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Une thèse sur l’histoire de l’interdisciplinarité dans le second degré en France. Entretien du Café avec l’auteur

11 janvier 2022

Additif du 12.01.22

Florian Cramarégeas : L’interdisciplinarité, une légitimation contrariée
On se souvient des EPI imposés dans les collèges par N Vallaud-Belkacem. Puis de leur retrait par JM Blanquer quelques mois plus tard. C’est un épisode de plus de "l’avancée sinusoïdale" de l’interdisciplinarité en France dans le second degré, estime Florian Cramarégeas. Sa thèse (Université de Bordeaux) revient sur 60 années d’histoire éducative où l’interdisciplinarité a navigué entre injonctions politiques, dispositifs et pratiques enseignantes.

Dans votre thèse qui couvre 60 ans d’histoire de l’interdisciplinarité, vous faite un lien entre l’émergence de cette question et la massification de l’Ecole. Quelles sont les racines de l’interdisciplinarité ? S’agit il d’un projet ministériel ?

Ma thèse porte sur la trajectoire de l’interdisciplinarité et je me suis aperçu que celle-ci est sinusoïdale dans son intégration au système éducatif français depuis les années 1970. Les racines de l’interdisciplinarité sont universitaires. On peut citer en exemple les travaux de l’Unesco. Une autre racine est dans l’enseignement primaire où les enseignants abordent des sujets de façon interdisciplinaire. Ensuite le ministère a donné des impulsions“. Cela prend la forme des "tiers temps pédagogiques" au primaire en 1969, puis des "10%" au lycée, puis des "projets d’action éducative et culturelle" (PAE) en 1981.

A partir de quand assiste-on à une mise en pratique de l’interdisciplinarité dans les classes ?

Elle accompagne les décisions politiques. Plus on aura de dispositifs avancés par le politique, plus on aura de pratiques de classe. Il y a un frémissement à partir des années 1980 avec les PAE qui est basé sur le volontariat des enseignants. On a ensuite un accroissement avec les parcours diversifiés dans les années 1990. Et cela s’amplifie avec les TPE au lycée. Pour la 1ère fois les enseignants doivent participer à de l’interdisciplinarité. L’aboutissement de ce processus ce sont les EPI en 2016 qui ont un caractère généralisé et obligatoire.

Comment réagissent les associations professionnelles et les syndicats ?

Les syndicats sont plutôt réfractaires et cette question devient plus centrale au fil des années. Dans les années 1970 ou 1980 l’interdisciplinarité est un sujet périphérique et les syndicats ne s’en saisissent pas vraiment. Il faut attendre les années 1980 pour que les syndicats s’intéressent à ce sujet. Dans les années 1990 le Snes fsu est plutôt immobile sur cette question qui fait débat dans le syndicat. L’Unsa, le Sgen Cfdt sont favorables aux réformes alors que le Snalc, FO, la Cgt et Sud y sont hostiles. On n’a donc pas de consensus syndical sur l’interdisciplinarité.

Quel rôle jouent les organisations internationales ?

Elles sont présentes dans la recherche. et leurs évaluations, comme Pisa, font connaitre les mauvais résultats du système éducatif français ce qui amène une remise en cause de ce système. Cela favorise les dispositifs interdisciplinaires. Mais l’effort principal est fourni par les responsables politiques français et aussi par les pratiques d’acteurs comme l’influence du primaire.

L’interdisciplinarité a fait un grand pas avec les EPI suivi d’un net recul avec l’arrivée de JM Blanquer. Qu’est ce qui a légitimé l’interdisciplinarité au point de permettre les EPI ?

Les réformes conduites en France peuvent s’expliquer par l’engagement du PS en faveur de l’interdisciplinarité. A gauche on penche vers la partage alors qu’à droite on est davantage pour le mérite et l’excellence. Coté socialiste on veut une école inégalitaire pour créer les conditions d’une véritable égalité. C’est le fameux slogan d’A Savary : "donner plus à ceux qui ont moins" utilisé pour les ZEP. L’interdisciplinarité est vue comme un moyen de lutter contre l’échec scolaire.Avec les EPI, N Vallaud-Belkacem voulait favoriser le travail d’équipe des élèves et aussi des enseignants.

