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Les ZEP dans un rapport du Sénat : de nombreuses propositions

11 novembre 2006

Extrait du site du Sénat, le 10.11.06 : Publication du rapport sur les quartiers en difficulté

(...)

II. Une exigence pour l’école : mieux répondre aux besoins prioritaires d’éducation

L’« institution scolaire » a payé un lourd tribut à la « crise des banlieues » de l’automne dernier : plus de 250 établissements ont servi de cibles aux émeutiers, symboles d’une école ébranlée, montrée du doigt, désignée comme première responsable de la « colère » et des frustrations d’une partie des jeunes, qui la rejettent parce qu’elle les a rejetés.

La mission a ainsi pu constater, au cours de ses auditions et de ses déplacements, mais aussi à travers le questionnaire adressé aux maires des villes de plus de 10 000 habitants, la prégnance des questions liées à l’éducation et à la formation, qui traduit l’ampleur du malaise, mais également -et surtout- l’intensité des attentes et le caractère central et prioritaire de ces enjeux. Pour reprendre les propos tenus par le maire de Tremblay-en-France, la médiocrité des résultats scolaires constitue, dans les quartiers défavorisés, l’un des principaux rouages d’une « spirale [qui] tire l’ensemble de la société vers le bas ».

En effet, pour un trop grand nombre de ces « enfants de la politique de la ville », l’école représente leur première expérience vécue de l’échec et de la relégation, contribuant ainsi, à défaut de vraiment les assumer, à cristalliser les inégalités : ce constat en dit long sur les insuffisances des dispositifs mis en place depuis plus de 20 ans -notamment dans le cadre de l’éducation prioritaire-, ainsi que sur les inadaptations d’un système de formation qui n’apparaît pas en phase avec les besoins de nombreux jeunes d’une part, qui perdent pied à défaut de voir le sens et la finalité des apprentissages, et les besoins des employeurs d’autre part.

A cet égard, la mission a pu mesurer le décalage entre les attentes des équipes éducatives, dont elle a pu apprécier la mobilisation et l’engagement, et le discours des hauts responsables du système éducatif, qui lui est apparu déconnecté de ces réalités du terrain.
Certes, il ne faut sans doute pas tout attendre de l’école, tant elle est confrontée, dans ces quartiers, à des « adversaires » -la « ghettoïsation » urbaine, la fragilisation des familles, la crise des valeurs et de l’autorité, le chômage, la désespérance sociale, etc-, qui amplifient les défaillances du système et rendent la tâche extrêmement difficile et éprouvante pour les personnels et les enseignants. Toutefois, rien ne se fera sans elle : il nous faut redoubler d’efforts pour offrir aux jeunes les mêmes chances de réussite et d’insertion, et refaire ainsi de l’école un moteur d’intégration et de promotion.

Notre système d’éducation et de formation doit en effet constituer l’un des premiers leviers d’une action de fond en faveur des quartiers en difficulté, face aux défis de l’emploi, de la prévention et de la cohésion sociale. Il existe, comme l’a relevé la présidente du conseil d’orientation de l’ONZUS, « une importante marge de progression », qui appelle, dans le prolongement des dispositifs mis en place ces derniers mois par le Gouvernement, des mesures pragmatiques, plus souples et mieux adaptées à des besoins prioritaires d’éducation.

A. Offrir aux jeunes les mêmes chances de réussite scolaire : des politiques à repenser

1. Un « effet ghetto » qui aggrave les inégalités

a) Les pièges de la carte scolaire : de « délits d’initiés » en logiques d’enfermement

Conçue, il y a plus de quarante ans, comme un instrument de mixité scolaire et sociale, la politique de sectorisation des écoles a montré ses limites, en favorisant, dans les quartiers eux-mêmes devenus des marqueurs de la relégation sociale, la constitution de « ghettos » scolaires où se concentrent les publics les plus en difficulté.

