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Quel était le projet de J.-M. Blanquer avant d’être ministre ? : reprise par ToutEduc des analyses des 2 ouvrages de 2014 et 2016 (avec la proposition d’utiliser autrement le milliard d’euros de l’éducation prioritaire)

17 décembre 2019

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Quel était le projet de J-M Blanquer avant d’être ministre (réédition - en clair)

Alors que la réforme des retraites pose la question d’une éventuelle redéfinition de certains aspects du métier d’enseignant, il nous a paru utile de républier deux dépêches datées de 2014 et 2016, dans lesquelles ToutEduc rendait compte des projets du futur ministre de l’Education nationale, tels qu’ils apparaissaient dans ses deux livres, L’Ecole de la vie et L’école de demain.

Le 3 septembre 2014 à propos de "L’Ecole de la vie"

Jean-Michel Blanquer publie "L’Ecole de la vie", un essai dans lequel il tire les leçons de son expérience de haut-fonctionnaire de l’Education nationale. Nommé par Gilles de Robien recteur de Guyane, il est ensuite directeur adjoint du cabinet du ministre, avant d’être nommé recteur de Créteil par Xavier Darcos puis DGESCO (directeur général de l’enseignement scolaire) par Luc Chatel. Mais s’il rend hommage, assez discrètement, aux ministres qu’il a servis et qui l’ont soutenu dans son action, il écrit à la première personne et l’expression "je décide" revient souvent. Ce "je" ne laisse place au "nous" que quand il s’agit d’une équipe dont il a lui-même choisi les membres : "Ensemble, nous travaillons d’arrache-pied pour bâtir le projet, franchir toutes les barrières, vaincre les scepticismes et les objections de tous ordres" (il s’agit de l’internat d’excellence de Sourdun). Mis à part un hommage aux efforts que Robien a déployés pour donner "un coup d’arrêt aux ravages de la méthode globale", une rapide évocation de la transformation des internats d’excellence en "internats de la réussite" après son départ ou de la suppression des évaluations-bilans de CE1 et de CM2 "malgré toutes leurs vertus", et une non moins rapide, mais timide, défense des suppressions de postes, l’auteur parle peu de l’action de ses prédécesseurs, ni de celle de ses successeurs, Vincent Peillon et Jean-Paul Delahaye. Il ne dit rien non plus des conséquences de décisions qu’il n’avait pas prises lui-même mais qu’il a dû assumer, comme la suppression du samedi matin ou la mise en place, avortée, de nouvelles modalités d’évaluation des enseignants.

Malgré quelques pages très personnelles, comme celles où il raconte, avec un véritable talent d’écrivain, le moment où il a cru mourir noyé après un accident de pirogue sur le Maroni, fleuve dont il devait affronter les rapides pour rencontrer des enseignants isolés dans un village de la forêt, et malgré un caractère fortement auto-centré, cet essai n’est pas vraiment un plaidoyer pro domo. Sans-doute Jean-Michel Blanquer se verrait-il bien, un jour, ministre de l’Education nationale, sans-doute cherche-t-il à éviter que l’opinion publique ne retienne des années 2007-2012 que les polémiques sur le non-remplacement des enseignants partant à la retraite. Il liste tous les chantiers ouverts, et menés à bien de son point de vue, mais son ambition est toute autre, c’est celle d’un militant de la cause scolaire. Elle apparaît dès les premières pages : "j’éviterai, autant que possible, les polémiques puisque l’une de mes thèses est que nous ne progresserons que par une cohésion nationale autour du sujet éducatif." Il convient donc de "développer des politiques publiques sur les bases les plus scientifiques possible" et de "transcender les clivages politiques et les blocages idéologiques en mettant en oeuvre des mesures qui s’appuient sur la force de la preuve". Et pour éviter que les alternances politiques produisent du "stop and go", il est nécessaire "d’imprégner l’ensemble du système d’une logique scientifique".