Comment analysez vous l’échec des EPI et le retour en arrière actuel ?

Il y a deux conceptions de l’interdisciplinarité qui s’affrontent. Il y a celle de N Vallaud-Belkacem où l’interdisciplinarité se construit par la coopération des enseignants. Et il y a celle de JM BLanquer qui prone une confluence des disciplines regroupées par l’intervention d’un seul enseignant. On le voit en 2021 dans la spécialité EPPCS. Dans cet enseignement le professeur met en oeuvre différents secteurs : les métiers de la santé, l’entrainement sportif, etc.

Vous liez dans votre thèse l’interdisciplinarité avec la démocratisation du système éducatif. Pourquoi ?

C’est un constat implacable. L’interdisciplinarité permet une meilleure prise en compte des différences des élèves. Elle vise à réduire l’échec scolaire en intégrant mieux l’élève. C’est un outil pour différencier les parcours. C’est aussi un moyen pour introduire du sens dans les apprentissages.

Pourtant l’enseignement intégré des sciences (EIST) n’a pas fait ses preuves...

L’EIST , porté par La main à la pâte, n’est pas de l’interdisciplinarité mais plutot une fusion des disciplines scientifiques. C e n’est pas de l’interdisciplinarité mais une transdisciplinarité centrée sur des objets communs. L’interdisciplinarité c’est autre chose : une modalité d’organisation pédagogique et didactique visant à associer différentes disciplines en vue d’un projet partagé pouvant servir au delà des murs de l’école. L’EIST a une autre volonté. Il ne permettait pas l’apprentissage des langages des différentes disciplines.

Vous êtes professeur d’EPS. Est ce une bonne discipline pour travailler sur l’interdisciplinarité ?

L’EPS est constituée d’un champ pluridisciplinaire. Elle est formée de disciplines sportives multiples . Du coup l’intervention en EPS est favorable au développement de compétences sociales et méthodologiques. ET c’est avec elles qu’on peut développer une forme d’interdisciplinarité. Les professeurs d’EPS ont une formation interdisciplinaire avec la biomécanique, la biologie, et bien sur les activités sportives. C’est d’ailleurs la discipline majeure des EPI. Car les enseignants d’EPS ont cette particularité d’avoir une formation à vocation pluridisciplinaire.

Propos recueillis par François Jarraud

Extrait de cafepedagogiques.net du 21.01.22

 

L’interdisciplinarité dans l’enseignement secondaire en France (1970-2018) : une légitimation contrariée dans les discours, les configurations institutionnelles et les pratiques enseignantes
Auteur(s) : CRAMARéGEAS Florian
Date de soutenance : 2021
Thèse délivrée par : Université de Bordeaux
Section(s) CNU : section 70 : Sciences de l’éducation
Sous la direction de : Fabien SABATIER
Jury de thèse : Stéphanie Rubi ; Bruno Garnier ; Karen Bretin-Maffiuletti ; Clémence Cardon-Quint

"Notre ambition consiste donc à reconstruire le processus historique ayant mené de l’émergence de la pensée interdisciplinaire à son usage dans l’enseignement secondaire en France. En particulier, à saisir la généalogie et les caractéristiques spécifiques de la configuration historique tant politique, éducative que scientifique ayant permis la mise en place programmée des EPI. L’étude de la transformation du rapport de force entre les partisans d’une stricte logique disciplinaire et les promoteurs d’un renouvellement interdisciplinaire de l’enseignement secondaire sera une cible prioritaire du travail conduit. Cette recherche d’histoire socio-culturelle soucieuse de comprendre les idées, les représentations et les modes d’actions des divers acteurs, s’attache donc à identifier les étapes de création, de circulation, de réception et d’institutionnalisation de l’interdisciplinarité dans l’enseignement secondaire français."

Extrait de archives-ouvertes.fr

Source : veille-et-analyses de janvier 2022

 

Voir :
la sous-rubrique Pédag. interdisciplinaire (Généralités)
le mot-clé Pédag. interdisciplinaire, EPI (gr 4)/

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