En effet, si les collèges situés en ZUS accueillent, en moyenne, 63 % d’élèves issus de milieux défavorisés et 12 % d’élèves de nationalité étrangère, ces proportions peuvent atteindre 90 % et 80 % dans certains établissements.
Ségrégation urbaine et ségrégation scolaire s’alimentent ainsi l’une et l’autre : « Les écoles à la fois subissent le manque de mixité sociale, mais en même temps contribuent à le renforcer. Bailleurs et enseignants se renvoient d’ailleurs la balle : « comment avoir une politique de gestion locative avec des écoles aussi peu attractives ? » disent les bailleurs. « Comment peut-on conduire notre enseignement avec une population qui concentre tant de difficultés ? » disent les enseignants. »

A cet égard, certaines personnalités ont souligné devant la mission les effets pervers de la carte scolaire : en raison des stratégies de contournement ou d’évitement mises en oeuvre par les familles les plus « initiées », celle-ci ne s’impose finalement qu’à celles qui n’ont pas le choix ; dans les zones socialement homogènes, a fortiori quand l’école se situe « au pied des tours », elle participe à l’enclavement des populations.
C’est pourquoi une « remise à plat » s’impose, notamment dans le cadre des stratégies de rénovation urbaine. La localisation des établissements scolaires et la définition de leurs périmètres de recrutement doivent se fonder sur l’examen précis des réalités locales, dans le cadre d’une réflexion globale, menée en concertation étroite avec les collectivités territoriales -communes et conseils généraux- qui en ont la responsabilité, pour les écoles et les collèges. En effet, les problèmes ne se posent pas de la même façon, ni avec la même acuité, d’un contexte à l’autre.

b) L’école perméable à la violence et à la misère sociale : une autorité à restaurer

L’école n’est pas étanche aux difficultés qui l’environnent : elle les reflète, les « absorbe » et les amplifie, au point de faire de certains de nos établissements scolaires des zones de violence et de misère sociale, qui portent en germe -ou subissent- les phénomènes de délinquance.

La commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs relevait ainsi l’« entrée en force de la délinquance à l’école », qui reste sous-estimée par l’Éducation nationale. Or, « si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n’a pas réussi à l’école »

Notre collègue M. Christian Demuynck avait souligné, dans un récent rapport, qu’outre les actes de violence graves, qui sont le fait d’un petit nombre d’élèves, les collèges des quartiers « difficiles » étaient les plus concernés par l’absentéisme régulier et l’accumulation de « petites incivilités au quotidien qui font peser sur l’école un climat d’insécurité perçu et vécu comme une violence ».

Au-delà, la concentration de la misère sociale contribue à ébranler l’autorité de l’institution scolaire. Le recteur de l’académie de Créteil a ainsi fait observer à la mission que l’école n’était plus, aux yeux d’une partie des jeunes, « porteuse d’un projet de vie » : cette « machine scolaire » fonctionne en effet pour eux comme « un piège et un vecteur d’exclusion », soit en conduisant à l’échec et à la perte de l’estime de soi, soit en délivrant un diplôme qui ne permet pas de trouver une place dans la société.

A cet égard, l’exemple du chômage des aînés et des « grands frères diplômés » a un effet démobilisateur de plus en plus précoce sur les élèves : plus de 30 % des enfants d’inactifs quittent le système scolaire sans qualification. Par ailleurs, le manque d’intérêt pour les études de certains collégiens les conduit à un « décrochage » progressif : près de 15 000 jeunes de moins de 16 ans seraient déscolarisés -échappant aux dispositifs de « remédiation » ou autres « classes relais » mises en place depuis 1998-, dans une situation qui les place dans une spirale de marginalisation sociale.

L’« école de la rue » fait alors concurrence à la salle de classe : l’échec scolaire devient un marqueur identitaire pour ces « affranchis » du système -le linguiste Alain Bentolila parle de « tribalisation de l’échec »-, exposés au développement de trafics divers, qui assurent un « statut social » dans la cité, se révélant plus rapidement et aisément lucratifs.

Face à de telles situations qui déstabilisent les établissements et rendent les conditions d’exercice de leur mission délicates, les équipes éducatives doivent être dotées de véritables moyens de réagir et d’agir : cela passe notamment par la poursuite du développement des classes relais, chargées d’accueillir, de façon temporaire, les jeunes dont le comportement contribue à perturber les classes.

Au-delà, la mission suggère de mieux préparer les personnels et les enseignants, dans le cadre de leur formation, à la gestion des conflits et des conduites à risque, et de doter chaque établissement d’un système de sanctions disciplinaires adapté.

2. Les ZEP : une réponse insuffisante, contestée et contestable

a) Les limites d’une action « prioritaire » menée à grande échelle

Après 25 ans de mise en oeuvre, la politique d’éducation prioritaire n’a pas contribué à réduire, dans les territoires cumulant les handicaps, les inégalités de réussite scolaire liées au poids de l’origine sociale : si, globalement, il n’y a eu ni dégradation ni rattrapage des conditions de scolarisation, la situation s’est aggravée dans certains établissements.

En raison de l’insuffisance et du saupoudrage des moyens, ce « zonage » a renforcé, aux yeux des familles comme des enseignants, les effets de stigmatisation.

