m’arriver de regretter n’avoir pas enseigné toute ma vie. Je serais à cette heure un professionnel beaucoup plus accompli, là où j’ai le sentiment de demeurer un débutant.
D’un autre côté, mon parcours m’a donné un certain recul sur les prises de décision, les situations tendues, les organisations… Ce qui me permet, je pense, de résister assez bien à l’infantilisation que l’on rencontre dans cette grande maison. Je la déplore autant que mes collègues, mais j’en souffre moins. Lorsqu’on a traversé des crises dont l’enjeu était la survie d’une entreprise, on relativise certains froncements de sourcils de tel inspecteur en manque de légitimité.

Votre longue expérience de responsable d’une start up vous donne un regard aigu et plutôt sévère sur le management dans l’éducation nationale, sur l’accompagnement des personnes surtout. Quelles seraient d’après vous les clés pour que tout se passe mieux ?

Sévère, en effet. Lorsque je travaillais dans une start up, j’avais l’impression que notre petite taille nous empêchait d’accompagner les employés aussi bien qu’il l’aurait fallu pour les aider à résoudre les problèmes qu’ils rencontraient, répondre à leurs inquiétudes, encourager leurs ambitions, préserver leur enthousiasme. Ces sujets sont inexistants à l’Education Nationale. Pour que tout se passe mieux, il faudrait s’en occuper vraiment, au-delà de l’autosatisfaction et des formules creuses dont nous sommes saturés. Accompagner plutôt que d’infantiliser. C’est plus important que de nombreux sujets dont on amuse la galerie. Combien de mois entre deux débats sur la morale à l’école, ou l’informatique à l’école ?
J’y vois un autre paradoxe de notre maison : mal organisée, elle est confrontée à de tels problèmes que, pour compenser ses manques, elle s’en remet surtout au dévouement de ses agents. Leur talent et leur motivation suppléent au manque de moyens, sans quoi la situation serait bien pire. Mais l’Education Nationale ne fait rien pour entretenir ce dévouement. Et pourtant il est devenu son principal moteur et la dernière chance des élèves. Je ne sais pas combien de temps cela peut durer. Romain Gary écrivait que certains pneus crevés peuvent faire encore mille kilomètres…
Heureusement qu’il y a la salle de classe ! C’est le principal attrait de notre métier et elle a inspiré l’essentiel de ce livre.

Extrait de cahiers-pedagogiques.com du 08.09.2014 : Dans la classe. Une année à l’école primaire

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