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Jean-Louis Auduc : Après Charlie, les enseignants ont besoin que l’institution les légitime, mais la contestation de leur autorité ne vient pas que des élèves de culture musulmane (interview Tout Educ)

2 février 2015

Avec "Faire partager les valeurs de la République", Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l’IUFM de Créteil avait produit un ouvrage utile pour les candidats aux concours de recrutement de l’Education nationale. Il est rattrapé par l’actualité, et sollicité pour rencontrer des enseignants qui "ont besoin de parler de leurs difficultés". Habitué des sessions de formation, il sait qu’on voit en général bien des sacs se fermer avant l’heure. "Là, une heure après l’heure de fin, j’ai encore une multitude de questions..."

ToutEduc : Vous avez le sentiment que quelque chose a changé depuis les attentats du début de l’année. Mais quoi, pour les enseignants que vous rencontrez ?

Jean-Louis Auduc : Je suis très sollicité, par des IEN, des chefs d’établissement, des rectorats, pour répondre à la demande d’enseignants qui ont besoin de parler. C’est peut-être cela la principale nouveauté. Ils osent parler devant un large public de leurs difficultés. Avant, il fallait longtemps avant que l’un d’entre eux évoque ses problèmes en classe. Quand ils parlaient, le chef d’établissement ou le recteur mettait ça au fond de leur poche. Ce n’est plus possible. La parole s’est libérée.

ToutEduc : Comment expliquez-vous ce besoin ?

Jean-Louis Auduc : Jusqu’à présent, ils ne se sentaient pas touchés personnellement par ces questions liées à la laïcité. Elles se posaient pourtant déjà, quand des parents les interpellaient parce qu’ils avaient montré à leurs élèves le "Grand nu bleu" de Matisse, un découpage extrêmement stylisé, ou la Vénus de Milo, ou parce qu’une sortie scolaire comprenait la visite d’un monument religieux... Mais elles prennent un tour nouveau du fait de l’effondrement de la frontière entre la sphère publique et la sphère privée, les parents ont l’impression que l’enseignant veut leur imposer d’avoir la reproduction de certaines oeuvres chez eux.

ToutEduc : Mais comme vous le dites, ces questions se posaient déjà bien avant les attentats...

Jean-Louis Auduc : Oui, mais à l’occasion de la minute de silence, et des débats qui l’ont précédée ou suivie, ils ont vu à quel point la légitimité de leur savoir était contestée. La présentation des faits devenait "votre interprétation". Ils devaient répondre à des formules du type "vous dites que... , mais j’ai vu sur Internet que...". La parole de l’enseignant est devenue moins assurément synonyme de vérité que les réseaux sociaux.

ToutEduc : Qu’attendent-ils de ces rencontres avec vous ?

Jean-Louis Auduc : Ils ont besoin qu’on leur donne des outils, mais ils attendent surtout que l’institution les légitime. Ceux qui ont expérimenté les ABCD de l’égalité l’an dernier ont eu l’impression d’être lâchés en rase campagne. Un enseignant de SVT dont l’enseignement était contesté a dû affronter les parents dans le bureau de la principale de son collège, celle-ci se tenait derrière lui, mais n’a pas dit un mot, l’inspecteur auquel il a écrit ne lui a pas répondu. Mais quand Najat Vallaud-Belkacem a soutenu le directeur de cette école de Nice dont un élève a été entendu par la police en même temps que son père, quand la ministre a dit que la parole de cet enseignant valait a priori davantage que celle d’un parent, j’ai entendu un grand " Enfin !", un soupir de soulagement. Les enseignants n’acceptent plus de ne pas être soutenus.

ToutEduc : D’après ce que vous disent les enseignants, la contestation de l’autorité des enseignants vient-elle uniquement d’élèves de culture musulmane ?

Jean-Louis Auduc : Non. Elle vient aussi de certains milieux juifs orthodoxes, et de mouvements évangélistes. Ceux-ci sont très présents dans les banlieues, et certains conflits entre bandes, qui sont présentés comme des rixes entre trafiquants, pourraient bien être en fait des guerres de territoires entre églises rivales. Elles éditent des bandes dessinées qui nient l’évolution et qui dénoncent l’homosexualité. Elles influencent des enfants très jeunes.

ToutEduc : Vous évoquiez la contestation des ABCD de l’égalité, qui a été le fait de chrétiens fondamentalistes et de musulmans. Vous faites encore le lien ?

Jean-Louis Auduc : Oui, très clairement. En région parisienne, les lieux où a été contestée la minute de silence sont aussi ceux où des parents ont suivi le mot d’ordre des "journées de retrait de l’école".

"Faire partager les valeurs de la République", Jean-Louis Auduc, Hachette, 288 p.

Extrait de touteduc.fr du 31.01.2015 : "La parole de l’enseignant est déligitimée" (J-L Auduc)

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