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Education prioritaire et mixité sociale (3), par Marc Bablet

19 mars 2019

Education prioritaire et mixité sociale à l’école (3)

19 MARS 2019 PAR MARC BABLET BLOG : LE BLOG DE MARC BABLET
La recherche de la mixité sociale est complémentaire de la politique d’éducation prioritaire qui ne saurait être abandonnée tant qu’il y aura des quartiers où les écoles et collèges concentreront les enfants de milieux populaires. Nous voyons ce qu’il en est aux trois niveaux scolaires.

Le plus souvent quand on parle mixité sociale, on parle du collège

Quand on parle de mixité sociale à l’école, on parle le plus souvent uniquement du segment collège car on sait très peu de choses sur la maternelle et l’élémentaire et que, pour le lycée, les problèmes sont fondamentalement différents du fait de la hiérarchie des filières dont les places sont distribuées en fonction des situations scolaires, elles-mêmes fruit, au moins partiellement, des hiérarchies sociales de départ.

Tout d’abord, quel que soit le niveau, les différences les plus perceptibles sont entre le public et le privé. Aussi si on veut vraiment travailler sur la question de la mixité sociale à l’école, il faut fortement interroger le fonctionnement du rapport public/privé.

Au collège public il y a 19.7% de très favorisés et 41.7% de défavorisés dans le public alors qu’il y a respectivement 38% de très favorisés et 18.8% de défavorisés dans le privé. On pourrait dire d’une certaine manière qu’il y a autant de mixité sociale de part et d’autre puisque l’on observe une simple inversion des données, mais évidemment par rapport à la moyenne française au niveau collège qui est de 36.8% de défavorisés et de 23.6% de très favorisés, on voit bien la distorsion en faveur d’une composition sociale des collèges privés qui accueillent beaucoup de très favorisés. Évidemment cela explique bien davantage la réussite de ces collèges privés que d’éventuelles pratiques d’enseignement qui seraient de meilleure qualité comme le croient trop souvent les personnes qui ne sont pas informées de la question sociale en éducation.

Il faut bien voir que les collèges REP+ ont été choisis en fonction de leur situation sociale et qu’ils présentent en conséquence 75.1% d’enfants d’ouvriers et d’inactifs tandis que les REP en présentent 61.2% avec en regard des taux de favorisés ou très favorisés très faibles. A l’évidence ces collèges sont loin de la mixité sociale moyenne donnée ci-dessus dans le public. Leur écart vis-à-vis du privé est impressionnant. A partir de quel niveau dire que l’on perd la mixité sociale dans les collèges ? C’est une question qui est tranchée en fait par la décision politique de limitation de l’éducation prioritaire à environ 20% des élèves du collège public. En réalité nous avons, sur les quelques 5294 collèges publics, un continuum de situations sociales et la décision de définir où on place le curseur relève d’un choix politique et non d’une décision scientifique ou statistique.

Quand j’entends dire aujourd’hui qu’il faut mieux prendre en compte la ruralité dans la carte de l’éducation prioritaire, je revis la période de 1997 où l’on avait étendu la carte ce qui avait de fait amené à une dilution des moyens pour les plus défavorisés et je suis inquiet. Depuis, RAR, ECLAIR et REP+ ont permis de recentrer la part forte de la politique sur le cœur des besoins qui sont dans les villes et leurs banlieues. Comme citoyen je suis convaincu qu’il faut maîtriser les priorités si on veut qu’elles soient vraiment prioritaires. Non que je penserais que la ruralité n’a pas de raison d’être en éducation prioritaire : quand les situations sont défavorisées en rural comme en ville, il faut le même traitement. Ce que nous avons fait pour la carte de 2015 qui a bien des REP ruraux (25) ou dans des villes isolées (107).

A partir des constats qui sont ici proposés sur la composition sociale des collèges et prenant en compte le fait que les parents d’une manière générale ne souhaitent pas que les enfants aillent très loin pour être enseignés (sauf projet particulier de dérogation, de privé ou d’internat), on peut interroger les perspectives tracées pour développer une mixité sociale au collège.

