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Habiter, un impensé de la politique de la ville, Barbara Allen et Michel Bonetti, janvier 2018 (Editions de l’Aube) : entretien de la Revue Sur Mesure avec les auteurs

26 juillet 2018

L’Habiter, un impensé de la politique de la ville

Barbara Allen, Michel Bonetti, « L’Habiter, un impensé de la politique de la ville »,
Éditions de l’Aube, janvier 2018

Après plus de 30 ans de recherches dans les quartiers de la politique de la ville, les auteurs livrent dans leur dernier ouvrage une approche sensible qui replace l’habitant au cœur des problématiques. Une analyse réconciliant le social et l’urbain esquisse des solutions concrètes et opérationnelles en réponse aux situations rencontrées par les professionnels de la ville.

À l’occasion de la sortie de leur livre L’Habiter, un impensé de la politique de la ville (éditions de l’Aube) nous avons souhaité rencontrer Barbara Allen et Michel Bonetti, chercheurs consultants au Sens Urbain après avoir été directeurs de recherche du Laboratoire de Sociologie Urbaine Générative au CSTB.

Les quatre chapitres de ce livre décortiquent trente années de politique de la ville et détaillent une analyse atypique des facteurs d’échec et de réussite de cet investissement national en faveur des quartiers défavorisés. Les auteurs ont choisi, comme le préconisait en 2013 la cours des comptes dans son rapport intitulé « La Politique de la Ville une décennie de réformes », de réconcilier les volets urbain et social. Ils définissent la notion d’habiter comme une rencontre : celle de l’habitant avec son cadre de vie. Il en découle une analyse fine des modes d’habiter, basée sur le rapport de l’individu à son habitat et permettant une lecture précise des dysfonctionnements locaux. Le rapport qu’entretiennent les ménages à leur logement et à leur quartier est croisé avec leurs projets et leurs parcours résidentiels, afin de décrire un large panel de situations habitantes.

Barbara Allen et Michel Bonetti le rappellent : on a trop longtemps sous-estimé les capacités de l’habitat à constituer un levier d’intégration sociale. Des mécanismes complexes sont mis en lumières dans la construction du rapport à l’habitat : le rapport aux autres, voisins, résidents du quartier, ou de la ville, mais aussi le rapport du quartier à son environnement proche et lointain. Aménités, déplacements, existence d’un ailleurs désirable, capacités à se projeter dans un nouvel habitat, tous ces facteurs participent à l’appropriation et à l’acceptation -ou non- de son cadre de vie, et ont des répercussions directes sur l’investissement de la population dans les structures sociales locales et le soin accordé aux espaces publics et collectifs.

Ce que les auteurs nous enseignent, c’est que les pratiques et les représentations liées à un quartier ne sont jamais le fruit du hasard et se construisent sur des aspects bien réels dont les acteurs publics ou para-publics peuvent avoir la maîtrise. Nous les avons rencontrés en janvier dernier, dans un café du 9e arrondissement pour en savoir plus sur leur démarche et leur travail.

Entretien

C’est à partir de nombreux travaux menés autour de l’habitat et du logement (habitat individuel dense, habitat tzigane…) que les deux chercheurs ont commencé à nourrir le sujet de l’habiter dans les grands ensembles et à s’intéresser plus particulièrement à la notion d’intimité. Ils affirment que les grands ensembles ne sont pas seulement issus de contraintes techniques et économiques mais également - et surtout - de choix politiques. Un parti-pris revendiqué, en rupture avec les discours courants sur le sujet, et qui donne une coloration particulière aux thèses soutenues dans leur ouvrage.

Sur-Mesure : Quels constats portés sur la politique de la ville ont motivé votre recherche ?

À vrai dire, ça ne s’est pas complètement passé dans ce sens : nous avons travaillé pour la Caisse des Dépôts et Consignations qui avait mis en place un vaste programme d’évaluation dynamique dans le cadre de la Politique de la Ville. Un outil d’aide à la conduite du changement, pour informer les acteurs et leur permettre d’ajuster les actions qu’ils conduisaient. Nous avons également montré qu’il fallait faire évoluer les organisations, ce qui constitue un autre grand impensé de la Politique de la Ville. Dans ce cadre, nous avons mené un travail avec de nombreuses structures et particulièrement les bailleurs sociaux. Ces derniers avaient organisé une décentralisation de leur gestion de proximité (en 1990) à une échelle très fine. Cela posait la question des effets sociaux, mais aussi de ce qu’on entend par « effets sociaux » : c’est par là que tout a commencé.

