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Philippe Meirieu répond à Gilles de Robien

27 février 2006

Extrait de « L’Expresso » du 27.02.06 : Meirieu répond à Robien

"Il faut sortir de l’idéologie du pédagogisme" a annoncé le ministre de l’éducation nationale lors de la convention UMP. Philippe Meirieu lui répond en soumettant à la critique ces propos. "Ceux qui font profession d’anti-pédagogisme ne savent guère que stigmatiser les pédagogues et sont bien ennuyés pour proposer des alternatives : la méthode syllabique, le « retour » de l’autorité, les policiers dans les établissements scolaires, les bons élèves des collèges de ZEP dans les « bons » lycées... voilà à peu près leur programme... Avec, bien sûr, la suppression des TPE, des PPCP et des IDD... mais tout en se gardant bien de nous dire ce qu’ils feront à la place ! Des « cours » sans doute !

Oui, mais comment ?

Avec quelles méthodes qui permettent à tous les élèves de s’y intéresser ?

Avec quelles activités qui leur permettent de s’y impliquer ?

Et en s’assurant comment qu’ils sont bien assimilés ?"

Pour Philippe Meirieu le ministre vise simplement l’exclusion des élèves les plus faibles. "Derrière le pédagogisme, ce qui est attaqué, c’est la tradition pédagogique elle-même, celle qui ne se résigne jamais à traiter l’échec par l’exclusion, celle qui, héritée de Pestalozzi et d’Hugo, de Jean Zay et de Langevin-Wallon parie sur l’éducabilité des hommes et associe, dans un même mouvement, apprentissage et émancipation. C’est cela dont on ne veut plus. Mais il faudrait le dire franchement..."

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Extrait du site de Philippe Méirieu du 25.02.06 : « Sortir de l’idéologie du pédagogisme »

Ainsi le ministre de l’Éducation nationale vient-il de déclarer, en ouverture de la convention de l’UMP pour l’éducation, le 22 février, qu’il fallait « sortir de l’idéologie du pédagogisme » qui a « déconsidéré les apprentissages élémentaires » et a été « imposée aux enseignants ». Ces derniers auraient bien tenté, jusqu’ici, de s’en débarrasser, mais en vain ! « Il suffit, d’ailleurs, ajoute-t-il, de prendre un peu l’avis des jeunes enseignants qui sortent de l’IUFM pour savoir ce qu’ils pensent de ces doctrines. »

Mais de quoi s’agit-il exactement ? Qu’est-ce que « le pédagogisme » ? J’avais tenté de m’expliquer sur cette « notion », il y a environ un an, dans Le Figaro [cliquer ici pour obtenir ce texte]. Mais les explications comptent peu : nous ne sommes pas ici dans la rationalité, mais dans une logique du bouc émissaire, dans une sorte de grand récit mythique où de méchants dragons pédagogistes auraient anéanti les savoirs et confié la jeunesse française à des esprits malins et pervers chargés de les occuper avec quelques jeux démagogiques.

Livrés à eux-mêmes, sans outils intellectuels pour se construire, les jeunes se seraient alors laissé aller à la consommation frénétique du crétinisme audiovisuel, auraient définitivement perdu toute compétence en lecture et, même, pour les plus « méchants » d’entre eux, auraient fomenté des « émeutes urbaines »... Et voilà qu’arrive le Chevalier blanc qui va mettre un terme à cette gabegie, rassurer les bonnes gens terrés dans les caves, leurs classiques sous le bras, pour « sauver les Lettres » !

On ne répond pas à une telle présentation par des arguments... D’autant plus que le Chevalier blanc est spécialiste des retournements de situation : « Si les pédagogistes se défendent d’avoir fait tout le mal qu’on leur reproche, c’est justement qu’ils sont coupables ! » Que rétorquer à cela ? Pour autant et, si tant est qu’il existe quelques personnes, au sein de l’Éducation nationale, capables d’entrer encore dans un débat, il faut bien fourbir quelques armes... Alors, faisons simplement quelques remarques sans préjuger de leur utilité.

