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Pierre Merle développe pour le Café ses positions critiques sur l’éducation prioritaire et la labellisation

2 septembre 2015

Face à la montée de la xénophobie dans la société et de la ségrégation dans l’Ecole, que peut faire le professeur de base ? Sociologue, Pierre Merle revient sur les phénomènes ségrégatifs dans l’école française pour délivrer un message aux enseignants : former des citoyens responsables grâce à l’instruction

[...] Entre le souhaitable et le possible, les nécessaires arbitrages doivent être guidés par un principe général : « donner plus à ceux qui ont moins ». La mise en œuvre de ce principe - les recherches le montrent - favorise l’efficacité et l’équité du système éducatif et, de surcroît, est indispensable au maintien de la cohésion sociale sans laquelle la démocratie et la nation sont en péril.
Concrètement, le nombre d’élèves par classe devrait être réduit en priorité dans les établissements au recrutement défavorisé, la scolarisation à deux ans être spécifiquement mise en œuvre dans les écoles primaires relevant de l’éducation prioritaire ; la valorisation des salaires être centrée sur les premiers échelons des carrières enseignantes et concerner d’abord les professeurs en poste dans les établissements de l’éducation prioritaire ; etc.

[...] Il y a une nouvelle politique d’éducation prioritaire avec les REP et REP+. Ces nouveaux labels sont-ils une réponse adaptée ?
Ces labels posent de nombreux problèmes. D’abord, le label de l’Éducation prioritaire (EP) n’est pas associé à une image de réussite scolaire mais, inversement, aux images négatives souvent associées aux élèves en difficulté et aux enfants d’immigrés. Ces images négatives incitent les parents des catégories moyennes et aisées à ne pas inscrire leurs enfants dans les établissements de l’EP. Certes, la suppression des labels ne supprimera pas les spécificités scolaires et sociales des établissements de l’EP mais diminuera la visibilité de celles-ci.

Ensuite, les divers avantages associés aux labels sont progressivement déconnectés de la réalité des établissements car leurs spécificités sont, pour une partie d’entre eux, instables dans le temps. Ainsi, un « incident violent » dans un établissement, ou la création d’une option attractive dans un établissement voisin, exerce parfois des effets sensibles et rapides sur leur recrutement social. Un établissement stigmatisé subit un phénomène de rumeur, voire une spirale du déclin, qui résulte de la mise en cause de sa réputation. Celui-ci peut rapidement être identifié à un établissement « d’élèves en difficulté », « violents », et « d’immigrés ». Ces désignations constituent des prophéties auto-réalisatrices. Dans un pays où le diplôme est un sésame essentiel de l’intégration professionnelle, aucun parent, légitimement inquiet, ne souhaite prendre un risque pour la scolarité de son enfant à l’entrée au collège. La rumeur et le label tiennent lieu d’informations (1 ). [...]

[...] Comment lutter contre la ghettoïsation des établissements ?
La lutte contre la ghettoïsation des établissements constitue une question centrale, à la fois scolaire et sociale. La ghettoïsation scolaire est en effet au fondement du délitement progressif de l’école et de la société française. Plusieurs actions peuvent être mises en œuvre de façon simultanée.

Premièrement, la dotation des établissements devrait être sensiblement fonction du recrutement social. Conformément au principe « donner plus à ceux qui ont moins », les établissements au recrutement favorisé auraient donc une dotation moindre par élève. Ce principe est déjà en œuvre dans un certain nombre de pays européens.

Deuxièmement, plus les établissements sont différenciés par leurs options, plus les stratégies de choix des parents sont favorisées et importantes. Réduire la différenciation des établissements permet de réduire les logiques de choix, source de ghettoïsation. La suppression des classes européennes en collège est pour cette raison une bonne mesure. Elle devrait permettre de réduire la ségrégation inter et intra-établissements.

Troisièmement, les établissements privés peuvent actuellement choisir leurs élèves et exclure ceux qui posent problème. Ces élèves difficiles se retrouvent le plus souvent scolarisés dans les établissements publics. La mission de service public dont bénéficient les établissements privés ne peut pas être à géométrie variable. Tel qu’il est organisé, ce double réseau de scolarisation est une source de ghettoïsation. Les données statistiques sont édifiantes à ce sujet.

Quatrièmement, les données statistiques montrent que la ghettoïsation par le haut (c’est-à-dire l’embourgeoisement des établissements) est plus importante que la ghettoïsation par le bas. Souhaiter réduire les ghettos scolaires des catégories populaires impose de réduire également les ghettos des catégories aisées et de mettre en place une politique active de mixité urbaine source de mixité scolaire.

Extrait de cafepedagogique.net du 31.09.15 : Rentrée : Pierre Merle : Plus que jamais, le rôle central de l’Ecole

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