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« L’apartheid scolaire » de Georges Felouzis

14 novembre 2005

Extrait de « Ouest-France » du 14.11.05 : Les « ghettos » scolaires font des ravages

La crise des banlieues est aussi une crise scolaire. Comment les familles détournent la carte scolaire, comment se constituent des collèges ghettos ? Des sociologues ont mené l’enquête à Bordeaux et à Paris. Les explications de Georges Felouzis.

Votre livre s’appelle L’apartheid scolaire (1). Titre provocateur. Qu’est-ce qui le justifie ?

Il a certes un côté provocateur, car la France ne mène pas une politique consciente de mise à l’écart de certaines populations. Mais les faits sont là : il y a des ghettos fortement marqués sur le plan ethnique dans nos villes et dans nos collèges. Dans l’académie de Bordeaux - qui n’est pourtant pas une terre de forte immigration - 10 % des collèges scolarisent plus de 40 % des élèves issus de l’immigration. La ségrégation urbaine, décrite depuis trente ans, a généré de la ségrégation scolaire.

Est-ce la seule explication ?

Ces collèges sont le reflet des quartiers où ils sont implantés. Mais la seconde cause, c’est la stratégie des familles des classes aisées, moyennes ou populaires, afin que leurs enfants n’aillent pas dans ces collèges souvent classés en ZEP [Zone d’éducation prioritaire]. Les « autochtones » usent de dérogations, de changements d’adresse, de choix d’options rares et de divers processus pour contourner la carte scolaire. Et éviter les établissements qui scolarisent à leurs yeux trop d’élèves se prénommant Abou, Mohammed, Abdoulaye ou Yasin, et pas assez d’Aurélie, de Nicolas ou de Sébastien.

Conséquences de cette ségrégation ?

Sur le plan scolaire, un niveau général de départ plus faible, des difficultés à mettre en place les apprentissages et, à l’arrivée, davantage d’échecs. Surtout, cela joue sur la subjectivité et la construction psychologique de ces enfants qui se sentent mis à l’écart, rejetés, renvoyés à leurs origines, alors qu’ils ont les mêmes aspirations que tout le monde.

Et qu’ils sont Français...

Ce sont leurs parents ou, le plus souvent, leurs grands-parents qui sont des immigrés. Les jeunes ont le sentiment d’être traités comme des Français moins légitimes que les autres. Ils touchent du doigt ce décalage immense entre le discours républicain - « Nous sommes des individus égaux, on ne vous juge pas sur vos origines ou votre religion, mais sur votre valeur personnelle » - et la réalité quotidienne des discriminations à l’embauche, au logement, aux loisirs. Ce décalage produit du ressentiment et de la violence. Toutes les familles rencontrées dans ces quartiers ont le sentiment d’une chute sociale, d’une dévalorisation de soi au travers de la dévalorisation de leur quartier.

Vous comparez la situation à celles de certains quartiers noirs aux États-Unis...

Ce qui peut paraître exagéré. Mais ces jeunes, face aux barrières raciales qu’on leur oppose, développent une culture et une identité d’opposition. Certains ne croient plus en l’école. Les attitudes se durcissent. Les enseignants le savent bien. Se développe une certaine hargne par rapport à l’autorité scolaire et à toutes les institutions.

En même temps, l’école reste le creuset de l’intégration. Comment empêcher ces ghettos scolaires ?

Nous ne disons pas que l’Éducation nationale ne fait rien pour les empêcher. Mais elle n’y arrive pas. Pourquoi ? Parce que ce phénomène de ségrégation est une tendance lourde qui touche toutes les sociétés occidentales, dans les domaines de l’emploi, du logement, des loisirs et de l’école. De plus, on se heurte à un problème de cohérence des politiques éducatives, entre les ministères, les rectorats, les inspections d’académies, les conseils généraux. Il manque un chef d’orchestre local pour empêcher que chacun des partenaires ne se renvoie la balle et les difficultés.

Recueilli par Bernard Le Solleu

(1) L’apartheid scolaire, aux éditions du Seuil. 235 pages. 19 €. Georges Felouzis a aussi publié Devenir collégien et Radiographie du peuple lycéen.

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