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Après les émeutes, le point de vue des maires sur la situation en Seine-Saint-Denis

22 février 2006

Extrait de « Libération » du 21.02.06 : En Seine Saint-Denis, les maires désespèrent

Rien n’a changé depuis les émeutes, assurent les élus, stigmatisant l’absence de mobilisation de l’Etat. Retour dans un département encore meurtri.

Comme si rien ne s’était passé, ou presque. Quelques subventions rétablies en urgence, des dossiers de renouvellement urbain en cours d’instruction, et pas grand-chose d’autre. Trois mois après les nuits de violence qui ont embrasé une vingtaine de villes de Seine-Saint-Denis, les maires concernés déplorent que l’Etat n’ait toujours pas pris de mesures exceptionnelles en faveur du département. Et beaucoup se demandent si le gouvernement n’a pas tout simplement remis le couvercle sur la marmite, sans se demander pourquoi elle avait explosé.

A Clichy-sous-Bois, d’où sont parties les émeutes le 27 octobre, c’est le statu quo. « J’interpelle l’Etat depuis trois mois pour qu’il débloque deux dossiers symboliques pour les Clichois, explique le maire PS Claude Dilain. Le premier concerne l’implantation d’un commissariat de plein exercice et le rétablissement d’une forme de police de proximité. Le second porte sur le désenclavement de la ville en matière de transports : nous voulons être raccordés au tramway qui va passer près de chez nous. » Pour l’instant, aucune réponse.

Quant aux dégâts causés par les jeunes émeutiers, Claude Dilain affirme que le ministère du Budget refuse toujours de créer un fonds national d’indemnisation, quitte à laisser les collectivités locales négocier en tête à tête avec les assurances. Pour la seule ville de Clichy-sous-Bois, les compagnies imposent désormais une franchise de 2 millions d’euros sur les bâtiments communaux, en cas d’émeutes. « Autant dire qu’on est proches de l’autoassurance, dit le maire. Quand je pense que l’Etat avait indemnisé les stations de ski en raison du manque de neige... La cause des banlieues vaut celle des remontées mécaniques ! » Jusqu’à maintenant, seule la région Ile-de-France a fait un geste en débloquant 20 millions d’euros pour les collectivités locales, plus 2 millions d’euros destinés aux automobilistes qui ont vu leur véhicule brûler.

« Rien vu ».

Autre ville, même galère : Sevran, 50 000 habitants, est l’une des communes les plus pauvres du pays. Là encore, Stéphane Gatignon, le maire communiste, ne peut que constater l’inertie des pouvoirs publics. « On a cru qu’avec les événements on aurait une écoute particulière pour les villes en grande difficulté comme la nôtre, mais on n’a rien vu venir », dit ce jeune élu qui n’arrive plus à boucler les fins de mois de sa mairie. Si les assurances ont remboursé le gros des dégâts, la facture finale s’élève tout de même à 600 000 euros : des plaques de bitume fondues, des éclairages cassés, des portes fracturées... « On aimerait que l’Etat intervienne au moins dans les discussions avec les assurances. » Deux points positifs toutefois depuis la crise : l’instruction des dossiers de renouvellement urbain (réhabilitation de logements, pour l’essentiel)a subi une légère accélération. Et, surtout, les associations commencent à retoucher les subventions que le gouvernement Raffarin avait supprimées.

Lettre à l’Elysée.

Selon Stéphane Gatignon, ce manque de réaction de l’Etat relève d’un mauvais calcul : « Comme on l’a vu en novembre, les poches de pauvreté, un jour, cela éclate et cela touche tout le monde. » Dans une lettre ouverte qu’il a envoyée le 1er février à Jacques Chirac, il a fait plusieurs propositions pour que « l’Etat joue son rôle » : classer toute la ville en zone urbaine sensible (ZUS), aider à la réhabilitation des logements, rénover complètement la gare RER de Sevran-Ligny... Une démarche inhabituelle mais rapidement imitée par le président PCF du conseil général, Hervé Bramy, qui s’est lui aussi fendu d’une lettre ouverte au chef de l’Etat (lire encadré page précédente). « Nous nous adressons directement à Chirac, explique l’élu communiste, car le Premier ministre, à qui j’ai déjà écrit plusieurs fois, n’a visiblement pas pris conscience du gouffre qui se creuse au sein de la population française. »

Sans aller jusqu’à partager ce genre de considérations tranchées, Jean-Christophe Lagarde, maire (UDF) de Drancy, constate aussi que « l’Etat n’a pas donné un centime supplémentaire depuis trois mois ». Point noir : dans sa ville de proche banlieue, « il n’y a jamais eu aussi peu de policiers, et cela se ressent sur les courbes de la délinquance ». En revanche, le maire a vu son dossier de renouvellement urbain avancer à grands pas ces dernières semaines. « Mais je pense que cela résulte de ma médiatisation personnelle, et pas d’un effort spécifique pour la Seine-Saint-Denis. » La preuve : l’Etat s’est fait très discret quand il s’est agi, en décembre, de fermer trois centres de soins de la Croix-Rouge dans des villes pourtant touchées par les violences : Drancy, Epinay-sur-Seine et Le Blanc-Mesnil. Après un pataquès administratif (fermeture puis réouverture temporaire des centres), la Croix-Rouge doit prendre une décision définitive le 9 mars.
La préfecture positive.

Du côté de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, à Bobigny, on met en avant l’action de l’Etat après la crise des banlieues. La conséquence la plus visible tient dans la nomination d’un « préfet délégué à l’égalité des chances », Hervé Masurel, nommé le 11 janvier en Conseil des ministres. Tout juste débarqué de Haute-Saône, sa première mission consiste à « faire en sorte que les crédits débloqués par le Premier ministre (100 millions d’euros pour toute la France, ndlr) se retrouvent rapidement dans les caisses des associations ». Son prochain objectif, dit-il, sera d’accélérer la mise en place des « équipes de réussite éducative » qui doivent aider les élèves en dehors du temps scolaire.

Enfin, aux élus locaux qui se plaignent de ne pas avoir obtenu de rallonge budgétaire après les violences, Hervé Masurel rappelle que la dotation de solidarité urbaine (DSU), pour la Seine-Saint-Denis, a littéralement explosé sur la période 2003-2005 : + 35 % en deux ans, pour atteindre un niveau record de 45,8 millions d’euros à la fin de l’année dernière. Une aide structurelle, non liée à la crise récente, dont la plupart des élus locaux de la Seine-Saint-Denis parlent assez peu, jugeant la somme sans commune mesure avec l’« urgence sociale » qui s’est manifestée lors des nuits d’émeutes.

Thomas Lebègue

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