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La réforme du collège vue par des professeurs d’Education prioritaire

9 mars 2015

Quand des profs imaginent la réforme du collège...

Najat Vallaud-Belkacem présente mercredi 11 mars en conseil des ministres les grands axes de sa réforme du collège, sujet sensible par excellence, sur lequel nombre de ses prédécesseurs se sont cassé le nez. On est allé demander leur avis à quatre enseignants, jeunes et très engagés, quasi tous issus de l’éducation prioritaire. La ministre risque d’avoir du boulot pour convaincre et répondre à toutes les attentes.

Nicolas Mousset, 30 ans, est prof de maths au collège [RRS] Gabriel Péri d’Aubervilliers (Seine Saint Denis). Militant au SNES, il est mobilisé avec les 4 autres collèges de la ville pour protester contre la réforme de l’éducation prioritaire. Les trois établissements REP + voient leur moyens stagner. Ce qui signifie, avec la « pondération » pour les profs, qu’il faudra couper des heures d’enseignement. Inacceptable pur Nicolas Mousset dont le collège, en REP, préserve ses moyens. « Si je juge la réforme à partir des fuites, je sens une entourloupe. On va donner une marge d’autonomie aux collèges qui décideront des 20% de leurs dotations horaires. Or on a déjà eu des marges. Mais avec la RGPP (la révision générale des politiques publiques sous Sarkozy, ndlr), on a gratté toutes les heures qui dépassaient les horaires légaux. Résultat : on va devoir les baisser avec l’autonomie qu’on veut nous redonner.

Derrière, c’est le collège unique qui est ébranlé : dans nos établissements, on risque d’avoir une forte pression pour se concentrer sur le socle commun, tandis que dans ceux plus favorisés, l’accent sera mis sur l’ouverture culturelle et sur les enseignements d’exploration. Personnellement, je serais pour un collège polytechnique avec des enseignements généraux, technos et pros pour tous. Je trouve violent de demander à un élève de réfléchir à son orientation pro à 12 ans, alors qu’un bon élève n’aura jamais touché un piston dans un moteur. Il faut aussi plus de démocratie pour les élèves. Par ailleurs, au risque de paraître syndicaliste au ras des pâquerettes, il y a la question des moyens. J’ai 4 à 5 élèves dans ma classe qui ont besoin qu’on leur explique à part durant un quart d’heure. Et quand on peut le faire, ils raccrochent. Mais pour ça, il faudrait être 20 par classe au lieu de 24. Sans cela, on a l’impression de faire du tri social alors qu’on vise l’émancipation. D’ailleurs, on vous dit dans ces collèges : si vous en faites réussir un, c’est déjà très bien… »

Nathalie Nioloux, 28 ans, est prof d’anglais au collège Elsa Triolet de Saint Denis (Seine-Saint-Denis), en REP +. L’équipe a écrit à la ministre pour réclamer des postes, notamment pour encadrer les élèves après une succession d’incidents. Elle va être reçue le 17 mars au Rectorat. « Je viens d’un collège classique. Titularisée cette année, j’ai été nommée dans cet établissement difficile. On a une bonne équipe, jeune, dynamique, qui fait plein de projets. On expérimente par exemple une classe sans notes. Mais on manque de postes. On réclame notamment un troisième CPE pour faire de la prévention. Il n’y a pas que ça. Il faut de l’équipement. Dans les textes, on nous demande de faire de la pédagogie différenciée. Mais on n’en n’a pas les moyens. Dans mon ancien collège, j’arrivais à faire travailler mes élèves par groupes de compétences. J’en mettais quelques-uns devant des ordinateurs pour travailler l’oral, d’autres devant des revues pour la compréhension, d’autres encore faisaient de l’écrit. Là, je ne peux pas. Il n’y pas assez d’ordinateurs. Je dois en mettre trois devant un écran.