• Le pédagogisme est une idéologie, dit le ministre. Une idéologie qui met « l’élève au centre » et « affirme qu’il doit construire ses propres savoirs grâce aux situations organisées par le maître ». Et l’anti-pédagogisme, lui, qu’est-il ? Une science ? Qui s’appuie sur quelles théories ? Qui promeut quelles pratiques ? En réalité, ceux qui font profession d’anti-pédagogisme ne savent guère que stigmatiser les pédagogues et sont bien ennuyés pour proposer des alternatives : la méthode syllabique, le « retour » de l’autorité, les policiers dans les établissements scolaires, les bons élèves des collèges de ZEP dans les « bons » lycées... voilà à peu près leur programme. Avec, bien sûr, la suppression des TPE, des PPCP et des IDD... mais tout en se gardant bien de nous dire ce qu’ils feront à la place ! Des « cours » sans doute ! Oui, mais comment ? Avec quelles méthodes qui permettent à tous les élèves de s’y intéresser ? Avec quelles activités qui leur permettent de s’y impliquer ? Et en s’assurant comment qu’ils sont bien assimilés ? Mais, surtout, il ne faut pas poser ces questions : elles sont le signe indiscutable que l’on est pédagogiste ! Les anti-pédagogistes ont la victoire facile : il leur suffit de délégitimer à l’avance toute question qui serait susceptible de les remettre en question...

• Le pédagogisme triomphe dans les classes, continue le ministre. Les professeurs auraient donc abandonné toute volonté de transmettre les savoirs - en particulier, fondamentaux - pour obéir aux ordres du clan des pédagogues. Il faudrait quand même regarder les choses de plus près : quels professeurs et combien ont renoncé à transmettre ? Ce soupçon n’est-il pas insultant pour eux qui, justement, s’ingénient, au quotidien et face à des difficultés parfois considérables, à transmettre ? En réalité, les professeurs du premier comme du second degré ne demandent qu’à enseigner ; ils ont, d’ailleurs, choisi ce métier pour cela. Et les soupçonner d’y avoir renoncé, quand ils demandent, justement, qu’on les aide à le faire, est une forme de mépris. Quant à la férule des pédagogistes, elle s’exprime comment ? À travers les corps d’inspection qui sont entièrement dévoués à l’animation socioculturelle et talonnent les enseignants au quotidien pour qu’ils renoncent à toute exigence ? À travers les multiples formations obligatoires qui, tout au long de la carrière et pendant de longues semaines, embrigadent les professeurs ? À travers les médias où - chacun le voit bien - les pédagogistes règnent en maîtres et exhortent leurs collègues à abandonner l’étude de Maupassant et Molière pour la remplacer par celle de Dragon Ball Z ? Citez donc vos sources ! On ne demande qu’à voir !

• Le pédagogisme est récusé massivement par les jeunes enseignants, poursuit le ministre. Là encore, il faut y regarder de près. Qu’est-ce qui est refusé par les jeunes enseignants, en réalité ? L’infantilisation imposée par un système de formation professionnelle qui doit, en six mois, répondre à toutes les sollicitations... du ministre précisément ! La formation à la prévention routière, à la lutte contre les toxicomanies, à la Défense nationale, à la prévention des accidents du travail, à la multiplicité des « mentions » et « certifications » complémentaires de toutes sortes, a fait crouler les IUFM sous des contraintes ingérables. Face à cette avalanche de demandes et au temps dont elle dispose, la formation ne peut guère faire autre chose que de juxtaposer des cours sur le modèle de l’enseignement secondaire. Et puis, regardons d’encore plus près : que demandent les jeunes enseignants ? Une formation plus poussée dans le domaine de la gestion des classes hétérogènes et des publics difficiles, sur la question des sanctions ou des relations avec les parents ! Toutes questions qui relèvent précisément de... la pédagogie ! De celle dont se revendiquent les pédagogues exactement. Ce qui est récusé, c’est plutôt le « didactisme » que le « pédagogisme » : le didactisme qui assèche les savoirs et ne donne aucun outil pour les transmettre. Mais accuser ce didactisme imposerait, sans doute, au ministre de changer un peu de stratégie et de s’interroger sur ses propres alliances.

• À moins qu’en réalité, le ministre ne veuille, tout simplement, éradiquer la pédagogie ? Je le crains. Je crois, en effet, que derrière le pédagogisme, ce qui est attaqué, c’est la tradition pédagogique elle-même, celle qui ne se résigne jamais à traiter l’échec par l’exclusion, celle qui, héritée de Pestalozzi et d’Hugo, de Jean Zay et de Langevin-Wallon parie sur l’éducabilité des hommes et associe, dans un même mouvement, apprentissage et émancipation. C’est cela dont on ne veut plus. Mais il faudrait le dire franchement...

Je me permets de conseiller au ministre (et à chacune et chacun) de (re)lire quelques textes de Gustave Monod dont le dévouement à la Nation n’est pas en cause et qui, en 1945, publia une série de circulaires et de documents dont on ferait bien de se souvenir et de s’inspirer.

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