En effet, le supplément de ressources alloué aux établissements est estimé à environ 10 % par le ministère de l’éducation nationale, alors qu’il est 1,5 fois plus élevé aux Pays-Bas. Par ailleurs, ces moyens ont été consacrés de façon quasi exclusive à la réduction uniforme du nombre d’élèves par classe, insuffisante pour avoir un impact sur la réussite des élèves.

La mission n’entend pas, pour autant, remettre en cause la pertinence du principe, qui a été largement dévoyé par l’extension non pilotée du dispositif : comme l’a rappelé le ministre de l’éducation nationale, M. Gilles de Robien, en présentant, le 8 février dernier, son plan de relance de l’éducation prioritaire, au lieu de « donner plus à ceux qui ont moins », « nous avons donné trop peu, à trop de monde ».

Les zones et réseaux d’éducation prioritaire, dont le nombre est passé de 363 en 1982 à plus de 900 en 2005, scolarisent aujourd’hui près de 18 % des écoliers et 20 % des collégiens. Leur bilan contrasté révèle de fortes disparités liées à un « effet de cliquet » : or, « une ZEP qui réussit devrait être une ZEP qui disparaît », comme le soulignait déjà la commission d’enquête sur la gestion des personnels éducatifs, présidée par notre collègue M. Adrien Gouteyron

C’est pourquoi la mission partage les récentes orientations visant, notamment, à améliorer l’évaluation et le suivi des ZEP et à mieux cibler les moyens sur les « élèves prioritaires », dans les 249 collèges et 1 600 écoles des « réseaux ambition réussite » où les difficultés sont les plus lourdes.

Ces établissements bénéficient, depuis la rentrée dernière, du renfort de 1 000 enseignants « chevronnés » et de 3 000 assistants pédagogiques, qui ont notamment pour tâche d’assurer le suivi individualisé ou en petits groupes des élèves repérés en difficultés.

Il s’agit toutefois d’aller jusqu’au bout de la réforme et d’assouplir les modalités d’entrée et de sortie du dispositif, sur la base d’objectifs pluriannuels contractualisés : révisable à intervalles réguliers, le statut de ZEP deviendrait ainsi un véritable vecteur de dynamisme.

b) Des conditions d’enseignement au rabais ?

L’échec des ZEP n’est pas seulement le fait d’un manque de moyens. Les formidables résultats constatés dans certains établissements montrent bien que la qualité de l’enseignement est le premier déterminant de la réussite, en ZEP plus qu’ailleurs.
Ainsi, comme la représentante de la Ligue de l’enseignement l’a souligné devant la mission, l’ « effet établissement » et l’ « effet maître » exercent une influence démultipliée sur les élèves les plus défavorisés. Or, les ZEP font souvent jouer ces effets en sens inverse :

 d’une part, la taille excessive de certains établissements a un impact négatif sur le climat général de vie scolaire et sur les résultats des élèves ; celle-ci devrait être plafonnée, afin de conserver une « dimension humaine » ;

 d’autre part, en dépit des primes ou bonifications de carrière mises en place au profit des personnels, les ZEP peinent à attirer et retenir les professeurs les plus expérimentés : Versailles et Créteil sont ainsi des académies de « début de carrière » pour la population enseignante « captive » -et déracinée- sortant d’IUFM ; or, la solidité et la stabilité des équipes se mesure en général à l’équilibre entre un noyau d’enseignants chevronnés et le renouvellement par la venue de plus jeunes ; c’est pourquoi ces personnels devraient être mieux accompagnés à leur arrivée, notamment dans leur recherche de logement, et le mérite de ceux qui s’engagent à rester exercer plusieurs années dans des établissements difficiles devrait être plus fortement valorisé, en termes d’avancement de carrière et de perspectives professionnelles notamment.

Par ailleurs, la concentration de publics en difficulté a conduit à prôner un « allègement » des exigences scolaires qui a abouti, de fait, à entériner un nivellement par le bas. Or, « il n’y a pas deux écoles, l’une ou l’on étudie, l’autre où l’on résout des problèmes sociaux » : les apprentissages scolaires sont en effet le premier levier d’intégration.

C’est justement pour les enfants qui ne bénéficient pas, dans leur environnement familial, du suivi et des « codes » culturels valorisant le sens du travail et de l’effort scolaires, que ces exigences sont passées au second plan : elles se sont parfois diluées, sous l’effet d’une « illusion pédagogiste » qui s’est focalisée sur l’attractivité et la variété des activités, l’innovation de méthodes modernes, ludiques et « actives » d’apprentissage.

