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La préhistoire des zones d’éducation prioritaire : rôle du Parti socialiste
La création des zones d’éducation prioritaire en 1981 par Alain Savary, ministre de l’Education nationale, n’a été possible que par l’action et l’engagement du Parti socialiste. Il ne faut pas oublier que sans l’élection le 13 mai 1981 de François Mitterrand à la présidence de la République le dispositif créé à cette date n’aurait probablement, pas vu le jour. L’objet de la présente note est de retracer l’histoire de la prise en compte du concept par le Parti socialiste et ses militants. Il ne faut pas oublier qu’avant 1981, le seul parti de gouvernement à porter l’idée des « ZEP » était le Parti socialiste.
Avant mai 1981
Le congrès d’Epinay de 1971 est caractérisé par la victoire d’une alliance de diverses tendances animées par Pierre Mauroy, François Mitterrand soutenu par les anciens de la Convention des institutions républicaines (CIR), et Jean-Pierre Chevènement leader du Centre d’Etude Républicain et Socialiste (CERES). Cette alliance a un mandat : conclure une alliance de toute la gauche autour d’un programme commun. Les négociations, menées rapidement aboutissent à la signature du programme commun de gouvernement signé par les trois partis de gauche, le Parti communiste, le Parti socialiste et le mouvement des radicaux de gauche. Le volet éducatif du programme commun en reste aux généralités. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque le débat éducatif est dominé par le Parti communiste et sa revue « L’école et la nation » animée par Pierre Juquin.
Il fallait préciser les positions du Parti socialiste en matière d’éducation. Ce fut le travail de la commission d’études ad hoc, composée comme toutes les instances du parti à la proportionnelle des différents courants. Un premier texte provenant pour l’essentiel des militants animant la revue « Ecole et Socialisme », proche du courant A de la FEN (cf. ci-dessous) rencontra une certaine opposition et ne fut pas retenu.
Il ne faut pas oublier que de 1971 à 1974 le débat éducatif au Parti socialiste était marqué par les luttes syndicales autour du contrôle de la principale organisation syndicale du monde enseignant : la Fédération de l’Education Nationale (FEN). Le courant dit A de l’organisation avait la majorité, contrôlait le syndicat des instituteurs (SNI-PEGC) et était animé principalement par des militants socialistes proches du courant de Pierre Mauroy. Le courant dit B contrôlait le syndicat des professeurs de second degré (SNES), il était animé par des militants communistes, mais des militants socialistes y participaient.
Chacun des syndicats précités avait sa propre analyse du système éducatif et avançait des propositions différentes voire opposées. Le SNI-PEGC s’était prononcé pour un projet d’école fondamentale ouvert à tous les enfants de 6 à 15 ans, le SNES pour un projet d’école progressive consacrant une césure marquant l’entrée en classe de 6ème, le SGEN-CFDT militait pour un grand second degré comme le SNES, mais affirmait l’autonomie du collège comme cycle distinct. Une rencontre des militants socialistes engagés dans le secteur éducatif eut lieu à Clichy. Le débat fut vif, certains militants avaient comparé l’ambiance qui y régnait au parlement de Beyrouth !
Il fallait sortir par le haut de ces querelles de contrôle des organisations syndicales en reprenant le débat de fond. En 1974, Louis Mexandeau, député du Calvados, fut nommé délégué national du Parti socialiste à l’éducation et anima la commission éducation. Après un bref débat, la commission décida unanimement de rédiger un programme complet pour l’éducation nationale. Il fallait respecter ce qui était déjà acté dans le programme commun et dans le programme socialiste et trouver des compromis, ou des synthèses entre les différents projets syndicaux, autrement dit, on marchait sur des œufs !
On connaissait l’expérience menée par Alain Bourgarel à l’école du port à Gennevilliers qui scolarisait les enfants dont les familles avaient été relogées après la destruction du bidonville de Nanterre. Ayant connaissance d’une expérience analogue en Angleterre, il avait introduit la notion de zone d’éducation prioritaire et elle avait été adoptée par le SGEN-CFDT. Mais l’équipe éducation du Parti socialiste ignorait l’expérience anglaise et ne connaissait que l’expérience de Gennevilliers et les propositions du SGEN-CFDT.
Mais on avait aussi lu les analyses de Pierre Bourdieu et de son équipe sur le fonctionnement du système éducatif qui reproduisait les inégalités sociales. On était à la recherche d’un dispositif susceptible de lutter contre la reproduction par l’école de la hiérarchie des classes sociales. Outre les propositions relatives à la culture scolaire dispensée dans les établissements, le dispositif ZEP a vite fait l’unanimité du collectif chargé de l’élaboration du programme. Dès la rédaction du premier texte est apparue la notion « d’école inégalitaire » : il s’agit de consacrer davantage de moyens pour les jeunes n’ayant pas accès comme leurs camarades plus favorisés aux biens culturels, mais en soulignant qu’il n’est pas question de tailler une culture pauvre pour les pauvres.
