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Présidentielle. François Dubet dénonce les illusions communes sur l’école

24 janvier 2007

Extraits du « Monde », le 22.01.07 : En finir avec l’élitisme scolaire

Les candidats à l’élection présidentielle parlent enfin de l’école et de l’éducation. Il faut s’en réjouir. Mais, pour le moment, les grandes déclarations ne laissent guère apparaître de projets véritables et de perspectives à long terme. Il est vrai que tout invite à la prudence dans un domaine où les projets de réforme, y compris les plus timides, préparent souvent des petits matins difficiles. Pourtant, la sagesse n’explique pas tout car, face à l’école, nous vivons sur un certain nombre d’illusions.

Première illusion : le salut est dans le passé. L’air du temps est au conservatisme, voire aux appels réactionnaires à un âge d’or d’autant plus enchanté qu’il n’existe que dans la nostalgie des images d’Epinal. Les succès de librairie, les éditoriaux les plus fracassants et quelques déclarations politiques bien senties dénoncent en vrac le "laxisme", les "délires" pédagogiques, la chute du niveau, l’effondrement de la discipline, les instituts universitaires de formation des maîtres assimilés à des "goulags"... Dès lors, revenons au bon temps d’avant, aux bonnes vieilles méthodes, à l’orientation et à la sélection précoces, afin que l’école rompe avec les idées délétères de Mai68, dont procéderait tout le mal. L’école devrait éduquer nos enfants comme le furent nos grands-parents, comme si le temps et la culture devaient se figer une fois pour toutes.

Deuxième illusion : il n’est d’autre justice que l’égalité des chances. Bien sûr, tout doit être fait pour tendre vers cet idéal, et l’on propose donc de multiplier les parrainages entre les grandes écoles et les établissements difficiles, de créer des filières prestigieuses dans les zones défavorisées afin que les élèves particulièrement méritants puissent rejoindre une élite dont la légitimité en serait, par la même occasion, renforcée. Que des initiatives soient prises en ce sens, c’est très bien, mais ce serait une lourde erreur que de croire que ces mesures feront, à elles seules, office de politique scolaire. Et cela pour une raison simple : cette politique ne dit rien du sort qui sera réservé à la masse des élèves les moins favorisés et les plus faibles, à moins que l’on considère qu’ils ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils n’ont pas eu assez de mérite pour être du côté des vainqueurs. Il n’est pas étonnant que les plus libéraux et les républicains les plus rigides s’accordent sur une politique qui ne se soucie que de l’équité du recrutement des élites.

Troisième illusion : tout est affaire de moyens. Comme le monde de l’école est fatigué par les réformes, comme le métier d’enseignant est de plus en plus difficile, on propose de ne rien changer sur le fond et de donner plus de moyens pour faire la même chose. Dans cette perspective, on entend généraliser les systèmes d’aide et de soutien scolaires, comme si, ne pouvant changer l’école, on devait mobiliser les élus locaux, les travailleurs sociaux, les familles et les associations pour qu’ils fassent ce que l’école ne parvient plus à faire. Sans doute faut-il des moyens et faut-il les répartir de manière plus équitable et plus efficace, mais il y a quelque illusion à croire que l’école surmontera ses difficultés de cette manière, surtout quand les comparaisons internationales montrent que l’école française n’est pas parmi les plus pauvres ni les plus avares.

Au fond, tous ces thèmes sont des illusions parce qu’ils proposent, chacun à sa manière, de retrouver une école républicaine éternelle. Or s’il importe de refonder la vocation de l’école, ce n’est certainement pas en ignorant, au nom des vertus attribuées au passé, les changements apparus dans la société et dans l’école.

Que doit-on apprendre à l’école aujourd’hui ? Faut-il se résigner au fait que les programmes sont construits pour les élèves qui feront de longues études et doit-on continuer à orienter les autres par défaut vers les formations techniques et professionnelles parce qu’ils sont indignes des voies royales ? Les fondateurs de l’école républicaine ont eu le courage de se poser cette question ; l’absentéisme et le faible intérêt de nombreux élèves la posent de nouveau, et ce n’est pas en rêvant d’un retour au passé que nous créerons une école plus juste et plus efficace. Il est probablement plus difficile d’attendre moins de l’école mais de l’exiger de tous que de ne renoncer à rien mais de ne rien exiger.

A quoi servent les études ? Dans une société où chacun va à l’école longtemps, les diplômes sont indispensables et l’échec scolaire se transforme en handicap social. En même temps, les diplômes protègent de moins en moins des risques de la précarité et du déclassement. Dans ce contexte, notre société doit-elle continuer à tout miser sur l’école et ne faut-il pas imaginer que la formation scolaire s’articule à d’autres types d’apprentissage ? Il n’est ni juste ni efficace que tout semble joué à la sortie des études, et c’est faire peser sur l’école une espérance qui sera fatalement déçue que de ne pas rompre avec un modèle qui ne vaut que pour la part de la jeunesse qui réussit les concours les plus sélectifs.