Aussi bien les éducateurs que les chefs d’entreprises rencontrés par la mission lui ont dit en constater à présent les conséquences désastreuses :

 un grand nombre de jeunes sortent du système éducatif sans avoir une solide maîtrise de la langue à l’écrit comme à l’oral ; si 15 % des élèves éprouvent des difficultés en lecture à l’entrée en classe de sixième, ils sont deux voire trois fois plus nombreux dans ce cas en ZEP ;

 en outre, certains n’ont pas assimilé les codes élémentaires de comportement nécessaires à la vie en société et à l’entrée dans la vie active.

L’Éducation nationale aurait-elle oublié les leçons du passé ? C’est en effet par la rigueur dans les apprentissages, la « séduction de la difficulté », la transmission de valeurs morales et de règles de discipline que les « hussards » de la République ont fait de l’école l’instrument de promotion sociale, d’intégration et d’insertion dans la société qu’elle doit redevenir.

3. Donner aux équipes éducatives des moyens d’action plus adaptés

a) Rétablir l’égalité des chances dès l’école primaire

Comme le souligne une récente note de l’Institut Montaigne, « les dysfonctionnements de l’école primaire sont à l’origine de ceux du système éducatif dans son ensemble ».

Le collège, souvent vu comme le « maillon faible » du système, n’est souvent que le réceptacle des difficultés accumulées lors des premières années de la scolarité : les chances de rattrapage d’une mauvaise scolarité au primaire sont nulles ou très faibles ; l’installation précoce de l’échec a des effets démobilisateurs ; enfin, la moitié des sortants sans qualification du système éducatif ont redoublé au cours préparatoire ou élémentaire.

C’est pourquoi la mission considère que les récentes orientations visant à recentrer l’école, notamment dans les zones prioritaires, sur sa mission de transmission et d’acquisition des savoirs de base vont dans le bon sens. Elles se sont traduites par des mesures pragmatiques, qui tendent à assigner à l’école une obligation de résultat : définition d’un socle commun de connaissances et de compétences, évaluation dès le CE1 et mise en place de dispositifs d’aide individualisée - les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) - pour les élèves repérés en difficulté.

Au-delà, la diversité des enfants est une évidence que le système scolaire n’a pas encore véritablement intégrée dans son organisation et ses pratiques pédagogiques.
En confondant uniformité -ou rigidité- et égalité, l’école laisse à la dérive une partie de ses élèves. Les méthodes d’enseignement, qui privilégient -plus que dans d’autres pays- l’abstraction à une approche plus concrète des savoirs, ne sont pas sans lien avec le manque d’intérêt de certains élèves pour des apprentissages scolaires dont ils ne perçoivent pas les finalités.

Afin d’éviter que ne s’installe le « décrochage » et de susciter le « désir d’apprendre », l’école doit prendre en compte, le plus en amont possible, les différences dans les rythmes d’apprentissage des élèves, et valoriser leurs diverses formes de talents.

D’après les analyses de l’économiste M. Thomas Piketty, des réductions ciblées des effectifs par classe -en deçà de 17 élèves-, au cours des premières années de scolarité, pourraient conduire à améliorer les résultats des enfants issus de milieux défavorisés. Néanmoins, de telles initiatives ne sauraient se passer d’une réflexion sur les pédagogies mises en oeuvre. Ainsi, la mission propose d’expérimenter, dans le cadre de classes ou d’écoles « pilotes » implantées dans des quartiers en difficulté, sur des groupes d’élèves réduits et avec l’appui d’équipes éducatives volontaires, des modes d’apprentissage différents et de nouvelles organisations, plus souples, du temps scolaire. Ces écoles pourraient ensuite servir de support pour la mutualisation et la diffusion des « bonnes pratiques ».

b) Des établissements plus autonomes et plus attractifs

En outre, la cohésion et la motivation des équipes éducatives, autour d’un projet cohérent, sont une garantie de leur stabilité et jouent un rôle déterminant dans la réussite des élèves, notamment en ZEP.

Cette dynamique pour impulser une culture de projet et nouer des partenariats, repose souvent sur la personnalité du chef d’établissement, véritable « chef d’orchestre » dont les fonctions devraient être mieux reconnues et valorisées par l’institution. Il s’agit d’abord de veiller à nommer sur ces postes des personnels volontaires, en dérogeant, le cas échéant, aux procédures « mécaniques » et administratives d’affectation, et de mieux prendre en compte les périodes passées en établissement difficile, en termes d’évolution de carrière notamment.

