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Un dialogue sur la carte scolaire entre Xavier Darcos et Marie Duru-Bellat au « Nouvel-Obs »

15 juin 2007

Extrait du « Nouvel Obs » du 14.06.07 : L’école à la carte

Débat avec le ministre de l’Education nationale

Mise au rancart, la carte scolaire ? Xavier Darcos le confirme. Au nom de la liberté. La sociologue Marie Duru-Bellat lui répond. Seuls les bons élèves et les boursiers en profiteront. Débat de choc entre un libéral sans complexes et une femme sceptique

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Le Nouvel Observateur. - Vous supprimez la carte scolaire d’ici à trois ans, et vous annoncez un premier assouplissement à la rentrée. Pourquoi cette précipitation ?

Xavier Darcos. - Il faut remettre de la souplesse dans le système. Il y a quarante-cinq ans, la carte scolaire avait été mise en place alors que le collège unique n’existait pas. Depuis, il y a eu la massification. Les établissements sont désormais marqués par l’environnement et par une ghettoïsation soulignés par les sociologues. Du coup, aujourd’hui, la proximité, c’est l’inverse de la mixité. Le jeu est pipé, entre les fils de famille - avec en tête, les enfants de journalistes, d’enseignants et de cadres supérieurs - qui détournent la carte scolaire, et les autres, pour qui elle est devenue une assignation à résidence. Sur cette affaire de carte scolaire, il faut bien comprendre que l’on ne supprime pas les objectifs : on change juste les instruments. Philippe Meirieu me caricature en disant que je veux « supprimer le Code de la route parce qu’il y a des chauffards ». C’est tout l’inverse : quand les voitures changent, il faut adapter les routes.

Marie Duru-Bellat . - Mais sur le principe, en procédant ainsi, vous acceptez l’idée peu républicaine qu’il y a des bons et des mauvais établissements !

X. Darcos. - Je ne fais que reprendre le constat fait par des sociologues comme Eric Maurin sur la montée des « ghettos français ». Aucun raisonnement républicain autorise à dire : « Tu n’as pas le droit d’aller ailleurs ». Je me souviens de collégiennes issues de l’immigration qui, il y a quelques années, m’ont demandé de recréer des classes de filles, me disant qu’elles avaient du mal à travailler sous le regard de leurs grands frères. J’ai refusé car cela n’aurait pas été une réponse républicaine. Mais leur aspiration à quitter leur milieu d’origine était pourtant tout à fait légitime. Et puis, ne soyons pas hypocrites : il y a belle lurette que le collège unique stricto sensu n’existe plus. Chaque collège a déjà ses spécificités, ses besoins, ses réponses

M. Duru-Bellat . - Mais avec cette réforme de la carte scolaire, que va-t-on gagner ? Si je comprends bien, on monte une usine à gaz, juste pour satisfaire quelques familles ? La République se doit quand même d’offrir les mêmes conditions d’éducation à tous. En gommant la carte scolaire, vous risquez d’aggraver les phénomènes d’inégalités. Vous allez créer une concurrence entre les établissements pour attirer les meilleurs élèves. Elle va plutôt creuser le fossé entre bons et mauvais établissements !

X. Darcos. - On gagne à ce qu’une règle qui est violée cesse d’être considérée comme la règle normale. Le but final de la suppression n’est pas d’aboutir à un grand marché libéral de l’école avec libre circulation des élèves et une concurrence entre eux. Vous observerez que les critères de sélection des dossiers que j’ai retenus pour la rentrée prochaine prennent pleinement en compte la situation des élèves boursiers sociaux ou boursiers au mérite... Cela dit, le phénomène existe déjà en partie puisque au moins 20 % de la population scolarisée opte librement pour l’école privée, parce qu’elle peut payer.

M. Duru-Bellat . - Il y a quand même un risque ! Celui de voir les élèves les moins défavorisés des collèges défavorisés fuir ces établissements. Il n’y restera plus que les élèves les plus fragiles. Les études montrent bien que les bons élèves entre eux créent une dynamique positive, et que les faibles entre eux créent une spirale négative.

X. Darcos. - Ce sont déjà les élèves les moins défavorisés qui tentent d’échapper à la carte scolaire ; je veux donner aux autres la même possibilité. Quant au maintien des bons élèves dans l’intérêt de leurs camarades, qui, selon vous, doit être privilégié ? L’établissement ou l’élève ?

M. Duru-Bellat . - Ce sont les élèves les plus faibles qui resteront et qui pâtiront.

X. Darcos. - Je privilégie la liberté.

M. Duru-Bellat . - Vous privilégiez la liberté des bons élèves !

X. Darcos. - J’essaie d’être pragmatique et concret pour que les niveaux des établissements ne baissent pas. Même si ces collèges difficiles perdent éventuellement quelques élèves, nous maintiendrons leur dotation actuelle pendant trois ans. Et ceux qui pour le moment sont les moins attractifs passeront dans la catégorie « Ambition réussite », ce qui leur allouera davantage de moyens. Enfin, s’ils perdent trop d’élèves, je ne refuse pas l’hypothèse de fermer certains établissements. La ville de Bergerac l’a fait. Il y avait une école primaire qui était désertée. Nous avons fermé l’école et nous avons redistribué les élèves dans les écoles alentour, avec du busing ( 1 ). Cela marche très bien. Cela dit, relativisons ! Dans l’immense majorité des cas, la sectorisation marche bien. Les problèmes ne se posent vraiment que dans les grandes villes et les banlieues.

