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L’école française produit-elle de la ségrégation ethnique ? Ce qu’en dit la recherche (Les notes du Conseil scientifique de la Fcpe)

5 janvier 2022

L’école française produit-elle de la ségrégation ethnique ?
Ce qu’en dit la recherche

Barbara Fouquet-Chauprade, Georges Felouzis, université de Genève.
Les notes du Conseil scientifique, n° 26, janvier 2022

Résumé
Dans cette note, les auteurs, en s’appuyant sur différentes recherches, interrogent l’existence de ségrégation ethnique au sein de l’école française, et par là même ses conséquences négatives sur les apprentissages et les conditions de scolarisation des élèves. Plus marqués en zone urbaine et en lycée, renforcés par les stratégies des familles et de certains établissements eux-mêmes, les mécanismes ségrégatifs semblent profondément ancrés dans les pratiques sociales. Ils affectent, comme le montrent les auteurs, le parcours scolaire et l’orientation des élèves. Cependant, les données fiables
pour mesurer l’ampleur de ce phénomène manquent encore, tant la question de la prise en compte de l’origine ethnique interroge le modèle social français.

Extrait de fcpe.asso.fr de janvier 2022

 

Ségrégation ethnique à l’Ecole : Où en est-on en France ?
L’école française produit-elle de la ségrégation ethnique ? Georges Félouzis et Barbara Fouquet Chauprade osent une synthèse sur ce sujet encore tabou dans une Note du Conseil scientifique de la FCPE. S’il est encore impossible de quantifier le phénomène, ils mettent en évidence les effets des processus ségrégatifs sur les apprentissages et le parcours scolaire des élèves. Iels montrent aussi que la force des mécanismes ségrégatifs réside dans leur ancrage profond dans les pratiques sociales. "La question de la prise en compte de l’origine ethnique interroge le modèle social français".

Des effets visibles

Si la ségrégation ethnique est entrée dans le champ des recherches sur l’Ecole, il faut bien dire que c’est par la petite porte et sur la pointe des pieds. Georges Felouzis fut parmi les pionniers en publiant un premier ouvrage sur les collèges bordelais dès 2004. Avec Barbara Fouquet Chauprade il a travaillé sur les "descendants d’immigrés à l’école en France". " Il fut longtemps difficile de connaître l’état de la ségrégation scolaire en France. Cela s’explique probablement par le fait que cette ségrégation, qui plus est liée à l’origine ethno-raciale des élèves, entre en contradiction flagrante avec le modèle républicain et remet en cause le principe de méritocratie, socles de l’école française", rappellent-ils.

Pour autant les effets de la ségrégation ethnique sont bien visibles. " Les recherches montrent de façon continue l’ampleur des inégalités de performances entre élèves issus de l’immigration et natifs, ceci toujours en défaveur des premiers sauf pour les élèves issus du Sud-Est asiatique (Ichou, 2018). Parmi l’ensemble des variables qui ont été testées par l’auteur pour expliquer les inégalités de performances, celle du contexte ségrégatif explique fortement les inégalités d’apprentissage. La scolarisation dans un établissement ségrégué affecte également le parcours scolaire et les orientations des élèves qui y sont scolarisés... Les effets de pairs sont visibles tout à la fois sur les acquisitions scolaires mais également sur des dimensions que l’on pourrait qualifier de non cognitives et affectent les relations interpersonnelles au sein de ces établissements. C’est le cas notamment du bien-être scolaire : plus l’établissement et la classe sont ségrégués au plan ethnique comme social et plus le bien-être scolaire est faible ".

Quelles politiques pour y faire face ?

" Si l’on note l’absence de politiques nationales de lutte contre la ségrégation ethnique, des politiques et expériences locales sont toutefois à relever", remarques les auteurs. Ils citent en exemple la politique menée par le conseil départemental de Haute Garonne. Un bilan récent, publié par le Café pédagogique, montre que l’obstination du conseil départemental à déségréguer les collégiens du Mirail porte ses fruits en terme de résultats scolaires et d’orientation. Pour cela le conseil a fermé deux collèges très ségrégués et réparti leurs élèves dans 11 collèges de l’agglomération. Finalement il reconstruit deux collèges dans des zones assurant de la mixité sociale. Un autre exemple, portant davantage sur la ségrégation sociale, existe à Paris où les trois expériences de mixité sociale lancées en 2016 dans 6 collèges parisiens ont réussi à infléchir nettement la composition sociale des établissements sans pour autant encourager la fuite vers le privé. C’est l’exemple des secteurs multi collèges.

Si, à Toulouse, la politique de lutte contre la ségrégation ethnique est soutenue par le rectorat, qui y met des moyens, la politique menée depuis 2017 tranche avec la précédente. Avec JM Blanquer sont revenus par exemple les internats d’excellence, qui consistent à sortir des élèves "méritants" de leur banlieue et à tourner le dos aux autres. " Plus récemment, le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les établissements en REP+ puis en REP relève d’une logique similaire", écrivent G Felouzis et B Fouquet-Chauprade. "Il est question d’agir sur les conditions pédagogiques pour limiter, voire inverser, les effets délétères de la ségrégation sur les apprentissages et le vécu scolaire des élèves et non de limiter le phénomène ségrégatif en lui-même".

Ce désintérêt pose question. Analysant des politiques menées à l’étranger, les auteurs montrent que la ségrégation ethnique est aussi un révélateur de nos sociétés. " In fine, la ségrégation n’est pas qu’une question de répartition inégale des élèves, c’est aussi le reflet de pratiques sociales et de représentations. Dès lors, il semble également important de travailler à déconstruire la vision déficitaire des familles de milieux populaires en matière scolaire, de former les enseignants à la diversité sociale et ethnique, de lever les implicites et de travailler sur les « malentendus » pédagogiques trop souvent à la source des difficultés d’apprentissage".

La dénonciation répétée du "wokisme", l’obsession islamophobe, la traque des éventuels opposants à la doxa "républicaine" qui sont la marque du ministère actuel ne font que renforcer les mécanismes ségrégatifs. C’est peut-être d’ailleurs leur finalité. Avec cette approche scientifique, la Note de B Fouquet-Chauprade et G Félouzis est particulièrement bienvenue.

François Jarraud

Dossier : quel devenir scolaire des descendants d’immigrés

Extrait de cafepedagogique.net du 05.01.22

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