Par ailleurs, la mission suggère de redonner sens à une autonomie, qui n’est restée que formelle, en confiant aux équipes de direction, d’abord à titre expérimental, des responsabilités renforcées :

 au niveau financier, en les laissant décider plus librement de l’utilisation des moyens qui leur sont alloués, en fonction de leur contexte et de leur projet, par l’attribution d’enveloppes globales pluriannuelles contractualisées ; la révision des moyens se ferait notamment sur la base de la réalisation des objectifs fixés ;

 au niveau de la gestion des ressources humaines, pour solliciter leur avis lors de l’affectation et de l’évaluation des personnels, y compris enseignants : il s’agit de veiller à ce que leur profil corresponde aux besoins de l’établissement, de repérer plus tôt les signes d’usure et d’assurer une meilleure reconnaissance de l’investissement de chacun au service de la réussite des élèves ;

 au niveau pédagogique, pour leur laisser une plus grande latitude, en contrepartie d’une évaluation a posteriori, afin d’adapter les rythmes ou pratiques d’enseignement, moduler l’organisation du temps de service des personnels et diversifier l’offre de formation ; à cet égard, proposer un choix d’options attractives (sections européennes, musicales, artistiques ou sportives, langues rares) ou des dispositifs valorisant les meilleurs élèves (tutorat) peut produire un effet d’affichage et d’entraînement positif ; de telles initiatives doivent donc être soutenues, car elles confortent le principe d’« égalité des possibles » : « ici, on peut réussir aussi bien qu’ailleurs ».

S’agissant des écoles, la loi relative aux libertés et responsabilités locales a ouvert la possibilité de mener une expérimentation tendant à créer des « établissements publics d’enseignement primaire ». Alors que le décret d’application n’est toujours pas paru, il serait intéressant d’utiliser cette faculté pour confier aux équipes des moyens d’action renforcés.

B. Éduquer et former : prendre en compte l’école dans son environnement

1. De la lutte contre l’échec scolaire à la « réussite éducative » : ouvrir l’école aux partenariats

a) La nécessité d’une prise en charge précoce et globale des difficultés des enfants et des familles : des dispositifs à consolider

La mission de l’école, dans les quartiers difficiles, se heurte aux défaillances éducatives des familles : les mauvaises conditions de logement ainsi que la précarité des situations (familles nombreuses ou monoparentales, parents non francophones, au chômage ou non diplômés) rendent plus délicat l’exercice de l’autorité parentale et creusent les inégalités.

Face à ces difficultés, et pour offrir toutes ses chances à l’enfant, l’école joue un rôle prépondérant, mais elle ne peut pas tout résoudre.

C’est en partant de ce constat que le Plan de cohésion sociale a prévu la mise en oeuvre de programmes de « réussite éducative », dont le principal atout est de s’inscrire dans une démarche personnalisée et globale : ils proposent, aux enfants scolarisés en ZEP ou en ZUS et présentant des signes de fragilité, ainsi qu’à leurs familles, un accompagnement éducatif, culturel, social et sanitaire, dès les premières années de l’école maternelle.

Ce faisant, il convient de veiller à ce que ces programmes -qui concernent cette année environ 80 000 enfants et adolescents- ne se superposent pas aux autres dispositifs existants, mais assurent une mise en cohérence de ces actions.

En outre, dans le prolongement de ces objectifs, l’influence de l’environnement familial et culturel sur le capital de réussite des enfants incite à développer des réponses personnalisées, adaptées aux difficultés rencontrées dans ces quartiers :

 pour renforcer, en amont de la scolarité, les structures d’encadrement des jeunes enfants, notamment dans le cadre de dispositifs « passerelles », à mi-chemin entre la crèche et l’école maternelle ; il s’agit notamment de renforcer la prévention des troubles de l’apprentissage ou du comportement et de mieux repérer les difficultés des familles ; c’est en effet avant l’âge de 4 ans que le langage se structure et que se transmettent les repères du « vivre ensemble » ;

 pour développer l’offre d’internat, dès le collège ; cette rupture peut être une chance pour certains jeunes : les expériences américaines de « busing », consistant à scolariser des enfants défavorisés en dehors de leur quartier, ont en effet produit des résultats étonnants ; en outre, la réussite des Maisons familiales rurales s’appuie notamment sur le rôle éducatif de l’internat, autour duquel s’organise une animation socioculturelle et un apprentissage des règles de la vie en commun.

b) Généraliser les études encadrées

La mission estime prioritaire de renforcer l’encadrement extrascolaire des enfants et des jeunes, le soir, le week-end et pendant les vacances.