Pour tenir compte des diverses sensibilités des militants intéressés par le système éducatif, la rédaction du programme s’est faite en trois étapes, prudence ! Un premier texte, modestement appelé « document de travail », fut envoyé aux fédérations départementales pour débat et propositions d’amendements. Plusieurs fédérations ont invité des membres du collectif pour explicitation du texte et environ 200 amendements sont remontés. S’il a fallu expliciter le terme « école inégalitaire » qui faisait choc, la proposition de création de ZEP a fait rapidement l’unanimité des militants malgré les réticences que l’on ressentait dans le milieu syndical de la mouvance FEN, ce qui a surpris les rédacteurs du document de travail. Rompre avec un combat syndical séculaire qui avait imposé l’idée du traitement égalitaire des institutions et des personnels c’était prendre le risque d’ouvrir la porte à l’arbitraire et au favoritisme.
De plus la proposition venait d’un syndicat minoritaire souvent combattu par la puissante FEN. Mais au sein du PS l’argument ne fut pas entendu, il reviendra au moment de la mise en place concrète après la prise de pouvoir. Pourquoi ? Deux hypothèses non contradictoires peuvent être avancées. Il est difficile pour un militant de gauche de s’opposer à une mesure favorisant les plus pauvres. On pouvait aussi penser que la complexité de la mise en œuvre rapide du dispositif, surtout quand on connaissait l’ampleur des attentes, ferait qu’il y aurait d’autres priorités et que la proposition serait rangée dans le catalogue des promesses électorales qui n’engagent que ceux qui les écoutent.
Après mai 1981
A son arrivée rue de Grenelle, le nouveau ministre, Alain Savary fut rapidement convaincu par l’idée d’une mise en œuvre immédiate de zones d’éducation prioritaire. Il avait nommé à son cabinet Christian Joint-Lambert comme chargé de mission auprès du ministre. Conseiller-maître à la Cour des comptes, ce dernier avait fait partie dès 1975 de l’équipe éducation du Parti socialiste et participé activement à la rédaction du Plan socialiste pour l’éducation. La création au collectif budgétaire de l’automne 1981 de 11 000 postes dans l’Education nationale était l’occasion de faire du neuf sans faire appel au fameux redéploiement des moyens qui engendrait frustrations, résistance militante aux initiatives du ministère. On ne prenait aucun moyen à quiconque pour innover.
Une première circulaire fut publiée le 1er juillet 1981 après avoir été soumise pour avis à plusieurs personnes ou institutions. Pour sa part la délégation à l’éducation du Parti socialiste rédigea divers amendements tenant compte des remontées du terrain. Ils furent transmis au cabinet du ministre via Christian Joint-Lambert qui avait le dossier en charge. Il s’agissait essentiellement de préciser les critères retenus pour la création d’une zone prioritaire, de rendre obligatoire l’existence d’un projet pédagogique pour la zone retenue. Rédiger un projet était une procédure inhabituelle dans la maison Education nationale où la coutume était plutôt de combiner application des circulaires et liberté pédagogique de l’enseignant.
A la publication au Bulletin officiel de la circulaire portant création et fonctionnement des zones prioritaires les instances fédérales et nationale du Parti socialiste ont ressenti des réticences diverses, comme une gêne, mais qui n’allait jamais jusqu’à une opposition déclarée. Il y avait ceux qui trouvaient curieuse la méthode du ministre faisant appel au volontariat, ordinairement c’est le ministre et son administration qui décide, ceux qui étaient réticents pour rédiger un projet de zone, ceux qui avaient des inquiétudes quant à la répartition inégalitaire des moyens. Pour couronner le tout, il y avait ceux qui au fond ne croyaient pas à la réussite du dispositif, tel haut responsable syndical déclara « off » : « les zones prioritaires je m’en bats l’œil », reconnaissant quelques années après qu’il s’était largement trompé !
L’attraction créée par la perspective de moyens supplémentaires engendrait aussi un autre danger, celui de la dilution, avec des arguments du type : et pourquoi pas nous ? Comme ces militants laïques de l’Ouest qui voulaient une vaste zone prioritaire pour résister à la pression de l’enseignement privé.
Plus sérieusement il y avait la crainte de voir certains quartiers, certaines zones stigmatisés comme étant des lieux d’échec scolaire que les bons élèves s’efforceraient de fuir, inquiétude portée essentiellement à l’époque par le Parti communiste et ses élus. On a vu par la suite qu’elle n’était pas complètement fausse.
Pour faciliter la mise en place des zones prioritaires, le Parti socialiste se mobilisa pendant l’hiver 1981-82. Il y eut des manifestations publiques comme le colloque organisé à Lille en présence d’Alain Savary sur la lutte contre les inégalités sociales à l’école (12 janvier 1982, jour du coup d’état de Jaruzelski en Pologne !), les articles de la revue « Ecole et Socialisme ». Surtout le réseau des adjoints socialistes à l’éducation des municipalités d’union de la gauche fut mobilisé, y compris quand le maire était communiste, cela a pesé dans l’acceptation du dispositif par la population.
Jean.Louis Piednoir
(Secrétaire de la commission enseignement 1974-1981, délégué national 1981-1984 au Parti socialiste)
Note du Quotidien des ZEP : Jean-Louis Piednoir développe dans ce texte l’intervention orale qu’il a faite dans la salle le 1er juillet 2016 lors du débat avec le public.