> IV- EDUCATION. GÉNÉRALITÉS (Types de doc.) > Education-Généralités (Positions de chercheurs et experts ou (...) > Entre le sociologisme, qui déresponsabilise l’élève, et l’autoritarisme, (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Entre le sociologisme, qui déresponsabilise l’élève, et l’autoritarisme, qui le renvoie à son libre arbitre, Philippe Meirieu prône la démarche pédagogique

20 avril 2015

Dans un entretien accordé à France Inter le 10 avril au matin pour assurer la promotion de son nouvel ouvrage « Malaise dans l’inculture » (éditions Grasset), Philippe Val, au parcours médiatique et politique tumultueux, s’en est pris longuement à la « sociologie ». Malgré quelques réserves a posteriori suggérées par le présentateur Patrick Cohen, il a stigmatisé « les sociologues » qu’il considère comme l’incarnation par excellence du « politiquement correct » : en effet, ces derniers, embourbés dans une conception « bourdivine » ou « bourdieusarde » de la société, contribueraient très largement à déresponsabiliser les individus, à saper toute forme d’autorité en présentant systématiquement les coupables comme des victimes et auraient entrainé « la gauche » vers un laxisme généralisé dont nous paierions aujourd’hui les conséquences au prix fort…

[...] Pour la sociologie, cette vulgate – à peu près aussi fiable que la psychologie telle qu’elle est s’étale dans le courrier des lecteurs de « Jeune et jolie » – consiste à affirmer la toute-puissance des origines ethniques et sociales sur le destin des individus : mêlant prédestination, fatalisme, conditionnement, sentiment d’impuissance, elle considère qu’un sujet n’est QUE le résultat de toutes les influences qu’il reçoit et auxquelles il ne peut, en aucun cas, se dérober. Ses moindres paroles et tous ses actes ne peuvent donc nullement lui être imputés, puisqu’il est le jouet de circonstances qui lui échappent complètement. On ne peut donc que l’écouter et le regarder, affligé, mais en le plaignant d’être ainsi une victime qui n’appelle que notre compassion.

[...] Mais ceux et celles qui dénoncent cette vulgate sociologique et y voient une posture mortifère pour l’éducation et la démocratie, sont-ils, pour autant, très clairs avec leurs propres présupposés ? On les imagine disciples de Descartes et convaincus que « lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que moralement parlant, nous ne puissions guère choisir le parti contraire, absolument parlant néanmoins nous le pouvons » ! Donc, même s’il a vécu de terribles accidents familiaux et personnels, même si son environnement sociologique a exercé sur lui des pressions terribles, même s’il a subi un conditionnement en bonne et due forme, même s’il n’a vécu que dans des ghettos défavorisés où il n’a jamais rencontré le plaisir d’apprendre et la joie de comprendre… « absolument parlant », il peut travailler et réussir à l’école. S’il ne le fait pas, il ne mérite donc aucune compassion, mais un vigoureux rappel à l’ordre et l’affirmation qu’il est un « sujet de droit », responsable de ses actes – puisqu’il aurait pu, « absolument parlant », ne pas les commettre –, et donc passible de sanctions sans la moindre complaisance.

[...] « Sociologisme » et « libre-arbitre » sont donc des POSTURES qui disposent, en temps qu’échafaudages théoriques, d’une solide inscription dans l’histoire des idées et d’une cohérence interne indiscutable. Elles peuvent s’affronter ainsi, en toute sérénité polémique, dans les débats de conseils de classe comme dans les tribunes des journaux ou les colloques internationaux. On peut même faire le pari qu’elles s’opposeront sans fin, disposant, l’une et l’autre, aussi bien des arguments solides pour se légitimer que des objections imparables pour se discréditer réciproquement.

[...] Ainsi l’action pédagogique, loin des effets de manches des rhéteurs en tous genres, se coltine-t-elle la difficile entreprise de faire émerger « la liberté d’un sujet » à partir d’un individu social très largement déterminé et dont le destin pourrait apparaître écrit à l’avance. Elle dispose, pour cela, de trois leviers essentiels : l’inscription dans un collectif où le sujet peut contribuer à la réussite du projet commun par les responsabilités qu’il prend, la transmission de savoirs qui lui permettent de déconstruire ses préjugés – y compris sur ses propres « limites » ou ses prétendues « incapacités – et le travail incessant sur l’imputation de ses propres actes à travers une « pédagogie de contrat » : « Voilà à quoi nous nous engageons ensemble… et je ferai alliance avec toi si tu tentes de te dépasser. »

Extrait de cafepedagogique.net du 17.04.15 : Philippe Meirieu : Entre « sociologisme » et « autoritarisme », la pédagogie travaille à l’émergence de la liberté

Répondre à cet article