De tels dispositifs se développent, notamment à l’initiative des collectivités territoriales, pour assurer un relais à l’école, au moment crucial où jouent très fortement les inégalités dans l’accès aux activités sportives ou artistiques et l’aide aux devoirs que peuvent apporter les parents.

Il s’agit, toutefois, de sortir du « tout associatif » ou du face-à-face élève-enseignant et de mobiliser un nouveau cadre d’intervenants, rémunérés à cet effet.

Cela permettrait de répondre au désir d’engagement de retraités, mères de famille, habitants du quartier ou étudiants -notamment dans le cadre du service civil volontaire-, qui ont beaucoup à apporter aux plus jeunes en termes d’ « éducation à la vie ». En outre, ces initiatives créatrices de lien social contribueraient à refaire de l’école un lieu où s’apprend et se met en action le respect et la solidarité entre les générations.

c) Donner sens à la notion de « communauté éducative »

L’école est un acteur incontournable de son quartier. Or, la mission a pu mesurer combien le discours autocentré tenu par les hauts responsables du système éducatif était déconnecté des attentes exprimées par les acteurs de terrain : en effet, les élus locaux, acteurs associatifs, juges ou policiers, ont tous souligné des blocages persistants pour établir un dialogue et des liens durables avec une institution scolaire qui continue à agir, selon certains, « les yeux bandés ».

C’est pourquoi de nouvelles formes de partenariats sont à développer ou à consolider.

Il s’agit, tout d’abord, d’ouvrir l’école aux parents les plus extérieurs à elle, afin de renouer la confiance, de les amener à mieux appréhender ses rouages et ses « codes » et de leur expliquer le sens du projet scolaire pour qu’ils y apportent leur soutien.

Les enseignants qui le souhaitent devraient être encouragés à être présents plus longtemps dans les établissements -et rétribués en conséquence-, pour recevoir les parents, animer des ateliers communs enfants-parents ou donner des cours de français aux mères étrangères.

En matière de prévention, ensuite, l’école et les enseignants sont en première ligne pour repérer les signes de fragilité des élèves et les comportements déviants.

En ce sens, les effectifs de personnels médico-sociaux (médecins scolaires, infirmiers, assistants sociaux, psychologues scolaires) doivent être renforcés dans les établissements des quartiers difficiles -alors qu’on ne compte en moyenne qu’un médecin scolaire pour plus de 5 600 élèves-, notamment en vue de généraliser les bilans de santé prévus par la loi.

En parallèle, dans un souci de continuité du suivi des enfants et des familles, il faudrait rechercher des synergies avec les services sociaux des conseils généraux, par une mise en commun des moyens ou en organisant un partage sécurisé des données entre les acteurs. Comme le propose le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, en matière de contrôle de l’obligation scolaire par le maire, les échanges d’information doivent en effet emprunter des canaux plus directs pour renforcer la réactivité et l’efficacité des actions.

Enfin, le partenariat éducatif avec les collectivités territoriales doit être mieux reconnu comme tel, pour assurer une meilleure cohérence entre les actions scolaires et périscolaires.

Comme le suggère le Conseil national des villes (CNV), les enseignants devraient être sensibilisés, avant la rentrée, à la connaissance de leur environnement et rencontrer les différents acteurs impliqués dans le projet éducatif local.

Enfin, le rôle et la composition des instances de dialogue (conseils d’administration, conseil départemental de l’éducation nationale) devraient être revus, afin de renforcer le pilotage du projet éducatif local et d’assurer une articulation avec les projets d’école ou d’établissement, autour d’objectifs et d’outils d’évaluation communs.

2. Réduire le fossé entre l’école et le monde professionnel

a) Un système en décalage avec la demande de formation : réconcilier l’école avec sa mission d’insertion

Il ressort clairement des travaux de la mission, notamment du questionnaire adressé aux maires, que le défi de l’insertion professionnelle des jeunes est mal assumé par notre système de formation.