Comment faire pour qu’un collège qui a actuellement 75% d’enfants d’ouvriers et d’inactifs n’en ait plus que 41% demain ? La seule manière démocratiquement acceptable consiste à ce que le collège accueille davantage les autres catégories sociales comme tout autre collège moyen c’est-à-dire qu’il y faudrait 19.7% de très favorisés. Personne n’a encore trouvé la manière de faire pour y parvenir. En revanche, certains ont imaginé de détruire les collèges de proximité des banlieues et de transporter les défavorisés vers les centre villes, ce que l’on a appelé le « busing » expérimenté en 2008 et qui a trouvé provisoirement une nouvelle jeunesse avec le projet de rescolarisation en centre ville de Toulouse des élèves de la Reynerie (ancien collège Badiou). C’est bien là une autre forme de discrimination que de déplacer les pauvres pour un temps limité chez les riches parce qu’on serait évidemment dans l’incapacité de faire l’inverse ou de faire résider les plus démunis dans les beaux quartiers.

Pour ma part, je ne crois pas à une politique de mixité sociale scolaire, indépendante de l’urbanisme, du logement et donc aussi de l’emploi qui détermine les zones d’activités où se trouve le besoin d’employés et d’ouvriers. Je donnerai aussi l’exemple de Nîmes où la fermeture d’un collège REP+ n’a pas permis à elle seule de gagner en mixité sociale. On y a juste déplacé le problème sur un autre collège. Je suis convaincu qu’il faut travailler la complexité de la question posée dans une perspective systémique qui mette tout sur la table. Cette question n’appelle pas des ajustements techniques mais un fort engagement politique qui n’a été jusqu’ici qu’effleuré même si le projet de Toulouse va beaucoup plus loin que la seule fermeture du collège Badiou. On y reviendra.

La question se pose aussi au lycée mais pour d’autres raisons

On retrouve le même problème de la différence public privé dans les lycées généraux et technologiques : dans le public 28.3% de très favorisés pour 30% de défavorisés tandis que dans le privé c’est 47.7% de très favorisés et 12.5% de défavorisés.

Évidemment, dans l’enseignement professionnel les proportions s’inversent, le public accueillant tous les élèves qui ne pourraient se payer une formation privée : 6.8% de très favorisés en LP publics et 57.7% de défavorisés alors que dans le privé on trouve respectivement 15.4% de très favorisés et 36.3% de défavorisés.

Au lycée ce qui est le plus frappant c’est la différence entre l’enseignement général et technologique d’un côté et l’enseignement professionnel d’un autre côté dont on sait qu’il est la conséquence d’une part des niveaux obtenus par les élèves en fin d’école obligatoire (d’où l’impérieux objectif de la réussite de tous à ce niveau) mais aussi de la situation de l’orientation dont on sait qu’elle accentue les tendances de la sélection sociale par des mécanismes connus (auto limitation des élèves et de leurs familles et prédictions professorales). En outre les politiques de l’orientation peuvent plus ou moins accentuer ces tendances. Les manières de faire actuelles ont évidemment tendance à accentuer les inégalités.

On pourrait à ce niveau être plus résolus pour aller vers davantage de lycées polyvalents accueillant des filières des trois ordres d’enseignement général, technologique et professionnel. Si l’on pensait autrement la question du lycée en ne faisant pas deux réformes (celle du lycée général et technologique d’un côté et celle du lycée professionnel d’un autre côté), on pourrait envisager de penser une seconde indifférenciée. L’égale dignité du lycée professionnel obtenue partiellement avec le baccalauréat professionnel en trois ans doit encore être recherchée plus avant.