L’auteur évoque pourtant les polémiques qui n’ont pourtant pas manqué lorsqu’il était aux responsabilités, rue de Grenelle. Le rapport de l’inspection générale sur le programme expérimental PARLER, qu’il a soutenu et qu’il continue de soutenir, est sévère ? C’est qu’une "partie" de ce corps préfère "nier l’évidence" que reconnaître ses erreurs passées, quand elle soutenait la méthode globale. Les enseignants étaient prêts à adhérer à ses réformes, mais les syndicats les en ont empêchés, puisqu’ils constituent une barrière entre les enseignants et le ministère, et certains pratiquent de plus la politique de "la terre brûlée" ; le paritarisme représente d’ailleurs un "gaspillage d’énergie incroyable". Les représentants nationaux de la FCPE ont "un comportement militant". Les journalistes ne valent souvent guère mieux, malgré quelques exceptions. S’ils n’étaient pas de mauvaise foi, ses interlocuteurs auraient en effet reconnu les évidences scientifiques sur lesquelles il a fondé son action.

Une réforme du système scolaire

Même s’il s’en défend, Jean-Michel Blanquer n’évite pas lui-même la polémique, lorsqu’il récuse la parole de ses adversaires, ou lorsqu’il cite les conclusions de l’Ecole d’économie de Paris favorables à la "mallette des parents" mais les oublie lorsqu’elles sont moins favorables aux internats d’excellence. Il considère comme indiscutables les travaux scientifiques de Stanislas Dehaene, mais balaie d’un mot les "sciences de l’éducation" qui portent un regard souvent sévère sur les neurosciences et plus encore sur la possibilité d’induire du fonctionnement du cerveau le fonctionnement d’une classe.

Car l’auteur ne se contente pas d’un regard rétrospectif sur son action, il propose, par petites touches, une réforme du système éducatif. Il faudrait tout d’abord que les enseignants cessent "de se cacher derrière le paravent de la liberté pédagogique" et qu’ils acceptent "un adossement" scientifique à leurs pratiques ; leur formation doit d’ailleurs s’appuyer sur la recherche "nationale et internationale", mais uniquement celle qui est favorable à la "pédagogie explicite", "clé du rebond de notre école". Il faudrait réorganiser totalement la gouvernance des collèges et des lycées. Disposant d’une autonomie beaucoup plus forte, ceux-ci auraient à leur tête un chef d’établissement qui conserverait "quand c’est possible, une activité d’enseignement", mais qui appartiendrait au même corps que les inspecteurs pédagogiques (les IA-IPR). Ils ne seraient pas seuls maîtres à bord, l’équipe de direction pourrait être composée d’une dizaine d’adultes "dont une bonne partie serait des enseignants acceptant de prendre des responsabilités et de jouer un véritable rôle d’adjoints pédagogiques". Leur temps d’enseignement serait réduit puisqu’au lieu de devoir 18 heures de cours, un professeur "pourrait en faire vingt-cinq ou bien dix (…) voire aucune, pendant un an, mais trente l’année suivante."

"L’Ecole de la vie", on le voit, est un livre militant, qui n’évite pas les sujets qui fâchent.

"L’Ecole de la vie, pour que chacun puisse réussir", Jean-Michel Blanquer, Odile Jacob (collection dirigée par Stanislas Dehaene), 320 p., 22,90 €

 

L’Ecole de demain

Au mois d’octobre 2016, Jean-Michel Blanquer publie un second ouvrage, qui donnait à penser qu’il participait à la réflexion de l’équipe qu’Alain Juppé avait constituée pour préparer son programme, mais rien ne permettait de l’affirmer et c’était clairement un programme pour un prochain ministre de l’Education nationale qu’il proposait. Ses propositions remettaient en cause plusieurs réformes récentes mais avaient vocation à s’inscrire dans la durée, puisque leur "temporalité dépasse le temps des alternances" et qu’il convient "d’en finir avec le va-et-vient des réformes éducatives et pédagogiques".

En ce qui concerne l’école maternelle, l’ancien recteur voulait donner "la priorité absolue au langage" et il préconisait une spécialisation des enseignants et une certification correspondante. Il proposait de consacrer quelque 120 millions d’euros à la création de 3 500 postes pour diviser par deux la taille des classes de grande section en REP+, puis en REP. Il faudrait aussi "diffuser des techniques pédagogiques qui ont fait leurs preuves, inspirées directement par la recherche et fondées sur les meilleures expériences internationales", notamment "Success for All", le "Carolina Abecederian project" et le "Perry Preschool".