Or, les handicaps dans l’accès à l’emploi sont lourds : d’une part, 40 % des jeunes en ZUS sortent du système éducatif sans bagage (contre 17,7 % pour la moyenne nationale) ; d’autre part, leur « employabilité », notamment celle des garçons, se heurte à des problèmes de « savoir être » : or, les emplois du tertiaire, notamment, requièrent désormais « des « qualités relationnelles » opposées à leur manière d’être. Ils en viennent progressivement à refuser le travail qui les refuse. »

Par ailleurs, si 40 % des jeunes non qualifiés sont au chômage après trois ans de vie active, la possession d’un diplôme ou d’une qualification ne garantit pas forcément l’accès à un travail qui corresponde à sa formation et à ses attentes. Or, dans des quartiers touchés par un chômage massif, aussi bien les jeunes que les milieux professionnels aspirent, en priorité, à ce que les formations soient en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi.

C’est pourquoi la mission considère que notre système de formation ne peut pas s’accorder le luxe d’orienter massivement des jeunes vers des filières dont on sait qu’elles n’offrent aucun débouché, parce qu’elles sont désuètes ou engorgées. La décote que subissent les jeunes diplômés en se présentant sur le marché du travail est ressentie brutalement : elle crée un sentiment de double relégation qui discrédite l’institution scolaire.

Ce paradoxe a des conséquences lourdes : en effet, les témoignages des entrepreneurs de zones franches urbaines (ZFU) recueillis par la mission à Marseille ou en Seine-Saint-Denis, confirmés par les statistiques du marché du travail, font état de très fortes difficultés de recrutement dans un grand nombre de métiers, dans les secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration, de l’animation et de l’aide sociale..., désertés par les jeunes en formation.

Aussi, la mission suggère de développer, en lien avec les services de l’emploi et les régions, des parcours de formation permettant à des jeunes d’acquérir, notamment par la voie de l’alternance, et en priorité dans les secteurs confrontés à un déficit de compétences, une qualification diplômante avec insertion à la clé.

De façon plus générale, le monde professionnel est demandeur d’une meilleure collaboration avec l’Éducation nationale sur l’identification des besoins : ce travail de veille permettrait d’être plus réactif dans l’adaptation des formations et la régulation des flux d’entrée.

b) Améliorer les parcours d’orientation et la transition vers l’emploi

En parallèle, alors que de nombreux intervenants ont souligné devant la mission les difficultés des jeunes à se projeter vers l’avenir, il est nécessaire de leur proposer, le plus en amont possible, un accompagnement plus personnalisé pour les aider à bâtir un projet professionnel, permettant à chacun de trouver sa place et sa voie. Les problèmes d’affectation ou d’orientation « par défaut » sont en effet l’une des principales causes des abandons précoces de scolarité.

La « crise des banlieues » a marqué une première prise de conscience de cette exigence, puisqu’elle a été suivie de l’annonce -controversée- de la mise en place de l’« apprentissage junior » : sans être réservé aux jeunes en difficulté, il offre une possibilité de mise en situation concrète dont beaucoup ont besoin pour se « raccrocher » aux études.

Autre mesure phare : la création d’un « schéma national de l’orientation et de l’insertion professionnelle », visant à renforcer les synergies entre les différentes structures impliquées et à mieux orienter les choix en fonction de la réalité des débouchés.

Au-delà, comme un proviseur l’a indiqué aux membres de la mission lors de son déplacement à Marseille, « il faut cesser de diaboliser le monde de l’entreprise » : l’école et l’entreprise ne doivent plus être deux mondes hermétiques l’un à l’autre.

Il s’agit, d’une part, de travailler sur les représentations, souvent déformées et lacunaires, que les jeunes ont du monde du travail, en favorisant le développement, dès le collège, de modules de sensibilisation aux exigences de la vie professionnelle, et en encourageant la mise en oeuvre de programmes de parrainages avec les entreprises et de stages.

D’autre part, dans le prolongement de l’option de « découverte professionnelle » mise en place à partir de la rentrée 2005 pour les élèves de troisième, il est nécessaire de combler le profond déficit d’information que les jeunes ont des filières, de la diversité et de la réalité des métiers, en améliorant la formation des professeurs principaux de collège et des personnels d’orientation, notamment au travers de stages pratiques.

En parallèle, la mission considère qu’il est impératif de casser l’image dévalorisée des filières professionnelles que le système éducatif contribue à entretenir, en orientant les élèves par échecs successifs et en évaluant le plus souvent les performances des établissements sur la base du taux d’orientation des élèves vers la voie générale. Ainsi, les formules « alternatives » proposées au sein du collège « unique » sont vite devenues des filières de relégation pour « élèves à problèmes », contribuant à jeter le discrédit sur l’ensemble des formations professionnelles.

Afin de donner aux collèges les moyens de rendre ces formations plus attractives, en les dotant notamment d’équipements plus modernes, la mission suggère de leur affecter, de façon systématique, une part de taxe d’apprentissage, dès lors qu’ils disposent de telles filières ou de SEGPA.