Or dans cet établissement, les élèves demandent de l’attention. Ce qui m’inquiète, c’est que l’an prochain, on prévoit une classe supplémentaire. Or le jeu des salles est déjà ric rac. Ce que je voudrais en plus ? Il y a déjà beaucoup de choses dans les textes officiels. Si on pouvait les appliquer, ce serait déjà bien. Si je ne peux pas faire de pédagogie différenciée, ce ne sont pas seulement les élèves fragiles qui en pâtissent, mais aussi les quelques bons élèves que l’on pourrait faire progresser ».

Renaud Farella, 39 ans, est prof d’histoire-géo au collège [RRS] Lucie Faure dans le XXè à Paris. Dans un premier temps, son établissement avait été classé en REP. Puis il a disparu de la liste, au profit d’un collège du XIXè. Estimant répondre aux critères sociaux, l’équipe s’est mobilisée avec les parents pour retrouver le label. En vain, pour le moment. « J’ai réfléchi à un collège idéal. Avant, j’ai été 7 ans à Villiers-le-Bel au sein d’une équipe jeune, très stable - la stabilité est clé – et pleine d’idées. Mais pour cela, il faut une administration bienveillante et proche du terrain. Or, on voit plutôt s’installer une politique managériale. Ensuite, il faut en finir avec la peur des élèves. Si la minute de silence après les attentats a parfois posé problème, c’est que nous avons des ados en face de nous. On doit discuter, écouter.

Enfin nous ne devons pas rester seuls, il faut travailler avec d’autres professionnels. Je coordonne un dispositif contre le décrochage, le DSA – on prend en charge des petits groupes d’élèves les jeudis et vendredi. Pour cela, nous faisons venir une comédienne, un escrimeur, un calligraphe. Un collège ouvert fonctionne toujours bien. Mais le dispositif risque d’être ramené de 12 heures à 9 heures. On a une vision du collège souvent triste. On pourrait en avoir une plus belle sans inventer de choses compliquées. Il faut davantage faire confiance à l’équipe enseignante et allouer plus de moyens. Pas des millions… mais des moyens au cas pour cas pour permettre un travail individuel ou en petits effectifs, avoir du temps pour discuter entre nous d’un élève, faire cours parfois à deux profs … . Pas la peine d’annoncer une réforme par semaine ou de distribuer des tablettes à tous les collégiens, tout ça est accessible. »

Jules Siran, 27 ans, est prof d’histoire-géo au collège [ECLAIR] République de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Militant à Sud, il a fait grève le 29 janvier pour protester contre la baisse de moyens de son établissement classé en REP +. « On nous a répondu qu’il n’avait pas le monopole de la difficulté à Bobigny mais nous ne lâchons pas », dit-il. « Je serai contre toute réforme qui ne renforce pas le collège unique dispensant le même enseignement à tous. Je suis agrégé, j’ai choisi le collège, j’y suis très attaché. Or j’entends parler d’enseignements modulaires. Ensuite il faut octroyer des moyens permettant de fonctionner correctement. Dans nos établissements, il ne faudrait pas plus de 18 élèves par classe.

Pour améliorer l’apprentissage des plus fragiles, on doit mettre en place des pédagogies différenciées. A 23, c’est difficile et on est tenté de faire des cours magistraux au risque de perdre la moitié de la classe. A 16, 17 ou 18, on peut mettre les élèves en activités, par îlots. Ce qu’on nous apprend en formation mais qu’on ne peut pas faire. Vous allez parler de profs corpos... Mais non, je suis dans un syndicat favorable au travail coopératif de type Freinet. Mais les moyens sont un préalable. Si de vrais efforts sont faits - les 60 000 postes ne compensent rien –, on peut imaginer un tas de choses. A Sud, on réfléchit à un collège polytechnique où les savoirs manuels et intellectuels seraient à égalité. Mais pour ce que j’en sais, le projet de réforme me semble dangereux, avec l’autonomie des établissements et la mise en concurrence, des enseignements distincts suivant les publics, des diplômes n’ayant pas les mêmes valeurs… Tout cela conduisant à un accroissement des inégalités. »

Véronique Soulé

Extrait de cafepedagogique.net du 09.03.2015 : La chronique de Véronique Soulé : Quand des profs imaginent la réforme du collège...

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