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Circulaire de rentrée. Nouveaux commentaires critiques de chercheurs : Mireille Brigaudiot, Maryse Rebière et Véronique Boiron (le Café)

7 juin 2019

Mireille Brigaudiot : En maternelle, que faire de la circulaire de rentrée ?

Que doivent faire les maîtres d’un tel texte ?" Maître de conférences en sciences du langage, Mireille Brigaudiot est bien connue des enseignant(e)s de maternelle. Elle réagit à la circulaire de rentrée 2019. Et apporte sa réponse. Pour elle, c’est évident : rien.

L’introduction de la circulaire de rentrée (note de service n°2019-087 du 28-5-2019) pose un principe : seule une politique d’élévation générale du niveau des élèves peut permettre à l’Ecole républicaine de répondre à sa mission et de lutter efficacement contre les déterminismes. Tout le monde sera d’accord pour « élever le niveau », à condition de préciser ce que ça veut dire. En revanche, personne ne pense que seul l’objectif des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui) soit la réponse à l’injustice d’une école qui aggrave les écarts.

La volonté d’une maternelle moins injuste était l’objectif n°1 du programme 2015, suite à la loi d’orientation du 8 juillet 2013. C’est ce qui a justifié des orientations cohérentes, notamment l’évaluation positive qui s’intéresse aux progrès d’un enfant par rapport à lui-même, les conseils pédagogiques fondés sur des données développementales, une conception du langage en tant qu’activité de haut niveau, potentiellement partagée par tous les enfants à la naissance.

Et maintenant ?

Programme 2015 : Le mot « langage » désigne un d’ensemble d’activités mises en œuvre par un individu lorsqu’il parle, écoute, réfléchit, essaie de comprendre et, progressivement, lit et écrit.

Note de service 2019 (n°2019-084 du 28-5-2019) : Le langage est fait de mots, de phrases, d’intentions, de prosodie ; il apparait fluide. L’enfant parle mais il ignore que ce langage peut se découper en plusieurs catégories – la phrase, le mot, la syllabe, le phonème.

Il est clair que les maîtres ont apprécié le Programme 2015, notamment parce qu’il reconnaissait enfin le jeune enfant comme acteur de ses apprentissages, et même les plus intellectuels. Mais nous voici dorénavant avec une conception d’un langage – matériaux ? (du phonème à la phrase, comme autrefois…), d’un langage – discours ? (intentions), d’un langage – production d’oral ? (prosodie). On a vraiment l’impression d’un texte fait de copiés – collés.

A titre d’exemple, dans le Programme2015 et dans sa logique, on trouve 3 occurrences du verbe « découvrir » ; elles sont suivies d’aides aux maîtres qui recherchent – provoquent des découvertes sur l’écrit. Elles ont été remplacées, dans la note de service, par « comprendre le principe alphabétique ». Il suffirait donc que les maîtres proposent des activités disparates (jeux vocaux, répétitions, dictée à l’adulte, etc.) pour que la clarté cognitive descende du ciel ?. Pourtant, la découverte du Principe alphabétique comme objectif à l’école maternelle a été une réelle avancée, accompagnée par l’écriture « bruitée » des maîtres devant les enfants et les essais d’écriture qui leur sont demandés, en toute sécurité, sans attente de résultats tout de suite. Au diable ce temps perdu !

Que faire de ce texte ?

Cette note de service est un caddy de supermarché où s’entremêlent des bons conseils (exemple : parmi les écrits présents en classe, le livre tient une place prépondérante), des directives dignes du cycle 3 (exemple : le professeur est attentif au choix des mots, à leur maniement correct, à leur mise en réseau (champs lexicaux, catégories lexicales, synonymes, antonymes, familles de mots), et des vues de l’esprit (exemple : l’appropriation d’un langage oral riche, organisé et compréhensible requiert la mise en œuvre d’un enseignement structuré et systématique).

Nous avons donc une vraie question à nous poser : que doivent faire les maîtres d’un tel texte ?

Il se trouve que la tradition en termes de textes venant d’en haut est de les classer de manière hiérarchique : les lois, votées au Parlement, les arrêtés qui reprennent et complètent les lois, les circulaires et notes de service qui exemplifient les contenus des arrêtés. S’il y a contradiction entre un texte supérieur et un texte inférieur, seul le texte supérieur fait référence. Le Programme a été publié par arrêté. Il n’y a donc rien à faire de cette note de service, texte hybride dont de nombreux éléments ne sont pas conformes au Programme.

