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Laurent Ott : envoyer dans un lycée hors de la ZEP est une insulte pour celle-ci (ouvrage)

27 octobre 2006

Extrait de « L’Humanité » du 26.10.06 : L’école, entre renoncement et répression

Normative et malmenée, l’école maltraite à son tour les élèves qui n’entrent pas dans son moule.

Directeur d’école en disponibilité, formateur d’éducateurs sociaux, Laurent Ott a collaboré à l’écriture du livre « Quand les banlieues brûlent » (1), en signant le chapitre intitulé : « Pourquoi ont-ils brûlé les écoles ? » Ni hasard, ni vandalisme gratuit, dit-il, mais rébellion de quelques-uns à l’égard d’une institution qui leur fait violence.

Vous écriviez l’an dernier que ce n’est pas par hasard que des jeunes s’en prennent à des écoles. Vous le pensez toujours ?

Laurent Ott. Absolument. L’école reste le lieu d’une intense désillusion pour les familles les plus pauvres. Elle qui incarnait l’avenir et devait leur ouvrir la porte sur un « extérieur » au quartier, sur la possibilité de découvrir d’autres choses, ne les a pas bien reçus. Cela ne peut que générer du conflit.

Qui sont ces « mal-reçus » ?

Laurent Ott. La discrimination est culturelle, sociale ou liée à l’histoire même des familles. Les mères célibataires, par exemple, ne trouvent pas d’appui dans l’école tout en n’ayant pas la disponibilité nécessaire. Les personnes d’origines étrangères peuvent avoir le sentiment qu’il existe une barrière entre elles et l’institution... L’école devient alors d’abord une contrainte. Il y a un énorme malentendu entre le désir des parents d’obtenir l’aide de l’école, et l’école, qui espère celle des parents. C’est toute l’ambiguïté de l’institution scolaire : elle refuse résolument de faire du social ou de l’éducatif mais cherche à enrôler les familles pour les mettre à disposition de ses propres problèmes.

La fameuse théorie « du handicap socioculturel contre lequel l’école ne peut rien » ?

Laurent Ott. Oui. Durant les années soixante-dix, les mouvements comme le GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle - NDLR) ou Freinet ont montré ce que cette conception a de pervers. À savoir qu’elle se borne à mesurer de façon péjorative l’écart entre les pratiques culturelles du milieu des enfants et celles de la norme sociale imposée. Pour les enfants des milieux populaires, c’est une catastrophe. Ils ont besoin de l’école pour élargir leur champ de connaissances. Or, elle leur dit : « pas question d’aller voir ailleurs tant que vous n’aurez pas comblé vos lacunes dans les matières fondamentales ». C’est comme si l’on resservait le même plat à quelqu’un qui ne le digère pas : on l’enferme dans sa difficulté. Ce type d’école n’a d’autre but qu’elle-même.

Vous dites que la discipline peut, elle aussi, être discriminante...

Laurent Ott. Le discours tenu sur la « turbulence » d’un enfant varie selon son milieu social. D’un gamin de classe moyenne, on dira qu’il est « vivant », « énergique », « actif ». Un gosse de milieu populaire sera qualifié d’« instable », « agité », « agressif »... L’école s’oppose singulièrement aux jeunes garçons, dont le comportement est décrypté au vu du danger potentiel qu’ils représenteraient dans l’avenir. Cela entraîne des réactions punitives souvent disproportionnées.

Qui est responsable ? Les politiques éducatives ou vous, les enseignants ?

Laurent Ott. Le milieu enseignant est effectivement déboussolé, en proie à des attentes contradictoires. Sur le moment, les conduites punitives sont motivées par le sentiment d’urgence. Les profs sont abandonnés par leur hiérarchie. On ne les entend que s’ils parlent de violence ou de problèmes avec les parents. Dites : « moins d’élèves par classe », et vous passez pour un doux dingue. Dites : « des caméras dans les couloirs », et vous êtes entendus... y compris par les médias.

Réforme des ZEP, PPRE... des mesures ont été prises pour aider les élèves des quartiers difficiles...

Laurent Ott. Que promet la réforme des ZEP ? Que les plus méritants pourront aller dans de bons établissements. C’est une insulte. Vis-à-vis de l’école, dont on hiérarchise les établissements. Et des familles, à qui l’on dit qu’elles doivent guérir de leur milieu social.

Que l’on décide de faire d’un lycée de banlieue une très bonne école, d’accord. Mais en quoi aller à Henri-IV serait une ascension ? En outre, dès qu’un problème devient massif, on individualise la réponse. C’est une fumisterie. Regroupez tous les mômes en difficulté, définissez un « contrat d’objectif », ajoutez 2 heures de sport - ce qui vous permet d’en faire un « pôle d’excellence sportif »... C’est gagné : vous venez de baptiser « projet de réussite » ce qui est, au final, un projet d’exclusion. On appelle cela la « nov’langue », comme « nouvelle langue »...

(1) Quand les banlieues brûlent, sous la direction de Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli, 2005.
Editions « La Découverte ». 160 pages, 8,50 euros.

(2) La loi sur l’orientation pour l’école votée en avril 2005, puis la réforme des ZEP engagée en décembre ont introduit une note de discipline au collège, dite « note de vie scolaire ».

Entretien réalisé par M.-N. B.

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