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« La grande pauvreté n’est pas considérée comme une problématique centrale des politiques éducatives » (Entretien du Monde de l’Education avec Choukri Ben Ayed)

16 juin 2021

« La grande pauvreté n’est pas considérée comme une problématique centrale des politiques éducatives »
Dans l’ouvrage qu’il a dirigé, « Grande pauvreté, inégalités sociales et école. Sortir de la fatalité », Choukri Ben Ayed questionne l’action de l’école en matière de lutte contre les inégalités en croisant études scientifiques et expériences de terrain.

Alors que trois millions d’élèves ont des parents pauvres, les études internationales montrant l’incapacité de l’école française à corriger les inégalités sociales se multiplient. Face à ce constat, quels sont les éléments qui permettent de sortir de la fatalité ? C’est à cet objectif ambitieux que s’attelle l’ouvrage Grande pauvreté, inégalités sociales et école. Sortir de la fatalité (Editions Berger-Levrault, 256 pages, 29 euros) dirigé par le sociologue Choukri Ben Ayed, et préfacé par l’historien et ancien recteur Philippe Joutard.

Dans les débats sur l’école, on parle régulièrement d’« inégalités » scolaires ou sociales entre les élèves, moins souvent de « pauvreté » comme dans cet ouvrage. Le mot fait-il peur ?

Les données statistiques du ministère reposent dans la majorité des cas sur quelques variables standardisées (du type élèves « favorisés », « très favorisés », « défavorisés »…) qui, si elles permettent de montrer les inégalités scolaires entre classes sociales, masquent les conditions de vie réelles des individus, en invisibilisant les plus pauvres d’entre eux. De fait, la grande pauvreté n’est pas considérée comme une problématique centrale des politiques éducatives.

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En France, c’est pourtant un élève sur cinq qui a des parents pauvres, soit quelque 3 millions de jeunes. Et encore, ce chiffre date d’avant la crise sanitaire, qui aurait fait basculer dans la pauvreté un million de Français supplémentaires. Il ne faut donc pas avoir peur de parler du défi que représentent « les enfants pauvres » pour l’école.

Quelle est la responsabilité de l’école face à ces enfants ?
L’école ne produit pas cette pauvreté mais, institutionnellement, constitutionnellement et juridiquement, sa mission est de corriger les inégalités sociales et les déterminismes de naissance. Or on ne compte plus les études montrant que la France est l’un des pays au monde où le poids de l’origine sociale dans le parcours scolaire est le plus important. Un pays où, comme le rappelle l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire Jean-Paul Delahaye, 90 % des enfants de cadres supérieurs qui entrent en 6e obtiennent leur baccalauréat, contre seulement 40 % des enfants d’ouvriers. Et où 70 % de ces derniers décrochent un baccalauréat technologique ou professionnel alors que les enfants de cadres se retrouvent à 75 % dans la filière générale.

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L’école aggrave les inégalités, et les élèves les plus pauvres en sont les premières victimes, d’abord parce qu’elle n’offre pas les mêmes conditions de scolarisation à tous. Malgré, par exemple, la volonté affichée d’investir plus massivement dans les quartiers de grande pauvreté, la nation dépense de fait beaucoup moins pour un établissement prioritaire que pour un autre plus huppé de centre-ville où l’offre éducative est plus riche et les enseignants plus âgés et plus expérimentés, donc plus « chers »…

Comment réagissent les enseignants confrontés à la pauvreté chez leurs élèves ?
Nous essayons de montrer dans cet ouvrage que, malgré la recrudescence des travaux de recherche présentant une école française déshumanisée, les valeurs humanistes sont encore bien présentes sur le terrain chez des enseignants et personnels directement confrontés à la pauvreté des élèves. Nombre d’entre eux agissent, comme ils peuvent, avec pragmatisme et loin des discours fatalistes.

On le remarque par des petites attentions, souvent discrètes, comme ces enseignants qui organisent une distribution de vêtements car ils voient bien que ceux que portent certains élèves sont inadaptés à la saison. Ce sont ces personnels de cantine qui acceptent de donner une ration de nourriture en plus à certains élèves qui en ont besoin.

Mais ce sont aussi des chefs d’établissement qui se donnent du mal pour trouver les moyens financiers afin de permettre à certains élèves de participer au voyage de fin d’année. Ou ces enseignants qui ne comptent pas leur temps pour développer des projets pédagogiques ambitieux pour la réussite de leurs élèves, et certaines collectivités qui s’emparent à bras-le-corps de la question de la mixité sociale dans les établissements…

Extrait de lemonde.fr du 15.06.21

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