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Après le Covid, il faut repenser la relation de l’école avec les familles, mais dans les deux sens (Bruno Devauchelle)

26 mai 2021

Bruno Devauchelle : Merci aux parents, aux familles !
Il aura fallu une année pour que l’on prenne vraiment la mesure de la place de l’école dans la vie des familles. Les chercheurs savent bien qu’il est très difficile de connaître de manière approfondie ce qui se passe dans le "secret" de la vie de famille. Si des questionnaires et des entretiens sont souvent utilisés, ils rendent mal compte de ce qui se passe réellement au quotidien. Les travaux ethnographiques dans ce même domaine sont compliqués à mener et aussi à généraliser, tant chaque foyer s’inscrit dans une histoire et un contexte complexes. C’est l’obligation de l’école à la maison ou l’école à distance qui a ouvert la boîte, modestement, mais de manière plus explicite. Comme pour le télétravail, l’école à la maison a principalement reposé sur les moyens numériques. On dispose d’un bon nombre de témoignages (souvent journalistiques) de personnes qui ont tenté de raconter ce qui s’est passé, et le plus souvent sur le mode de la déploration ou sur celui de l’exemplification. Mais il reste de nombreuses inconnues qui devraient pourtant intéresser la communauté enseignante.

"Ce n’est plus la famille qui a été une menace pour l’école, mais l’inverse"

Bien entendu, les familles souhaitent d’abord la réussite scolaire de leurs enfants. Cette évidence recouvre bien sûr le fait que certains comportements de parents ou de responsables légaux d’élèves s’inscrivent dans des logiques qui vont d’une posture d’usager à une posture de consommateur ou encore une posture de partenaire... Parfois les familles ont pu être perçues comme un danger, une menace pour le système scolaire : intrusion, critique, etc. Lorsque la crise sanitaire est apparue, ce n’est plus la famille qui a été une menace pour l’école, mais l’inverse et pas pour les mêmes raisons : en invitant l’école à la maison, et sans aucune préparation ni accompagnement, la situation vécue peut être considérée comme une contrainte, mais aussi une forme (relative) d’agression. Alors qu’on tenait la famille à distance de l’école, tout d’un coup l’école s’est invitée sur la table commune de l’heure du lever à l’heure de coucher.

La variété des situations vécues est aussi impressionnante que l’adaptation dont ont su faire preuve familles et enfants. Cela d’autant plus que le reflet que les médias ont donné de cette situation a été très partiel et surtout basé davantage sur l’émotion que sur des éléments fiables et généralisables. Difficile donc de dresser un portrait type du parent en temps de confinement, et à peine moins d’essayer de décrire des persona qui pourraient illustrer, de manière imparfaite, les grandes catégories de familles, de foyers. Car c’est aussi une des particularités peu évoquées qui est celle des familles éclatées, décomposées, etc... À cela s’ajoute bien sûr, outre le logement et les équipements numériques, la situation professionnelle des adultes du foyer et bien sûr la cohabitation adultes jeunes dans des espaces restreints tout en devant faire face à des injonctions venues de l’extérieur : employeur pour le télétravail (si tant est que cela ait lieu), enseignants pour les élèves.... Accompagnement, encadrement, conditions de travail, il a fallu faire face.

"Plus que de continuité pédagogique dans un seul sens il va être nécessaire de repenser la "continuité éducative".

Le ministère a beau jeu de dire qu’il faut revenir au présentiel, ce qui a été sa ligne de conduite constante : cela évite de se questionner sur les situations vécues, à tel point qu’il n’a pas favorisé la préparation d’un autre confinement ou tout au moins d’une situation similaire et en particulier en direction des familles. Les États Généraux du Numériques qui étaient censés fournir des éclairages ne sont qu’un catalogue désincarné, plus politique que technique, de propositions qui sont bien loin des bricolages réalisés par les enseignants, mais aussi au sein des foyers et cela d’une manière quasiment invisible.

Dans le cadre du projet Territoires Numériques Educatif, il est envisagé de former les familles : "former les parents volontaires aux enjeux du numérique éducatif". Il va falloir examiner de près ce que cela signifie et surtout comment cela va se mettre en oeuvre concrètement. Car les foyers, les familles, sont les grands oubliés de cette période. Embarqués dans cette situation sans assistance, comment pouvaient-ils réellement faire face ? La relation de l’école, du système, avec les parents, les familles reste un vaste chantier. Heureusement il n’y a pas eu de revendication forte de leur côté pendant cette période. Prisonniers eux-mêmes de cette situation, ils ont subi une sorte de double peine sans pouvoir y apporter les réponses adaptées, dans la plupart des cas. Comme s’il suffisait de distribuer du matériel et renforcer les infrastructures pour résoudre toute la question. C’est oublier l’essentiel : l’école, en voulant séparer les enfants de leur famille pour s’attribuer le rôle principal de "transmetteur" a montré son talon d’Achille. Plus que de continuité pédagogique dans un seul sens, de l’école vers la maison, il va être nécessaire de repenser la "continuité éducative". Cette continuité, c’est celle qui permet de ne pas opposer deux milieux éducatifs, mais qui, au contraire, permet de créer des synergies. L’école apprenante ce n’est pas que l’école...

La plupart des familles ont eu à affronter une situation inattendue et surtout sans avoir les codes. Elles les ont acquis en partie et en très peu de temps, pour ce qui a permis de "sauver les meubles". Mais ne nous voilons pas la face : le système scolaire n’a pas sur se transformer en système éducatif. D’ailleurs, les familles l’ont bien compris, elles qui ont aussi souhaité le retour des enfants à l’école, pas forcément pour les raisons que nous nous plaisons à penser : l’envie d’école, mais plutôt la disparition d’un contexte apprenant qui n’a pu être remplacé. Certains jeunes ont été abandonnés par leurs parents, prisonniers eux aussi des contraintes professionnelles, d’autres, au contraire ont été sur-investis par le scolaire, les parents, présents, souhaitant ne pas pénaliser leurs enfants. Car les parents, les familles, les éducateurs connaissent bien les enjeux encore trop puissants de la réussite scolaire au sens le plus restrictif du terme. Or les réformes actuelles, de la maternelle au lycée, renforcent ces restrictions qui sont basées sur la "scolarisation" à tout prix, quoiqu’il en coûte. C’est pour leurs enfants qu’ils ont accepté ces contraintes, alors à nouveau, merci aux parents, merci aux familles !

Bruno Devauchelle

Extrait de cafepedagogique.net du 21.05.21

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