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La formule Normale Sup des conventions ZEP exposée par sa directrice

26 juin 2006

Extrait du « Monde », du 25-26.06.06 : Du "9-3" à Normale Sup : c’est possible !

Naître et grandir à Saint-Ouen, entrer à Normale Sup, pourquoi ne serait-ce pas possible ? Autant d’enfants talentueux naissent dans les communes socialement défavorisées que dans les quartiers riches. Mais les uns sont souvent laissés à eux-mêmes, peu suivis par leurs parents, mal promus scolairement. C’est à ces derniers, à ces derniers exclusivement, que les filières d’élite de l’enseignement supérieur français, et en particulier les grandes écoles, sont aujourd’hui réservées.

Est-ce une fatalité ? Non. Il faut trouver les chemins qui conduisent d’une enfance sans perspectives de réussite scolaire à une jeunesse où des possibles se déploient. De tels chemins existent. Je n’ai pas la prétention de les décrire tous. Je voudrais seulement tracer celui qui peut conduire jusqu’à la grande Ecole que je dirige.
Les élèves reçus à l’Ecole normale supérieure sont presque tous issus des classes moyennes cultivées, en lettres surtout, mais aussi en sciences. Ce n’était pas le cas, il y a trente ans. Remédier aux causes profondes d’un tel fait exigerait sans doute une réforme d’ensemble de la scolarité primaire et secondaire, lente et difficile. Nous, nous voulons agir vite et efficacement, afin de montrer qu’il est possible, malgré le milieu où l’on est né, d’accéder à une filière d’élite. Nous procéderons donc de manière expérimentale et d’abord limitée.

Notre défi est précis : d’ici quelques années nous ferons en sorte qu’entrent à Normale Sup des enfants nés à Sarcelles ou à Drancy, à Tulle ou à Douai. Nous y parviendrons sans filière d’accès réservée, sans quota ni discrimination positive. Nous conserverons le principe des concours d’entrée républicains et méritocratiques, aux épreuves écrites communes et anonymes. Nous voulons orienter notre action sur une cible précise : aider les élèves talentueux, issus de milieux défavorisés, à entrer en classes préparatoires, puis à l’ENS. Nous accompagnerons ces élèves, là où ils sont, dans les lycées de Paris, de banlieue ou de province.

Dès la rentrée 2006, l’Ecole normale supérieure enverra une cinquantaine de ses élèves, volontaires et bénévoles, dans cinq lycées de banlieue parisienne et dans cinq lycées de province, avec lesquels elle conclut, ces jours-ci, un accord de partenariat.

Nos normaliens travailleront dans les classes de première et de terminale qu’abritent ces lycées afin de diffuser auprès des élèves le goût du savoir et l’enthousiasme pour les études. Ce qu’ils diront s’adressera à la classe entière, en même temps qu’aux meilleurs élèves. Ils parleront de leur expérience personnelle, de la façon dont ils ont fait du travail scolaire la source d’une immense richesse personnelle.

Les bons élèves, scolarisés dans des lycées de banlieue parisienne ou de province, ignorent à peu près tout des grandes écoles. L’information sur ces filières d’élite est donc nécessaire mais elle doit être surtout existentielle. Son premier effet vise à susciter la confiance en soi, à briser l’autocensure par laquelle l’élève s’interdit de s’approprier ce qui est possible pour lui. Son second effet est de montrer concrètement combien le travail et l’effort qui conduisent aux filières d’élite sont des voies d’autonomie et de liberté accrue.

En juillet 2006, l’Ecole normale supérieure abritera le Festival des sciences Paris-Montagne - un clin d’oeil à Paris-Plage. Pendant quelques jours, des centaines d’élèves venant de milieux défavorisés seront accueillis par les enseignants et chercheurs scientifiques de l’Ecole. Toute l’année prochaine, nous accueillerons dans les murs de la rue d’Ulm, pour des séances de tutorat intensif, les meilleurs élèves des lycées partenaires (pendant les vacances de Toussaint et de Pâques pour les provinciaux, durant toute l’année pour les autres).

Nos normaliens tuteurs suivront les élèves les plus prometteurs, ils les aideront à s’inscrire en classes préparatoires. Ils les épauleront constamment. La direction de l’Ecole sera, quant à elle, en dialogue constant avec le proviseur et les professeurs des lycées où ces élèves talentueux et travailleurs auront été admis. Tutorat de proximité ou tutorat à distance, selon les cas, seront assortis, si nécessaire, d’aides matérielles qui permettront aux élèves d’acheter des livres ou de partir à l’étranger pour un stage linguistique. Parallèlement, nous réfléchissons aux épreuves de notre concours littéraire, afin d’y renforcer la place des épreuves techniques.
Tous ces élèves, ainsi suivis, qu’ils étudient en province, en banlieue ou à Paris, auront une chance réelle de réussir nos concours. En cas d’échec, ils pourraient être admis à préparer, comme étudiants, le diplôme de l’ENS.

Déjouant la fatalité sociale qui les détournait à jamais de cette filière d’élite, ils auront eux-mêmes trouvé le chemin de leurs propres talents. Nous aurons joué le rôle d’un révélateur et d’un soutien. Nous voulons que notre École, qui fut pendant des décennies la plus ouverte des grandes écoles, retrouve cette vocation. Si nous échouons, il faudra en conclure que le monde scolaire est définitivement cloisonné.

En matière de formation intellectuelle et personnelle, comme de réussite scolaire, il est fort difficile de définir en quoi consiste l’égalité. Rendre égales les chances de succès dont dispose un enfant pauvre qui grandit sans livres, sans langue correcte, sans incitation à apprendre, et celles d’un enfant dont la famille ou le milieu favorisent d’emblée les études n’est pas une chimère, dès qu’on donne aux élèves le désir d’apprendre, par la force de l’exemple et le suivi personnel.

Les jeunes filles et jeunes gens accéderont ainsi à la liberté réelle d’être ce qu’ils pouvaient devenir, rien d’autre qu’une forme d’égalité retrouvée face au destin.

Monique Canto-Sperber, Directrice de l’Ecole normale supérieure

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