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Philippe Bataille et la discrimination positive (Libération)

30 novembre 2004

Extrait de « Libération » 24.11.04 : Philippe Bataille et la discrimination positive

Philippe Bataille, sociologue, spécialiste de la discrimination, commente pour Libération le rapport Bébéar : « Une discrimination positive non assumée ».

Question : Avec ce rapport sur les discriminations et la convocation pour janvier d’une grande conférence sur « l’égalité des chances », la France semble enfin s’attaquer aux inégalités ?

Ph. Bataille : Tout au plus on commence à combler vingt ans de retard en la matière. Partout ailleurs en Europe, en Belgique, en Allemagne, dans les pays nordiques, les gouvernements ont mis en place de vrais dispositifs publics de lutte contre les discriminations, notamment au travail. Ici, les immigrés, ou les enfants d’immigrés, qui sont français, disent souvent qu’ils ne possèdent qu’une nationalité de papier. Le rapport Bébéar, c’est le début de la prise de conscience de ce problème de discrimination à l’échelle de l’entreprise, mais ça ne va pas beaucoup plus loin.

Q. L’une des mesures phares proposée par le président d’Axa est de systématiser le recours au CV anonyme pour éliminer les discriminations fondées sur le nom ou le quartier d’origine.

Ph. B. Je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne technique. Le CV anonyme relève plus du truc que de la vraie politique de lutte contre les discriminations. Il focalise l’attention sur les victimes de ces discriminations et ne remet absolument pas en cause les pratiques discriminantes des DRH ou des dirigeants racistes.

Q. Mais le CV anonyme ne devrait-il pas permettre aux candidats d’être traités sur un pied d’égalité.

Ph. B. Il y a tout de même un paradoxe à dire aux jeunes issus de l’immigration qui ont rattrapé le handicap culturel de leurs parents, qui se sont élevés socialement par l’école, qui ont des parcours personnels très intéressants : vous devez masquer vos CV pour espérer être embauchés. Cela sous-entend que finalement les jeunes discriminés sont un petit peu coupables de ce qui leur arrive...

Q. Bébéar souhaite « élargir l’élite entrepreunariale et professionnelle aux jeunes de couleur »...

Ph. B. On sait que plus les jeunes issus de l’immigration sont diplômés, plus ils sont victimes de discrimination de la part des entreprises. L’école leur permet de s’élever socialement, puis dans le monde du travail ils sont renvoyés à leurs origines. C’est le même mécanisme qui est à l’oeuvre avec les femmes. Mais les mesures proposées par le rapport Bébéar ne visent pas à faire de la réparation sociale, par exemple à mettre des moyens pour l’école dans les quartiers défavorisés ou à lutter contre la fracture sociale. Il s’agit juste de permettre à une élite de réussir, sans rien faire pour l’immense masse, sans se demander pourquoi ces candidats sont éliminés dès le début.

Q. Pourtant, le rapport Bébéar ne parle pas de discrimination positive...

Ph. B. Les mesures proposées relèvent de mécanismes de discrimination positive, sans pour autant l’assumer. Ce qui a été mis en place à Sciences-Po avec un recrutement d’étudiants issus de ZEP va jusqu’au bout de la logique, en assumant une discrimination positive basée sur le territoire.

Muriel Grémillet.

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