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Entretien avec une prof de maths en ZEP à Argenteuil (Val-d’Oise)

5 février 2007

Extraits de « L’Humanité », le 05.02.07 : « Aidons les enseignants à dépasser leur peur »

Par Dominique Guy, secrétaire générale du Cercle de recherche et d’action pédagogiques.

La pédagogie peut-elle sauver l’école ? Les pédagogues sont-ils allés trop loin dans le principe de mettre « l’élève au centre » ?

Dominique Guy. Non. Je ne connais pas de parent qui ne souhaite pas le meilleur pour son enfant, ni d’enseignant qui ne souhaite pas que son élève réussisse. De fait, l’élève est au centre du système. Les élèves ont des choses, essentielles, à nous dire sur l’école mais on ne les entend pas. Enseigner, ce n’est pas seulement étaler ses propres connaissances. C’est faire passer les savoirs. C’est aussi travailler à la citoyenneté, s’intéresser à ce qui se passe en dehors des cours.

Comment expliquer que l’école ait si peu bougé depuis quarante ans ?

Dominique Guy. Tout changement met dans l’insécurité. Ça fait peur, entre autres aux enseignants. Ce n’est pas choquant. Ce qui l’est, c’est qu’on ne les aide pas à dépasser cette peur. On réfléchit comme si tout était affaire de vocation. Ceux qui échouent, c’est de leur faute, ceux qui réussissent, c’est qu’ils ont « le don ». Jamais la question n’est posée en termes de formation. De surcroît, on ne leur laisse pas le temps de s’adapter.

La pédagogie est-elle une arme pour lutter contre les inégalités ?

Dominique Guy. Je le pense. J’ai commencé à enseigner à Janson-de-Sailly, à Paris. Là-bas, les élèves baignent dans une culture quotidienne. Aujourd’hui, je suis en ZEP, à Argenteuil (Val-d’Oise). Les conditions de vie ne sont pas les mêmes, les rapports au savoir non plus. Mais les parents autant que les élèves attendent beaucoup de l’école. Il s’agit de se demander sans arrêt comment faire pour qu’un élève ait envie d’aller chercher des savoirs. Cette question est bien plus forte en ZEP quand, par ailleurs, il n’est pas question de transiger sur ce qu’on exige des élèves. Ce n’est pas parce qu’un môme parle « cité » qu’on doit admettre qu’il fasse des fautes d’orthographe. On doit corriger leurs erreurs de langage.

Cette démarche n’a-t-elle pas fait défaut au moment de mettre en place les ZEP ?

Dominique Guy. Je me demande si la question des moyens ne nous a pas détournés de ce questionnement. À l’époque, la plupart des gens, y compris au ministère, ont pensé que cela suffirait. Mais il aurait d’abord fallu avoir une réflexion sur notre façon de fonctionner et mettre l’accent aussi sur la formation des enseignants.

Concrètement, la pédagogie en cours, ça donne quoi ?

Dominique Guy. Je dis toujours à mes élèves qu’on n’apprend pas à faire du vélo en regardant les autres pédaler. C’est un peu pareil pour les maths. Je ne commence jamais par faire le cours au tableau. Je leur donne juste le minimum d’outils nécessaires, je les mets face à un problème et je leur demande de raisonner. Les élèves n’arrivent pas vierges, ils ont déjà des connaissances. Ils sont en mesure de chercher, en tâtonnant, une solution qui fonctionne dans un cas, puis dans tous les cas semblables, jusqu’à déduire le théorème. Et ce n’est que lorsqu’ils y parviennent que je leur en donne l’énoncé. Même s’ils n’ont jamais entendu parler de probabilité, ils ont tous déjà joué aux cartes, aux dés, à la loterie... Alors je m’en sers. Et puis je dédramatise les erreurs, je les analyse. Pour eux, ce n’est pas évident. Comme pour le vélo, ils commencent par se faire des bleus. Ils se trompent, ils trébuchent... Mais ils y arrivent. Quant aux savoirs académiques, ils les acquièrent. Mais seulement à la fin, après les avoir compris.

Les mouvements pédagogiques ne sont-ils pas trop timides ?

Dominique Guy. Nous avons effectivement des progrès à faire pour nous faire entendre. L’une de nos difficultés se résume par une formule : nous avons des convictions, pas de certitudes. Mais le débat sur l’apprentissage de la lecture au CP montre que nous ne sommes pas si isolés. Aujourd’hui, le débat pédagogique s’est imposé parce que tout le monde comprend que les politiques en oeuvre visent à détruire l’école publique. On fait croire qu’elle ne joue plus son rôle pour mieux la casser. Mais nous, contrairement au privé, nous gardons nos élèves, nous ne les virons pas au premier problème.

Acculés à défendre l’école quand vous voulez la transformer ?

Dominique Guy. C’est en la transformant que nous la sauverons. On parle de 35 heures dans les établissements ? Je dis pourquoi pas. Mais si l’on veut que les profs aient plus de temps à consacrer aux élèves hors les cours, il faut peut-être leur imposer moins de cours. Dix-huit heures, dans certains cas, c’est trop. Il faut réaliser ce que c’est : 55 minutes durant lesquelles les profs n’arrêtent pas. On fait cours, tout en surveillant celui qui rêvasse et en reprenant celui qui discute... En sortant, on a besoin de souffler. On n’a pas la disponibilité suffisante à accorder aux élèves et réciproquement. Il faut organiser des temps de rencontre, de parole.

Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand

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