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L’inscription dans l’innovation, qui plus est dans l’expérimentation, requiert de la part des personnels impliqués une compétence peu développée encore : l’analyse de sa pratique et sa formalisation, sa communication à autrui. Il ne s’agit pas de la narration de faits objectifs ; plutôt de proposer l’analyse qui rend compte de l’efficacité des dispositifs mis en oeuvre.
La communication institutionnelle et visible, relatée au travers des fiches de la base Expérithèque (4700 actions recensées en cours en novembre 2015) permet de prendre la mesure de l’extrême hétérogénéité entre des contributions écrites. De manière générale, les parties portant sur l’évaluation de l’action ou du dispositif sont dites « en cours », sinon traitées de manière lapidaire. L’accompagnement de l’équipe va porter son temps et son effort sur ces parties.
Pouvez-vous alors répondre à une question triviale, "est-ce que ça marche ?", mais aussi " comment ça marche ?"
Communiquer une information ou un savoir est un processus plus complexe :
- d’abord parce qu’il y a communication, donc encodage de sens, transmission de signifiants, puis décodage, au niveau banal de tout échange symbolique ;
- ensuite parce que s’opère du côté de l’émetteur une transposition et une mise en forme de l’information ou du savoir aux fins de le rendre accessible à d’autres ; cette opération est plus difficile pour des savoirs d’action ou d’expérience, au départ faiblement discursifs et décontextualisés ;
- enfin parce que les informations ou les savoirs doivent se reconstruire dans l’esprit du destinataire, ce qui suivra des chemins et aboutira à des résultats variables, en fonction de ses champs conceptuels, de ses attentes, des savoirs et des informations dont il dispose déjà, de ses projets.
Faire état d’une pratique innovante, d’une part, s’en inspirer pour innover, de l’autre, sont des opérations encore plus complexes :
Du point de vue de l’émetteur, il est difficile de rendre compte de pratiques qui présentent une certaine opacité, qui relèvent en partie du préréfléchi, de l’intuitif, du faiblement rationnel, autant de facettes qui rendent laborieuses et coûteuses l’explicitation des façons et des raisons de faire ce que l’on fait ; si bien qu’on ne rend jamais compte de l’entier d’une pratique innovante ; les chaînons manquants, tant de l’historique que de l’argumentation, sont souvent essentiels ; le sens profond des pratiques est en général implicite, lié au contexte et aux personnes, les acteurs n’en ont même pas conscience ou ne pensent pas qu’il intéresse quiconque ; d’où l’importance du récit, moins épuré que la formalisation d’un modèle abstrait.
Du point de vue du destinataire, il ne suffit pas de " bien comprendre " comment et pourquoi les autres pratiquent pour avoir l’envie et les moyens de faire de même. Les représentations sont de l’ordre de la conscience, elles n’influencent qu’en partie les pratiques, qui sont sous le contrôle d’un habitus et de situations récurrentes autant que d’une volonté. Par ailleurs, même l’innovateur est traversé d’ambivalences.
Extrait de ac-paris.fr : Ecrire ses pratiques, écrire pour sa pratique, une évidence
Contribution à la synthèse du Séminaire " Transférer l’innovation ", Académie de Paris, Lycée Ravel, 17 février 1999.
On mesure aujourd’hui les limites d’une innovation venue d’en haut. Leurs auteurs proposent, les praticiens disposent et ont le pouvoir de diluer, dénaturer, voire réduire à néant les structures, programmes ou méthodes les mieux pensés. Le souci du transfert des innovations s’enracine dans l’échec des réformes centralisées. On rêve d’un transfert de praticiens à praticiens, ou plus justement, d’équipes à équipes, d’établissements à établissements.
Cette idée séduisante se heurte à au moins deux obstacles :
il doit y avoir des innovateurs ;
leurs façons de faire doivent être adoptées par d’autres praticiens.
Pour franchir le premier obstacle, il importe que le système éducatif et les établissements laissent assez d’autonomie aux équipes pédagogiques innovantes, leurs fassent confiance, appuient leurs efforts. Cela ne va pas de soi et ne convient en outre qu’aux innovations les plus centrées sur la salle de classe et l’établissement. L’évolution des programmes et des structures peut difficilement se faire sur le mode de l’initiative locale et de la dissémination.
Admettons toutefois que ce processus soit prometteur pour une partie des innovations et que le système le soutienne activement et avec persévérance. Reste alors le second obstacle : l’émergence de pratiques innovantes ne garantit nullement leur adoption par d’autres enseignants. Le " transfert " n’a rien d’automatique. On commence à s’en rendre compte. D’où la vogue des réseaux et des dispositifs de valorisation des innovations, qui ont au moins le mérite de ne pas croire que les innovateurs clament spontanément leurs découvertes sur les toits et que les autres praticiens équipes se démènent tout aussi spontanément pour se documenter et adopter de nouvelles façons de faire dès qu’ils sont confrontés à un problème ou engagés dans un projet.
Si nul ne prend la peine de l’organiser, la communication reste très incertaine. Suffit-il de la faciliter, en offrant des lieux, des espaces, des méthodes, une forme de reconnaissance et de mise en valeur des innovations ? [...]
Extrait de « L’innovation toujours recommencée… ou peut-on apprendre de l’expérience des autres ? », par Philippe Perrenoud, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève,
intervention à la journée "Transférer l’Innovation", académie de Paris, février 1999
Contribution à la synthèse du Séminaire " Transférer l’innovation ", Académie de Paris, Lycée Ravel, 17 février 1999.
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