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De la nécessité d’enseigner la laïcité et le fait religieux à l’école : réflexion et témoignage d’un enseignant de l’école RRS Tanger à Paris 19e à partir d’un travail sur différents récits de la Création (site Désir d’apprendre)

18 février 2015

Parler de la laïcité, et donc par définition des croyances, est une chose délicate. J’essaierai ici d’exposer mon modeste avis, une réflexion qui me travaille depuis plusieurs mois. Précisément depuis octobre 2014, lorsque notre directeur nous a proposé de participer à un tournage pour une formation M@gistère sur l’enseignement de la laïcité.

Dans l’école où j’enseigne au coeur du 19ème arrondissement à Paris, la question de la laïcité a toujours été présente. D’une part nos élèves viennent de multiples cultures et religions, d’autre part notre directeur est un spécialiste du sujet et auteur de quelques ouvrages sur la question. Pourtant, jusqu’à cette demande institutionnelle, je n’avais pas trouvé le besoin ni le moyen de travailler spécifiquement la laïcité avec mes élèves.

Désormais, il me parait important, nécessaire même, d’enseigner la laïcité et le fait religieux à l’école. Non pas de faire une éducation religieuse mais de sensibiliser les uns et les autres aux différentes cultures qui les entourent. Je parle d’une pluralité culturelle commune à construire avec les élèves, une pluralité qui incarnerait elle-même la laïcité, mieux que tous les discours. Ma lecture de la laïcité en France est la suivante : chacun est libre de croire en ce qu’il veut ou de ne pas croire, chacun doit respecter les croyances des autres. C’est devenu un des fondements de notre République. Et je crois que dans notre mission de formateur du citoyen de demain, une mission primordiale, l’enseignement de la laïcité doit occuper une place plus importante.

Quelle est la place accordée à la laïcité dans nos écoles ? Des lois, essentielles, et une charte, affichée. Je crois qu’il est nécessaire de parler de laïcité avec nos élèves. Je dis bien d’en parler et pas seulement d’afficher et lire un document que tout le monde finira par ignorer à l’entrée des écoles. Aujourd’hui, en parle-t-on vraiment ? Je n’en ai pas l’impression. Hormis lorsqu’on se trouve obligé de le faire, lors de la résolution d’un conflit par exemple. Ce thème reste très rarement abordé pour lui-même. On en parlera un peu en cycle 3 peut-être, en lien avec l’histoire, et une leçon sur le sujet pourra être faite en instruction civique. Mais cela suffit-il ? Et sommes-nous prêts à faire plus ?

Ce qui touche aux croyances est très sensible, j’en ai été témoin lors d’une réunion de circonscription sur la laïcité et l’actualité organisée suite aux attentats de janvier. Certains enseignants ont manifesté une gène, même un refus lorsqu’il a été question de parler des religions avec les élèves, hors programme en histoire. Je pense que cette position peut être dangereuse.

Laisser les religions et les croyances hors de l’École, refuser d’intégrer cette question à notre enseignement est une erreur potentielle. Exclure les religions de l’École, c’est prendre le risque de participer à une rupture radicale entre le croire et le savoir. Une séparation de fait mais qui n’empêche pas une cohabitation. En revanche, une exclusion est lourde de conséquences car elle peut aboutir à opposer l’un et l’autre. Une opposition dont certains manipulateurs se saisiront et qui pourrait servir à nourrir un discours anti-républicain, encourageant les plus faibles à se détourner de l’école pour se réfugier dans un obscurantisme total.
L’école doit se saisir de cet enseignement de la laïcité et du fait religieux, doit l’assumer pleinement et fièrement. J’essaie actuellement de travailler sur ce sujet avec ma classe de cycle 2, une classe de CP/CE1. Je ne vois pour le moment que du positif à retenir de cette expérience.

