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Un entretien avec un ancien élève de ZEP : Jamel Debbouze

8 août 2006

Extrait de « Télérama » du 08.08.06 : "Ouvrir la brèche pour les autres, c’est le kif du kif !"

A Cannes, il a été récompensé pour “Indigènes”, un film de réconciliation nationale. Sur Canal+, il donne l’antenne aux jeunes humoristes des cités. Rencontre avec Jamel Debbouze, un p’tit gars de Trappes qui a la tchatche.

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Télérama : Vous ne vous sentiez pas encore légitime en tant que comédien ?

Jamel Debbouze : Je ne me considère pas encore au point. J’ai du chemin à faire. Mais je vais m’y mettre et je progresse sur le tas de film en film. Je suis meilleur, par exemple, dans Angel-A, de Luc Besson, que dans Indigènes, que j’avais tourné juste avant. J’ai tendance à me précipiter et à avaler mes mots, j’ai toujours envie de dire sept choses en même temps. Besson m’a appris à canaliser mon énergie, à gérer ma course d’interprète comme un marathonien. Avant lui, à chaque scène, je me donnais à mort, d’un coup. Besson m’a enseigné la technique. Sans ça on s’épuise, on ne tient pas la route.

Quand mon copain Jean-Pierre Bacri m’a parlé de Tchekhov ou de l’Actors Studio de Lee Strasberg, j’étais perdu, aussi. Alors je m’y suis plongé, j’ai fouiné... Je me rappelle qu’une des premières fois où je suis allé chez lui, il m’a lu Roméo et Juliette, de Shakespeare, puis Le Roi Lear. Je ne comprenais pas tout, mais ça me faisait rêver. Comme quand il me lisait Le Misanthrope, de Molière. Peu à peu, ça m’a aidé à m’épaissir.

Moi, ma culture, c’est surtout la musique, James Brown, Barry White, la Motown. Et le cinéma américain. A l’école, la majorité des élèves n’étaient pas très motivés, et c’est vrai que les profs de français de ma ZEP ne s’acharnaient pas : avec eux, on faisait du collage. Ou du pliage. Mais comment mes parents auraient-ils pu mieux m’orienter ? Ils étaient complètement largués lors des fameuses « réunions pédagogiques »...

Télérama : Comment est née, alors, l’envie de raconter des histoires ?

Jamel Debbouze : J’aurais fait n’importe quoi, gamin, pour attirer l’attention. Malgré mon mètre 65, ma mauvaise santé et mes 50 kilos. Ou plutôt à cause de mon mètre 65, de ma mauvaise santé et de mes 5O kilos. Mes frustrations m’ont poussé. J’adorais le foot, mais j’étais pas très bon ; restait la tchatche.

A 10 ans, j’avais déjà une grande gueule. C’est qu’on passait des heures à discuter avec les copains dans les escaliers de la cité, à s’envoyer des vannes, à rigoler de toute cette merde tout autour pour ne pas en crever. Et j’avais repéré qu’au collège il y avait un cours d’improvisation en sixième 1 - classe de l’élite ! -, où, à la pause, on distribuait aux petits blonds aux yeux bleus qui y étaient des sandwiches au camembert avec cornichons. Sans faire Cosette, chez nous - où on mangeait toujours à notre faim -, il n’y avait quand même jamais de camembert ou de cornichons. Par gourmandise, j’ai voulu entrer au cours. Difficile pour un petit Arabe. Alors, histoire de faire remarquer mes talents, je me suis mis à insulter à chaque récré les élèves de sixième 1 en langage si fleuri que leur prof, Alain Degois, m’a remarqué. Intégré au cours.

Puis plus tard à sa propre compagnie d’impro. Je lui dois tout. Peu à peu, j’étais accepté, reconnu quelque part. On ne me disait plus dès que j’apparaissais : « Casse-toi ! Interdit ! Touche pas ! Arrête ! Non ! » mais : « Bienvenue ! Bravo ! Continue ! Tu reviens quand ? Oui ! » J’avais enfin une place, j’étais valorisé, donc motivé. Ça m’a sorti de l’embrouille, de la misère. Et depuis vingt ans maintenant, je suis persuadé qu’on réduira davantage le désespoir des banlieues et la violence qui va avec en disant aux quelques gamins qui le méritent « c’est bien » qu’en assommant de sanctions ceux qui n’en peuvent plus d’être rejetés, méprisés.

Télérama : Vous l’avez beaucoup été ?

Jamel Debbouze : Vous êtes naïve ou quoi ? A 16 ans, je m’étais fait tout beau pour accompagner aux Bains-Douches un copain qui y avait ses entrées ; la videuse de la boîte me refuse l’accès en demandant à mon pote : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Le lendemain, j’avais un entretien d’embauche chez McDo. Ma mère repasse mon plus beau pantalon, mon meilleur polo. Dès que j’arrive, le responsable me déclare : « Monsieur, vous ne savez peut-être pas qu’il faut mieux s’habiller pour un entretien d’embauche. » Mais qu’est-ce qu’il en savait, cet enfoiré, de ce que j’avais dans mon placard ?... Quand on sort de ces situations-là, on a envie de tout casser, de tout brûler. C’est la guerre dans la tête. Parce que vous êtes soudain rejeté en entier, votre existence est niée, votre vie réduite à zéro.

Et si les gens vivent mal, sont exclus de partout, tout le temps, de ZEP en zone à machin chose, forcément ils se comportent mal. S’il y a un carreau de cassé dans une cité, la mairie doit vite le remplacer parce que si c’est trop moche on aura encore plus envie d’en casser un deuxième, un troisième. Ça fait vingt ans que je dis que ça va péter dans les banlieues.

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