> II- EDUCATION PRIORITAIRE (Politique. d’) : Types de documents et Pilotage > EDUC. PRIOR. TYPES DE DOCUMENTS > Educ. prior. Positions (et publications) militantes > Un article du Québec donne une vision simpliste de l’école française et de (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Un article du Québec donne une vision simpliste de l’école française et de ses ZEP

29 mai 2007

Extrait du « Québécois libre » du 28.05.07 : Contrainte et laxisme dans le système scolaire français

Le système scolaire français possède certaines caractéristiques objectives qui marquent son inadaptation. Ces caractéristiques nous crèvent les yeux. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste, de beaucoup fouiller le sujet pour les découvrir. Elles sont patentes. Il semble pourtant qu’on ait beaucoup de mal à les prendre en considération. Est-ce parce qu’elles nous paraissent inévitables, inhérentes à tout système éducatif ?

Certainement pas. Nous savons au contraire qu’elles sont distinctives de notre propre système. Et que, réunies comme elles sont chez nous, on ne les retrouve à peu près nulle part ailleurs. Est-ce donc parce qu’elles nous satisferaient ? Pas davantage. C’est même une caractéristique majeure du système scolaire français que de ne satisfaire personne, pas même les professeurs qui se dressent pourtant avec obstination contre tout projet de réforme.

La première de ces caractéristiques, de loin la plus importante, est relative à la contrainte. Ce système s’appuie sur la contrainte bureaucratique, il la revendique avec autant de force que d’autres systèmes (celui de l’entreprise, par exemple) tentent d’y échapper. Dans la partie dite « publique » de l’école, l’élève et sa famille ne sont pas censés choisir l’établissement et, à l’intérieur de l’établissement, ils ne sont pas censés non plus choisir le professeur. Et cette contrainte du côté de l’usager se conjugue avec une contrainte aussi grande du côté du service. Car il n’est pas de chef d’établissement (ou de conseil d’administration démocratiquement élu) qui ait le pouvoir de choisir les professeurs qui composent l’équipe, et les professeurs eux-mêmes n’ont pas le pouvoir de choisir leurs élèves. Un professeur n’est pas libre seulement de refuser un élève qui s’est montré grossier ou violent à son égard, ou à l’égard d’autres élèves, et qui les empêche de travailler.

Ajoutons que les professeurs n’ont pas le pouvoir, non plus, d’adapter les programmes. Il serait souhaitable, sans doute, qu’un conseil d’établissement puisse le faire en fonction des goûts et des talents particuliers des professeurs qui forment son équipe. Mais il paraîtrait beaucoup plus indispensable encore qu’il puisse adapter ces programmes en fonction du public concerné. On se demande quels moyens supplémentaires pourraient être accordés aux ZEP (zone d’éducation prioritaire). Mais se demande-t-on s’il est bien raisonnable d’enseigner la lecture, dans ces secteurs où beaucoup d’enfants, issus de l’immigration, ne parlent pas français chez eux, ou un français trop pauvre, au même rythme et de la même manière que dans les écoles du XVIe arrondissement de Paris ?

Sous cet aspect de la contrainte, le fonctionnement de l’école ne trouve son équivalent dans aucun autre secteur d’activité. Que diraient les Français si on leur annonçait, par exemple, qu’ils ne seront plus libres de choisir leur médecin ? Ils protesteraient, sans doute, et ils auraient raison de le faire. Mais ce fonctionnement ne trouve son équivalent, non plus, dans l’histoire d’aucune tradition éducative. Le rapport qui se noue entre l’élève et le maître est marqué, partout et toujours, par une élection mutuelle. Cette élection ne prend pas la même forme dans un monastère tibétain, dans la yeshiva juive, dans la medersa islamique ou dans une école Montessori de Rome ou de Bruxelles. Mais nulle part on ne voit qu’elle ait été abolie comme chez nous.

Ajoutons que la contrainte se double, dans le cas qui nous occupe, du plus grand laxisme. Le paradoxe a de quoi surprendre. Il n’est pourtant que de surface. Contrainte et laxisme se conditionnent l’un l’autre. La contrainte s’accepte d’autant mieux que les infractions ne sont pas sanctionnées. Elle incite à la négligence et la paresse. Au conformisme. Et, en fin de compte, au mépris des élèves dont on se plaindra qu’ils ne sont pas au niveau.

Car l’administration n’autorise les professeurs à ne prendre aucune initiative d’envergure. Sans doute ceux-ci ne sont-ils pas empêchés de poser leur empreinte dans la conduite d’une démarche. Mais cette part d’initiative ne sera jamais assez importante pour entraîner des résultats spectaculaires. On voudrait savoir qu’une école de ZEP ait eu, une fois, la liberté de choisir - réellement choisir - ses enseignants et ses élèves, en même temps qu’elle aurait adapté ses programmes. Car alors, on pourrait songer à évaluer ses résultats, relever les témoignages des parties concernées, diffuser un film à la télévision, organiser un colloque. Mais, hélas, on n’aura pas cette chance. Pas dans le système actuel.

La part d’initiative des acteurs reste étroitement limitée. Et, même si celle-ci n’est pas toujours négligeable, l’administration prend soin de n’en tenir jamais compte. Jamais un instituteur n’a été distingué parce qu’il réussissait mieux que ses semblables. Sans doute arrive-t-il qu’il applique les programmes avec plus de scrupule et plus de complaisance. Dans ce cas, l’on ne manquera pas d’en faire un maître formateur. Mais s’il s’invente d’autres moyens pédagogiques et si, grâce à ces autres moyens, il s’attire plus de respect et plus d’estime de la part de ses collègues, de ses élèves et de leurs parents, l’administration ne voudra pas le savoir.

Un système bureaucratique repose sur la contrainte et sur l’anonymat. Sur une forme indépassable d’indifférence. Il est structurellement incapable de reconnaître le mérite et de le récompenser. Et tout aussi incapable de reconnaître l’incompétence ou la paresse, et de les sanctionner.

Les maîtres sont placés par l’administration dans une situation d’irresponsabilité infantilisante. Celui à qui l’on donne si peu de pouvoir sur ce qu’il enseigne (la matière et le rythme), et que l’administration peut contraindre à accepter dans sa classe un élève qu’il a lui-même exclu pour raison grave, ce maître n’est plus un maître mais ce que le nouveau président de la République appelait, dans son discours du 16 mai prononcé en hommage aux martyrs du Bois de Boulogne, un « grand enfant ».

Les professeurs, en France, travaillent peu. Et ce peu est encore beaucoup trop pour leurs nerfs. Car la pratique de leur métier les fait souffrir hors de toute mesure. Cette souffrance est la conséquence du peu de liberté et de responsabilité que le système leur accorde, du statut infantile dans lequel on les tient. L’immense majorité d’entre eux est capable de faire bien davantage. Mais voient-ils seulement que le système qui les emploie coûte cher, qu’il donne des résultats médiocres et qu’il laisse finalement désœuvrés les enfants et les adolescents des quartiers difficiles plus de deux cents jours par an ?

Christian Jacomino

Répondre à cet article