Et la laïcité sera
Capture d’écran

Je me suis basé sur l’ouvrage Récits de création publié par La Documentation Française et disponible ici. Il fait partie de la collection « Récits Primordiaux » riche d’une dizaine d’ouvrages qui présentent des textes adaptés, accessibles aux élèves. Chaque récit est accompagné d’illustrations, oeuvres du patrimoine mondial, d’une introduction qui situe le contexte, de clefs de lecture pour comprendre le texte et de pistes d’exploitations pédagogiques. Notez que chaque oeuvre représentée dans le livre peut être facilement retrouvée sur internet, le chemin étant indiqué dans les sources et ressources en fin de récit.
C’est ainsi que j’ai pu par exemple utiliser cette illustration intitulée la Création du monde lors de ma séance sur les récits bibliques

J’ai déjà travaillé sur trois séquences avec cet ouvrage :
– les mythes égyptiens d’Heliopolis et Hermopolis
– la théogonie
– les récits de création bibliques

Il me reste à travailler en période 4 :
– le récit coranique
– les récits des origines dans l’Inde ancienne
– les mythes du pays dogon

Pour chaque récit, je choisis de travailler en quatre séances :

1. Je prends d’abord le temps de lire et raconter le récit. Plusieurs fois. Les élèves s’en imprègnent petit à petit. Ce sont des textes qui fonctionnent très bien, y compris avec des élèves du cycle 2. Lors de cette séance, je ferai un premier sondage pour savoir ce que les élèves ont compris.
2. Le deuxième temps est consacré à l’analyse d’une oeuvre d’art illustrant le texte et à la restitution du récit par les élèves à partir de cette illustration.
3. Une discussion est engagée sous la forme d’un atelier philo et permettra de répondre aux questions très souvent pertinentes des élèves.
4. Je demande aux élèves une production écrite d’un court texte pour garder une trace et exprimer un moment qui nous a interrogé ou que l’on a aimé. Vous pouvez d’ailleurs suivre les productions des élèves via le compte twitter de notre classe.

Si le temps semble vous manquer pour vous lancer dans cet enseignement, n’ayez crainte ! Vous remarquerez qu’au sein de la même séquence, je travaille le français (compréhension, expression orale puis écrite), l’histoire des arts (à travers l’analyse des oeuvres illustrant les textes), et bien évidemment l’éducation civique et morale.

Au fur et à mesure, des liens entre les textes apparaissent, des différences mais des ressemblances aussi. Je vois dans ces ponts une clef importante dans la construction de la laïcité. En outre, la séance 3 permet d’aborder des thématiques profondes, les élèves posant des questions et remarques parfois étonnantes, souvent franchement intéressantes. « Pourquoi Kronos mange ses enfants ? » « Comment ça se fait que Zeus il a plusieurs femmes ? » « Comment c’est possible que le serpent il parle ? ». Et très souvent ils trouvent eux-mêmes des réponses à leurs questions. Ce sont des textes d’une richesse inestimable pour aborder des notions telles que la justice, le pouvoir, la conscience, le mal, etc. Des thématiques complexes mais qui les interrogent.

Pour finir, comme tous les autres apprentissages que nous enseignons, la laïcité est un concept qui doit s’acquérir avec le temps et demande un accompagnement. Cela signifie une construction progressive tout au long de la scolarité, et je pense que nous devons commencer le plus tôt possible. C’est certainement un enjeu crucial pour le monde de demain.
J’espère que cet exemple pourra servir à certains enseignants qui oseront se lancer. Si vous travaillez aussi la laïcité, n’hésitez pas à en faire part dans vos commentaires. Je présente une façon de faire, il y en a surement beaucoup d’autres !

Un ami expatrié à Montréal m’a envoyé le lien vers les programmes du Québec. Les objectifs sont détaillés ici-même (merci @BrigitteProf !). C’est tout simplement impressionnant et cela montre une prise de conscience bien plus précoce de l’importance du sujet, une volonté d’apporter un enseignement réfléchi et raisonné et de développer la pensée critique des élèves.
Toujours 10 ans d’avance le Québec !

Extrait de desirdapprendre.com du De la nécessité d’enseigner la laïcité

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