Enfin, les désordres et les violences scolaires (des écoles ont brûlé durant l’automne 2005) signifient pour le moins que nous sommes très au-delà d’un simple problème de discipline scolaire et de maintien de l’ordre. Ce n’est pas être laxiste que de rappeler que l’école a une fonction d’éducation morale et que celle-ci ne peut s’accomplir que si les élèves et les familles sont convaincus que l’école est juste et nécessaire, y compris dans le cas où les élèves n’y réussissent pas comme ils le devraient. Le sort des plus faibles doit être l’impératif majeur. Peut-on construire une école civique rompant avec la fausse alternative entre instruire et éduquer en donnant à chaque élève la confiance et l’estime de soi auxquelles il a droit ?

Il faut sans doute un peu de courage et de volonté de convaincre pour faire comprendre qu’une page de l’histoire scolaire se tourne et que la défense des principes républicains appelle plus le changement et l’innovation que les crispations sur de vieilles recettes. Il est vrai que ce n’est pas facile dans un pays, la France, qui a fondé une culture nationale, un régime politique et une philosophie sociale sur l’école, un pays qui pense parfois que tout changement scolaire met en cause son identité. C’est pour cette raison que nous avons plus naturellement tendance à regarder derrière nous que chez nos voisins.

N’importons aucun système, mais il y a un peu d’autisme national à ne pas vouloir savoir comment s’y prennent certains pays pour avoir de meilleurs résultats, moins d’inégalités, moins de violence, et pour faire que les élèves y semblent plus aimer l’école que chez nous. Il ne faudrait pas que la grandeur de nos idéaux et de notre passé scolaire nous enferme dans des illusions qui ne sont peut-être que des ressassements, même quand elles parlent de"rupture".

François Dubet est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess).

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Extraits du site des « Cahiers pédagogiques », le 24.01.07 : Présentation de l’article de Dubet par Philippe Watrelot

C¹est la tribune de François Dubet dans Le Monde « En finir avec l¹élitisme scolaire » qui va constituer l’essentiel de cette chronique. Celui-ci interpelle non seulement les candidats à l¹élection présidentielle, mais aussi l¹ensemble des acteurs de l¹école. Il commence par repérer trois illusions dont il faut se déprendre.

Première illusion : « le salut dans le passé ». Il fustige les déclinologues de l’école et tous ceux qui font des succès de librairie en surfant sur la vague nostalgique et la dénonciation d¹un « complot pédagogiste ».

La deuxième illusion est selon lui celle de la croyance en l’égalité des chances qui, dans les discours, masque souvent un élitisme laissant peu de place à ceux qu¹il appelle les « vaincus ». Selon lui cette politique ne dit rien du sort qui sera réservé à la masse des élèves les moins favorisés et les plus faibles, à moins que l’on considère qu’ils ne devront s’en prendre qu¹à eux-mêmes s’ils n¹ont pas eu assez de mérite pour être du côté des vainqueurs. Il n’est pas étonnant que les plus libéraux et les républicains les plus rigides s¹accordent sur une politique qui ne se soucie que de l’équité du recrutement des élites.

Troisième illusion : considérer que tout est affaire de moyens. Ce qui conduit souvent certains à refuser d¹envisager qu’il faille aussi changer l’école. La question des moyens doit impérativement être pensée en lien avec les transformations des pratiques pédagogiques qu’ils doivent permettre.

Au final, on retrouvera dans ce texte, qui par bien des côtés rejoint les prises de position du CRAP-Cahiers Pédagogiques, la problématique des finalités de l¹école. Faut-il une école de l’élitisme et de la méritocratie ou une école qui permette (à différents niveaux) la réussite de tous ? Peut-on accepter qu’il y ait actuellement une école à deux vitesses Doit-on raisonner en termes
d’égalité ou d’équité ? Faut-il forcément qu¹il y ait des « vainqueurs » et des « vaincus » ?

Un autre aspect abordé dans ce texte mérite d’être signalé. C’est lorsque François Dubet nous appelle aussi à ne pas rester « scolaro-centré » et à considérer que « la formation scolaire (doit) s’articuler à d’autres types d’apprentissage » et que tout ne soit pas joué à la sortie des études. La formation tout au long de la vie doit être une réponse aux risques de déclassement et aux transformations de l¹emploi.

Alors pour faire évoluer l’école, il faut, bien sûr, se déprendre des illusions évoquées plus haut, mais aussi sortir de l’ « autisme national » et aller observer ailleurs plutôt de regarder derrière nous...

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