Dès le début, Michel était convaincu que si les organisations ne bougeaient pas, tout cela ne servait à rien. Rétrospectivement (et c’est une des erreurs que nous avons commises) nous sommes partis des bailleurs car, à l’époque, ce sont eux et non les villes qui assuraient la gestion urbaine de proximité. Nous avions le sentiment que dans tous les projets qui étaient conduits dans les quartiers, on ne se préoccupait pas du fait que ce sont avant tout des lieux d’habitat pour des milliers de personnes. Ils étaient appréhendés comme des lieux de concentration de certaines populations et de difficultés. On a ignoré cette opportunité : il y avait dans ces quartiers des enjeux pour les habitants, liés au fait que l’habitat constitue un levier pour améliorer les situations individuelles et collectives.

En travaillant dans ces quartiers, nous avons constaté que les diagnostics étaient trop pauvres et se restreignaient aux indicateurs établis par la Politique de la Ville, qui malheureusement, ne disent pas grand chose des pratiques habitantes. Dans nos enquêtes, de nombreux quartiers avaient les mêmes indicateurs socio-économiques, et pourtant, les dynamiques à l’œuvre étaient radicalement différentes. Pourquoi ? C’est cette question que nous avons tenté d’appréhender, afin de proposer des démarches permettant de créer des conditions d’évolution pérennes dans les quartiers prioritaires.

Les objectifs génériques de ces programmes comme « la cohésion sociale », ne sont jamais spécifiés, reformulés, adaptés aux contextes locaux. Ils ont permis d’atténuer les difficultés, sans pour autant permettre aux quartiers de sortir du dispositif. Le saucissonnage statistique de la population des quartiers ne permet pas de percevoir qu’il s’agit avant tout de personnes, c’est pourquoi nous insistons beaucoup dans le livre sur l’enjeu des identités sociales. Comme les gens sont pauvres, ils sont réduits à cette catégorie, alors que dès les années 80 des chercheurs insistaient sur un aspect fondamental, à savoir la diversité des identités sociales. Par ailleurs, pour les gens de l’extérieur, ces personnes sont assimilées au lieu où elles vivent.

[...]

Sur-Mesure : Quels sont les objectifs en termes de projet de société que vous projetez dans les quartiers en renouvellement urbain (mixité, trajectoires résidentiels) ? Est-ce que vous ne déplacez pas le curseur sur le “bien habiter”, l’intégration ?

Pas vraiment, la question fondamentale est l’enjeu du sens de l’habitat, de donner la possibilité aux habitants de trouver dans leur habitat des qualités de protection, d’intimité, de confiance1. Ces qualités vont permettre aux personnes de développer la relation la plus favorable possible à leur habitat. Bien sûr, certaines personnes sont tellement en difficulté qu’elles ont perdu tout espoir, voire la capacité d’espérer et il faudra alors des processus spécifiques pour leur permettre de se retrouver. Il faut avancer en se demandant comment les habitants peuvent trouver dans leur habitat - au sens large - les ressources pour négocier le présent et élaborer un futur possible. Certains habitants n’ont malheureusement plus accès à ce processus : ils ne parviendront pas à investir le futur, car ils n’ont plus de capacité de projection qui pourrait donner du sens au présent.

C’est pour cela qu’il faut également ouvrir la réflexion au-delà des quartiers, alors que la Politique de la Ville a essentiellement resserré la focale sur eux. Il faut envisager la manière dont les habitants peuvent accéder aux aménités urbaines et être vraiment des habitants de la ville, et donc des citoyens. Car leur vie ne se réduit pas au quartier dans lequel ils vivent. Il faut ouvrir des échelles bien plus vastes que celle du quartier, et permettre aux habitants d’y accéder. Cette ouverture permet d’offrirdes nouvelles pratiques relationnelles et des ressources identitaires nécessaires pour pouvoir se projeter dans un après.
Si un certain nombre d’habitants est de plus en plus fragilisé sur le plan économique, l’amélioration de l’habitabilité au sens large doit permettre de soutenir ces personnes.

Finalement, il faut travailler au cas par cas et réfléchir au « devenir possible » de chaque quartier et de ses habitants. Nous devons arrêter de vouloir plaquer la même chose partout, nous savons maintenant que ce n’est pas une politique publique efficace.

Barbara Allen, Michel Bonetti, « L’Habiter, un impensé de la politique de la ville », Revue Sur-Mesure [En ligne], 3| 2018, mis en ligne le 05/07/2018, URL : http://www.revuesurmesure.fr/issues/habiter-des-desirs-au-projet/l-habiter-un-impense-de-la-politique-de-la-ville

Note de la rédaction

En référence aux quatre composantes de l’habiter, détaillés dans le livre : la protection - l’abri / le ressourcement - l’intimité / la relation avec d’autres et aux autres / confiance et inscription dans une temporalité) ↩

Extrait de revuesurmesure.fr du 25.06.18 : L’Habiter, un impensé de la politique de la ville

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