Compte tenu du fait que les lycées recrutent beaucoup plus largement que les collèges, la question de la mixité, à lycée comparable sur le plan des offres de formation, rencontre autrement la question des territoires. De fait elle ne se pose que dans des zones larges où il y a de fortes concentrations de populations défavorisées. On peut le remarquer principalement dans des départements comme Mayotte, La Guyane, la Seine Saint-Denis ou dans de grandes agglomérations comme Lyon et Marseille et exceptionnellement dans de plus petites agglomérations comme Mulhouse. Ailleurs on peut presque partout régler le problème de la mixité sociale par la sectorisation des lycées publics même si l’exemple de Paris avec son offre atypique à recrutement de facto national dans certains lycées bien connus, montre que ce n’est pas simple à réaliser tant certaines familles favorisées ont des intérêts conçus par elles comme contraire à l’intérêt général de la mixité sociale. En outre il me semble qu’à ce niveau on peut plaider, partout où cela peut se justifier par des études approfondies, pour des internats qui auraient pour objectif de la favoriser. Ces éléments justifient que l’éducation prioritaire telle qu’elle existe actuellement ne s’applique pas au lycée de la même manière. En effet dans la plupart des réseaux, les lycées où vont les élèves de REP ou REP+ ne sont pas eux-mêmes aussi défavorisés que les collèges. On peut plaider, comme cela a été conduit dans plusieurs académies de longue date pour des politiques prioritaires pour les lycées, mais ce ne peut-être la même politique d’éducation prioritaire qui est conçue pour l’école et le collège car les situations sont très différentes, comme on vient de le préciser.

La situation de l’école est plus difficile à appréhender

Il est beaucoup plus difficile d’avoir une vision de la situation de l’école en l’absence de données sociales à ce niveau. La base élèves premier degré ne donne pas encore satisfaction en ce qui concerne la saisie des professions des parents. Toutefois des études commencent à s’appuyer sur les données àl’ IRIS (unité de territoire d’environ 2000 habitants déterminée par l’ INSEE) d’implantation de l’école afin d’approcher la question de la composition sociale des écoles dont on peut dire que leur composition sociale est davantage que celle des collèges déterminée par leur environnement très proche car dans le cas des écoles, d’une part la part du privé est très faible, d’autre part les dérogations sont moins nombreuses sauf dans certains environnements particuliers, enfin les secteurs ou périmètres des écoles déterminés par les municipalités sont le plus souvent dans la proximité immédiate de l’école.

De telles données sont disponibles pour ceux qui veulent y travailler dans le Système d’information géographique de la ville. On donne ici l’exemple de ce que l’on peut avoir sur Mulhouse qui est une ville très prioritaire.

Ces données sont particulièrement intéressantes car elles permettent de bien déterminer comment les différents IRIS sont peuplés avec des données de niveau de vie et de population mais aussi avec une rubrique « activité » qui comprend notamment la part des non diplômés. Quand on sait que cette part est un des déterminants sociaux de la réussite scolaire les plus forts, il est particulièrement intéressant de pouvoir s’appuyer sur cette connaissance pour travailler la question de la situation sociale des écoles au regard de la question scolaire. Il faut pour cela confronter la carte des IRIS avec l’implantation des écoles, ce que permet la confrontation des données cartographiques du SIG de la ville où l’on peut mettre sur le fond de carte la donnée « part des hauts diplômes par IRIS » et la donnée « établissement scolaire », qui permet de connaître le nom des écoles en pointant après avoir sollicité en haut à droite le i de « informations ». Toujours l’exemple de Mulhouse.

C’est par des analyses locales très fines, complétées avec la connaissance des périmètres scolaires que l’on peut envisager de déterminer comment travailler ces périmètres des écoles pour gagner en mixité sociale partout où c’est possible et pour voir aussi quelles sont les écoles qui ne sont pas en réseau qui appellent des appuis en termes de moyens. Si au lieu de mobiliser les IEN en ce moment pour qu’ils transmettent aux enseignants la bonne méthode de lecture du livre orange, on leur demandait de travailler avec les collectivités territoriales à de telles perspectives, on ferait sans doute œuvre plus utile.

Extrait de blogs.mediaprt.fr/marc-bablet du 19.03.19 : Education prioritaire et mixité sociale (3)

 

Le blog de Marc Bablet

Sur le site OZP,
voir le mot-clé Expert et ex-responsable MEN (Positions) (gr 3)/

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