Mireille Brigaudiot
Maître de conférences en sciences du langage

Extrait de cafepedagogique.net du 04.06.19

 

Maryse Rebière et Véronique Boiron : L’école maternelle, école du langage
Les recommandations ministérielles du 29 mai 2019 qui font suite aux Assises de la Maternelle de 2018 et aux commentaires du Ministre de l’Éducation étaient attendues. Elles sont à la hauteur de nos craintes ! L’école maternelle y est présentée comme propédeutique à l’école élémentaire, essentiellement orientée vers l’apprentissage de la lecture tel que le conçoit le ministère, c’est-à-dire principalement focalisé sur le déchiffrage, comme si la compréhension ne relevait pas de la même urgence. Qu’en est-il des activités qui "nourrissent" les apprentissages langagiers, qui initient les élèves à la verbalisation des émotions physiques et artistiques ? Plus largement, qu’en est-il de la culture "maternelle" qui assure l’entrée harmonieuse des enfants dans le monde scolaire ?

Ces recommandations privilégient le langage. Le langage ou la langue ? Le langage oral est en effet réduit au matériau, phrases, mots, et phonèmes. Qu’en est-il des significations ? L’important n’est pas là, il s’agit, pour le Ministre, de glisser de cette conception minimaliste de la langue vers la nécessité de construire la conscience métalinguistique et, in fine, phonologique pour démontrer que le phonème doit être au cœur des enseignements.

L’élève, dès la Petite Section, doit être engagé dans un processus de "construction d’une conscience phonologique... de l’organisation lexicale et syntaxique". Toute la subtilité du texte réside dans ce terme de "processus", dont on oublie de rappeler que le chemin en est long et patient et que chaque enfant y progresse à son rythme, "à sauts et à gambades".

L’enfant n’est pas entré dans les usages et les pratiques langagières de l’école ? Les travaux des 30 dernières années sur le développement langagier et métalinguistique des enfants témoignent de la lenteur de ce développement ? Les compétences requises sont reconnues "difficiles à acquérir ? " Qu’à cela ne tienne, il suffit d’y "entraîner" les élèves, maitre mot de ce texte qui résume la conception dominante de l’apprentissage du ministère. L’élève s’entraine et à force de s’entrainer il s’approprie... Si c’était si simple…

En réalité, pour monsieur Blanquer, ce qui manque aux enseignants, c’est une "méthode", le mot (ainsi que "méthodique") est récurrent dans ce texte. Si pour l’apprentissage de la lecture, la question a été réglée par le livre orange, ces nouvelles recommandations amorcent l’idée d’un kit pédagogique pour l’enseignement du français à l’école maternelle, dont un exemple lumineux, détaillé en liste de points, est présenté pour la lecture des albums, comme s’il n’existait qu’une stratégie, que la recherche universitaire n’en avait pas présenté d’autres, que les enseignants n’étaient pas capables d’adapter les leurs aux besoins des élèves et au contenu de chacun des livres qu’ils leur lisent.

En effet, l’école doit répondre aux besoins des élèves. Nous en sommes d’accord, mais ces besoins ne sont peut-être pas ceux que notre Ministre identifie (déchiffrer pour mieux lire), nous pensons plutôt qu’il s’agit d’apprendre à penser et comprendre ensemble l’école et le monde.

Roland Goigoux soulignait à propos des évaluations d’entrée au CP que les objectifs ministériels se calaient sur les performances habituelles des 30% des meilleurs élèves, la focalisation sur l’enseignement du code s’inscrit dans ce projet. Que vont devenir les élèves qui ont besoin d’un étayage soutenu des enseignants ? Ceux que leur culture familiale n’a pas préparés à la culture scolaire ? Ceux qui ne comprennent pas la signification des enseignements rébarbatifs qui leur sont dispensés à un rythme soutenu ?

À l’heure où les médias nous abreuvent de redécouvertes de Steiner, Freinet, Montessori, Decroly... des "pédagogies nouvelles" (de la première moitié du XIXème siècle, mais assimilées depuis en partie par l’école française) organisées autour du respect du rythme de chacun, du partage des découvertes, des négociations... ce texte veut engager les enseignants dans une structure contraignante, balisée par des protocoles venus "d’en haut", profondément élitistes. Mireille Brigaudiot engageait récemment les enseignants à ne rien faire de ces recommandations qui ne s’inscrivent pas dans les programmes de 2015 et n’ont donc aucune force de loi. Nous soutenons cette position...avec force !

Maryse Rebière et Véronique Boiron,

AFEF
LabE3D Université de Bordeaux

Extrait de cafepedagogique.net du 07.06.19

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