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GPV, ZUS, ZEP... la politique de la ville doit être un tout (tribune dans Libération)

1er juin 2007

Extrait de « Libération » du 31.05.07 : Le pari urbain

La politique de la ville cristallise les autres. Elle doit être le chantier principal de la République

Le premier gouvernement de Nicolas Sarkozy commence sous le feu des projecteurs. Qui le reprocherait ? Ils sont jeunes, ils sont vitaminés, ils sont riches. Cela plaît aux Français qui aimeraient s’identifier à eux. Et prévaut surtout le sentiment diffus que la réforme nécessite un déplacement des clivages classiques pour parvenir à une adhésion large de la Nation. Beaucoup auraient souhaité que la prise de conscience s’en fît plus tôt, du côté du parti socialiste ou de François Bayrou. Le choix des uns et le vote des autres en ont décidé autrement. Les citoyens, les électeurs de la majorité comme de l’opposition jugeront sur pièces.

Il est pourtant un domaine où la rupture est déjà mal partie : la politique de la ville. Ici, c’est la Ve République dans son ensemble qui n’a pas compris qu’en un demi-siècle, la France avait accompli la plus grande révolution urbaine de son histoire : plus du doublement de la population des villes (de 20 millions à près de 45 millions de citadins), l’étalement des agglomérations, la féminisation de l’emploi, le redressement industriel national et la mondialisation de l’économie de services, l’épaississement, puis la fracture, des couches moyennes, la démocratisation de l’instruction et du diplôme, avant leur mise en doute actuelle.

Tout cela s’est passé dans la ville et par la ville.

Face à ces bouleversements, les politiques n’ont su depuis des décennies qu’opposer l’urbanisme de quantité et la sectorisation des approches : construire des logements et des infrastructures ¬ il le fallait, certes, dans l’urgence ¬ plus qu’élaborer les conditions d’une nouvelle civilisation urbaine, isoler et traiter des quartiers difficiles aux localisations implacablement identiques, dont les appellations changeraient au gré des modes et des objectifs ( « Grands Projets urbains », « Zones urbaines sensibles », « Zones d’éducation prioritaire » ), plutôt que de s’attaquer aux logiques d’ensemble de la crise urbaine. La ville est un tout, qu’il faut embrasser d’une seule intelligence, et qui conditionne la quasi-totalité des problèmes de l’heure. Si la nouvelle équipe n’en prend pas une conscience rapide, tous les grands chantiers du Président sont voués à l’échec.

La création d’emplois pour résoudre un chômage structurel, double de la plupart de nos voisins européens ? Elle ne dépend pas seulement du retour rêvé de la croissance et de la fiscalité des entreprises, mais de l’inaptitude structurelle de l’économie urbaine française, notamment dans les villes les plus riches, à créer autre chose que de l’activité high-tech. Ce n’est pas ainsi qu’on fera diminuer les bataillons de chômeurs, constitués en grande partie de personnes peu formées. Il y faut beaucoup d’activités banales de production, et de services à la personne et à l’entreprise. Sait-on que la plus grande différence entre une ville américaine (Los Angeles) et française (Paris) ne réside pas dans les métiers de la finance ou de la conception, mais dans le commerce de détail, l’aide à l’éducation et à la santé, tous secteurs pourvoyeurs d’emplois nombreux, souvent de faible qualification ?

L’échec du système éducatif, du primaire à l’université, ne réside pas dans la carte scolaire, la perte de l’autorité post-soixante-huitarde ou le défaut d’orientation et d’apprentissage, mais d’abord dans un déficit de formation fondamentale, qui touche plus ou moins tous les espaces et les strates de la société urbaine. Cessons donc de croire qu’il suffirait d’assouplir la géographie du recrutement des établissements, de décentraliser une université ou de conférer plus d’autonomie à d’autres, quand l’essentiel est d’abord de restaurer ¬ d’instaurer ? ¬ à tous niveaux et partout, et quel qu’en soit le coût, une exigence d’efficacité pédagogique, fréquemment évaluée. Dans la république des villes, la réussite de l’école est à ce prix.

Le logement n’est pas seulement celui des déshérités visibles, en dépit des appels pathétiques de l’abbé Pierre et des efforts louables de Martin Hirsch. A cet égard, les tentes rouges des Don Quichotte masquent le désarroi de millions de Français urbains, qui désespèrent depuis des lustres d’allier dans le choix de leur habitat aménité et efficacité. Ce n’est pas en faisant imploser des dizaines de milliers de logements ou en déplaçant la spéculation foncière vers la périphérie qu’on les aidera. Mais en imaginant ¬ c’est possible ¬ et en promouvant les formes d’une ville dense, agréable, efficiente, ouverte à tous. Ce qui ne veut pas dire nécessairement mixte dans tous ses quartiers et indifférenciée dans toutes ses fonctions.

Le respect de l’environnement ne réside ni dans l’incantation ni dans l’interdiction, mais d’abord dans le mode de vie et de mobilité de nos concitoyens urbains. Quelle ville voulons-nous pour quels transports ? Il ne suffit pas d’interdire la voiture, d’encourager les circulations douces, ou même d’investir largement dans les transports collectifs, mais de mettre en cohérence les aspirations des citadins au mouvement, les formes matérielles de la ville et les modalités de déplacement. Une véritable révolution des approches de la mobilité !

L’identité nationale ? Pourquoi pas ? A condition de ne pas l’associer immédiatement à l’immigration mais d’abord au creuset social et culturel que fut la ville française pendant les deux siècles de l’âge industriel. Au milieu de luttes ouvrières, syndicales et politiques, de prescriptions législatives, s’étaient finalement imposées dans le pays des régularités d’intégration et de promotion, qui donnaient à nos cités une certaine forme d’équilibre. S’il y avait un modèle français, il était dans ces configurations sociales et spatiales, que nous enviaient bien des observateurs des Amériques et d’Asie. C’est lui que les fractures ont brisé, notamment dans les métropoles les plus prospères. Il faut en retrouver le moteur génétique, autant par intérêt politique bien compris, que par fidélité à notre histoire.
Plus que d’un ministère, la ville a besoin et mérite d’être le chantier pédagogique et politique de la République et de la Nation.

Guy Burgel et Paul Chemetov

Guy Burgel professeur à l’université Paris-X et au Conservatoire national des arts et métiers et Paul Chemetov architecte

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