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Piketty et les ZEP : admission préférentielle, taille des classes dans le primaire et refonte complète des procédures d’affectation de moyens

5 décembre 2005

Extrait de « Libération » du 04.12.05 : ZEP : la discrimination positive à la française

Thomas Piketty est directeur d’études à l’EHESS et directeur du département de sciences sociales de l’ENS
En quelques semaines, la flambée de violence dans les banlieues a remis le débat sur les zones d’éducation prioritaire (ZEP) au centre de l’actualité.

Pour certains, la cause est entendue : il est grand temps de prononcer le « dépôt de bilan » des ZEP. Cette expression, propre à satisfaire tous ceux qui considèrent que l’on a déjà trop donné aux quartiers défavorisés, est d’autant plus malheureuse que le ministre de l’Intérieur a apparemment voulu dire dans le même discours que la faiblesse des moyens alloués aux ZEP expliquait leur échec.

De fait, le problème posé par les ZEP n’est pas leur existence, mais bien plutôt leur non-existence. Plus de vingt ans après leur création, la vérité est que les écoles classées en ZEP n’ont jamais véritablement bénéficié de ressources supplémentaires. En primaire, la taille des classes en ZEP est inférieure d’à peine plus d’un élève à ce qu’elle est hors ZEP, et cet écart est encore plus faible dans les petites classes. A partir des fichiers du dernier panel d’élèves d’écoles primaires collecté par le ministère, on constate par exemple que la taille moyenne des classes de CP est de 21,7 en ZEP (13 % des élèves), contre 22,4 hors ZEP (87 % des élèves), pour une moyenne générale de 22,3.
Dans le même temps, l’écart moyen enregistré au niveau des tests de compétence à l’entrée en CP est considérable entre les territoires ZEP et non ZEP, de l’ordre de 10 points, soit sensiblement le même écart que celui séparant les deux extrémités de la pyramide sociale, les enfants de cadres supérieurs et ceux d’ouvriers.

Ces chiffres disent d’ailleurs assez clairement l’ampleur de la ségrégation territoriale en France, et montrent que la procédure de classement en ZEP, malgré toutes ses imperfections, permet bien d’identifier des zones effectivement défavorisées.
Mais comment peut-on espérer corriger de tels handicaps initiaux avec 0,7 élève de moins par classe ? Si l’on ajoute à cela que les enseignants en ZEP sont souvent moins expérimentés, plus précaires, etc. et que le simple fait de classer en ZEP a souvent pour effet de stigmatiser une école et de faire fuir nombre de parents (surtout si aucun moyen réel ne vient compenser l’annonce du classement), difficile de s’étonner de l’échec des ZEP.

Face à une telle situation, on peut avoir recours à plusieurs stratégies complémentaires. L’une consiste à développer pour les lycéens issus de ZEP des dispositifs d’admission préférentielle dans les filières sélectives du supérieur, à la façon de ce que fait Sciences-Po depuis quelques années, ou de la classe préparatoire réservée aux lycéens de ZEP qui ouvrira à Henri IV à la rentrée 2006. De tels dispositifs s’apparentent aux mécanismes de discrimination positive appliquée depuis longtemps à l’entrée des universités américaines, à la différence notable près que les catégories bénéficiant d’une admission préférentielle sont ici définies sur une base territoriale et non ethnique.
Ils susciteront les mêmes débats qu’outre-Atlantique : ces politiques permettent de donner une chance à des jeunes découragés et qui n’auraient jamais osé candidater dans ces filières, mais dans le même temps ceux qui auraient pu être admis de toute façon risquent de souffrir du regard qui sera porté sur eux à la suite de leur admission « truquée ».
En l’espèce, il est probable que les effets positifs l’emportent, et augmenter le nombre de lycéens de Zep suivant avec succès ces filières élitistes (actuellement infinitésimal) pourrait avoir un impact psychologique important. Mais si de tels dispositifs étaient étendus à des effectifs autres que symboliques et devaient être généralisés à l’ensemble des grandes écoles et universités, ces débats ressurgiraient.

Surtout, cette stratégie seule ne permet pas de corriger les retards scolaires déjà considérables accumulés à l’adolescence. Il faut pour cela agir à un âge beaucoup plus jeune, dès les premières classes du primaire, où se forment des inégalités durables.
D’après les dernières estimations disponibles à partir du panel du ministère, réduire la taille des classes à 18 élèves en CP et CE1 en ZEP permettrait de réduire de près de 40 % les écarts aux tests de compétence à l’entrée en CE2 entre ZEP et non ZEP. Aucune étude ne peut dire quel serait l’impact à l’âge adulte, mais tout laisse à penser qu’il pourrait être du même ordre. Que l’on ne s’y trompe pas : une telle politique représenterait des redéploiements considérables de moyens.
Si l’on souhaitait la mettre en oeuvre à moyens constants (le primaire est globalement bien doté en France), elle entraînerait une légère hausse des effectifs hors ZEP, sans impact réel sur les enfants concernés, mais qui ferait bondir les parents en question.

Surtout, elle exigerait une refonte complète des procédures d’affectation de moyens actuellement appliquées par l’administration. Plus difficile à mettre en oeuvre, une telle politique aurait pourtant le mérite de dessiner une forme de discrimination positive à la française, fondée sur l’allocation de réels moyens supplémentaires aux territoires qui font face aux plus lourds handicaps, et non pas sur la seule logique de l’admission préférentielle

Thomas Piketty

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