A l’école élémentaire, il faut "rétablir les évaluations nationales" et les étendre "à chaque fin d’année, du CP au CM2", voire les dédoubler, une évaluation en début et une autre en fin d’année. Les résultats auraient vocation à être publiés. Là encore, il faudrait "privilégier les pédagogies qui sont efficaces", augmenter de deux heures par semaine le temps d’enseignement, développer des stages de remise à niveau l’été pour les élèves les plus fragiles, faciliter les expériences permettant aux élèves de CM1 et CM2 d’avoir deux maîtres, un pour les sciences, un pour les humanités.

Mais "il n’apparaît ni possible, ni même souhaitable de faire évoluer le statut des écoles".

La dernière réforme du collège "illustre la dérive d’une conception du collège unique vers l’uniformisation par l’égalitarisme" via la suppression des "choix d’excellence". J-M Blanquer propose de substituer au "collège unique" un "collège commun" qui doit à la fois s’inscrire dans la continuité de l’école primaire et proposer aux élèves des "parcours personnalisés". Il faudrait renforcer les apprentissages avec "deux heures d’étude dirigée obligatoires tous les jours", mais aussi distinguer dans le socle commun "un socle fondamental, français et mathématiques", pour lesquels seraient mis en place des "groupes de compétences" et "un second ensemble plus large" avec des "parcours de réussite" et des dominantes qui pourraient être arts, ou sports, ou sciences, ou humanités, ou préprofessionnalisation... La carte scolaire pourrait évoluer pour élargir "le périmètre de choix", ce qui favoriserait "la coopération et l’émulation entre établissements", et aiderait à résoudre certains problèmes de gestion, comme le remplacement d’un enseignant absent ou l’organisation des options.

Le milliard d’euros que représente l’éducation prioritaire permettrait de financer la nouvelle organisation des collèges et les allègements d’effectifs en grande section et au CP.

Le baccalauréat est "le principe régulateur par l’aval" du lycée, surtout si celui-ci dispose de davantage d’autonomie. Il faut donc "simplifier et renforcer sa structure", et distinguer "des matières fondamentales, très approfondies, consacrées par des épreuves écrites" et "des domaines choisis par l’élève". Le lycée d’enseignement général et technologique est un "lycée modulaire".

La voie professionnelle doit être "une voie d’insertion professionnelle directe", ce qui n’obèrerait pas les possibilités de reprise d’études "plus tard". Les lycées professionnels seraient confiés aux régions.

L’agrégation est maintenue et renforcée, elle permet d’enseigner de bac - 3 à bac +3 (mais pas en collège). Le CRPE (1er degré) et le CAPES (2d degré) prennent en compte "la qualité académique" avec un écrit et un oral ainsi que "l’expérience acquise tout au long du processus d’imprégnation" qui préside à la formation professionnelle dès le début de la licence, voire avant. Ces concours confèrent "une habilitation à enseigner" (J-M Blanquer ne dit pas explicitement qu’ils cessent d’être des concours de recrutement de fonctionnaires), "le recrutement étant de la responsabilité des chefs d’établissement qui publieraient des appels à candidature". Ceux-ci déboucheraient sur des contrats de 5 ans renouvelables une fois (ce point n’est toutefois pas parfaitement établi). Les salaires comprendraient une part fixe et "une part de rémunération variable, fondée sur l’atteinte d’objectifs individuels et collectifs, définis conjointement par le chef d’établissement et les professeurs".

Le chef d’établissement conserverait une charge "réduite" d’enseignement. Il aurait avec lui une équipe de direction composée de 4 à 15 personnes en fonction de la taille de l’établissement. Les personnels de direction évaluent "la contribution des acteurs de l’établissement, en particulier les professeurs" au projet de l’établissement, lequel est régulièrement audité, éventuellement par une agence d’évaluation qui serait créée.

La carte des établissements serait revue, notamment pour regrouper des établissements de petite taille. J-M Blanquer envisage deux scénarios, la mise en place de 13 rectorats tout en gardant le niveau départemental et en créant des "circonscriptions de la scolarité obligatoire, centrées sur la pédagogie", ou, "seconde hypothèse plus radicale", "la concentration de la pédagogie et de l’administration" au sein d’une circonscription nouvelle.

"L’Ecole de demain", Jean-Michel Blanquer, Odile Jacob, 155 p., 19,90 €

Extrait de touteduc.fr du 16.12.19

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