En outre, l’Éducation nationale doit poursuivre ses efforts en vue d’améliorer la transparence des débouchés et des perspectives de carrière qu’offrent les différentes voies de formation, notamment professionnelles.

Il s’agit également, avec le concours des professionnels, de valoriser les micro-réussites et de faire prendre conscience, dès le plus jeune âge, des compétences intellectuelles et de la créativité que requièrent y compris les métiers que l’on qualifie de « manuels ». En effet, l’image négative que les jeunes ont de ces métiers, notamment dans le secteur de l’industrie, est liée au sentiment de « surplace » sociale qu’ils renvoient, notamment chez ceux qui sont issus de milieux ouvriers ; or, les préjugés sur la pénibilité des métiers ou leur faible niveau de rémunération ne sont pas -ou plus- toujours d’actualité.

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C’est ainsi en donnant aux équipes éducatives et aux acteurs de terrain des outils pour mieux s’adapter aux situations à la fois locales et individuelles, par des réponses de proximité, plus souples mais mieux évaluées, associant l’ensemble de ceux qui concourent à « élever » les enfants, que l’on pourra répondre de façon plus réactive et plus efficace aux signaux de détresse des jeunes, mais aussi des enseignants, qui s’avouent bien souvent désarmés.

L’école du quartier ne saurait entériner la fatalité de l’échec : c’est pourquoi il faut être à la fois plus exigeant à l’égard de l’acquisition des savoirs et savoir être de base, et plus lucides quant aux besoins de formation et aux priorités d’insertion, pour dépasser les blocages, ouvrir les horizons et « faire entrer ces quartiers dans la République », de façon durable.

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Les propositions de la mission

 Revoir, dans un objectif de mixité sociale, les mécanismes d’élaboration de la carte scolaire, dans le cadre d’une réflexion globale menée à partir de l’examen des réalités locales, en association étroite avec les collectivités territoriales.

 Assouplir les conditions d’entrée et de sortie des établissements en ZEP, sur la base d’objectifs pluriannuels contractualisés ; plafonner la taille des établissements et renforcer les équipes de direction, pour passer d’une autonomie formelle à une autonomie réelle.

 Expérimenter, dans le cadre de classes ou d’écoles « pilotes », des méthodes ou rythmes d’apprentissage diversifiés et de nouvelles organisations du temps scolaire ; diversifier l’offre de formation dans les établissements situés en ZEP, en faveur d’options attractives (sections européennes, musicales, langues rares...).

 Développer les structures d’accueil de la petite enfance, en coordination avec les écoles maternelles, et l’offre d’internats.

 Généraliser les études encadrées, en mobilisant un nouveau cadre d’intervenants rémunérés (retraités, mères de famille, habitants du quartier, étudiants...-notamment dans le cadre du service civil volontaire-).

 Faire entrer dans l’école les parents les plus éloignés d’elle, en encourageant les enseignants à allonger leur temps de présence dans les établissements.

 Renforcer les effectifs de personnels médico-sociaux scolaires ; envisager, à titre expérimental, une mise en commun avec les moyens des services sociaux des conseils généraux et organiser un partage sécurisé des données entre les acteurs sociaux et éducatifs.

 Renforcer la lutte contre la violence scolaire, par le développement des classes relais, la formation des enseignants à la gestion des conflits et la mise en place, dans chaque établissement, d’un système de sanctions disciplinaires adapté.

 Clarifier le pilotage du partenariat éducatif local : revoir le rôle et la composition des instances de dialogue ; organiser des rencontres entre les enseignants et personnels scolaires et les différents acteurs du projet éducatif local.

 Faciliter l’insertion des jeunes, en développant, en association avec les milieux professionnels, des parcours de formation adaptés aux besoins prioritaires de l’emploi ; identifier les débouchés des filières à court et moyen termes, pour réguler l’offre de formation et les flux d’entrée ; mettre en place, dès le collège, des modules de sensibilisation aux exigences de la vie professionnelle (ponctualité, sociabilité, présentation, hiérarchie...) et des programmes de parrainage avec des entreprises.

 Affecter une part de la taxe d’apprentissage aux collèges disposant de filières « professionnalisantes » ou de SEGPA notamment.

 Organiser des stages pratiques en entreprise et des actions de sensibilisation aux filières de formation et aux métiers pour les enseignants et personnels d’orientation ; informer systématiquement les jeunes et les familles sur les débouchés des filières

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