M. Duru-Bellat . - Envisagez-vous d’allouer plus de moyens aux établissements difficiles sur la base du profil sociologique des élèves qui les fréquentent, comme cela est expérimenté aux Pays-Bas ?

X. Darcos. - Nous souhaitons surtout leur donner une plus grande marge de manoeuvre pour qu’ils aient les moyens d’adapter l’offre pédagogique aux particularités qu’ils rencontrent, qu’ils puissent définir le profil des postes de professeur dont ils ont besoin, qu’ils aient plus de latitude pour négocier avec les collectivités locales...

M. Duru-Bellat . - Le problème, c’est que nous manquons d’évaluations fiables pour prendre ces initiatives. Les études montrent que les enseignants ne savent plus précisément ce qu’ils peuvent exiger des élèves.

X. Darcos. - On a quand même un bon indicateur avec le brevet. A Guîtres, dans le Sud-Ouest, j’ai l’exemple d’un collège où seuls 45 % des jeunes décrochaient le diplôme. L’équipe pédagogique a analysé ce résultat, on a changé les méthodes et l’établissement a rejoint la moyenne nationale.

N. O. - Iriez-vous jusqu’à autoriser les chefs d’établissement à recruter leurs enseignants ?

X. Darcos. - Je ne suis pas dans cette logique. Le recrutement doit rester national. Cela étant, les chefs d’établissement peuvent déjà définir des profils de poste pour faire face à des besoins particuliers. Je ne serais pas défavorable à ce que, notamment dans les établissements « Ambition réussite », ils puissent utiliser cette souplesse pour bâtir des équipes pédagogiques plus expérimentées.

N. O. - Vous dites qu’une mixité sociale sera maintenue dans les établissements. Comment comptez-vous faire, puisque vous refusez le terme, « horrible » selon vous, de quotas ?

X. Darcos. - Ni règle ni quota, je préfère parler d’incitations ou d’objectifs. J’accorde beaucoup d’intérêt aux expériences de connexions entre les collèges difficiles et les grands lycées, sur le modèle de ce que pratique Sciences-Po avec sa filière « ZEP ». Je suis d’ailleurs un des rares sénateurs de mon bord à avoir soutenu cette réforme introduite à Sciences-Po par Richard Descoings. Un exemple : le lycée Mistral, à Avignon, reçoit ainsi des élèves de ZEP, des boursiers, mais aussi des élèves qui manifestent une envie, un désir de s’en sortir. C’est une réussite formidable. Il faut multiplier ces initiatives. Nous ne savons pas encore comment, mais nous allons inciter les établissements à susciter de la mixité sociale et géographique.

M. Duru-Bellat . - La différence entre les collèges tient beaucoup à la qualité des professeurs. Il faudrait attirer les enseignants les plus expérimentés dans les collèges en difficulté.

X. Darcos. - Mais qui n’en a pas rêvé !

N. O. - On pourrait commencer par les payer mieux. Il y a tant de primes inutiles dans certains domaines, alors qu’elles seraient si importantes investies ici !

X. Darcos. - Des primes, il y en a déjà.

M. Duru-Bellat et N. O. - Pas assez !

X. Darcos. - Bien sûr. Je suis ravi d’entendre des gens plus à gauche que moi suggérer qu’on revoie les statuts, les barèmes, les fins de carrière... Mme Duru-Bellat, je sens que je vais vous charger de mission ! ( Rires ). En effet, tout le monde souhaite des professeurs expérimentés en secteurs difficiles comme le président en a exprimé le voeu. Dans le cadre actuel, on ne sait pas comment persuader les enseignants de faire ce choix. Mon idée serait d’arriver à les convaincre d’intervenir dans d’autres sites que leurs établissements de centre-ville. Cette piste est compatible avec les statuts. On va l’explorer l’année prochaine. Mon ami le professeur de philosophie Alain Etchegoyen, récemment décédé, pratiquait ce double enseignement.

M. Duru-Bellat . - Mais revenons au coeur du problème : pourquoi les parents ne veulent-ils plus mettre leurs enfants dans certains établissements ?

X. Darcos. - A cause de leur environnement ! Il faut rappeler que l’école ne peut pas régler seule tous les défis, notamment résoudre les problèmes que pose la sociologie particulière des quartiers. Et sur ce plan, le rôle de l’Agence nationale pour la Rénovation urbaine est aussi important que celui de l’école. C’est un des défis majeurs de notre société.

N. O. - On peut quand même agir au niveau des établissements !

X. Darcos. - Le problème sur lequel tout le monde se casse les dents depuis des générations, c’est celui de l’échec scolaire, cet échec qui démarre dès les petites classes. C’est une fatalité terrible. Il doit nous conduire à une réflexion globale sur ce que doit être l’enseignement, sur l’école primaire, sur la transmission des fondamentaux. Elle suppose un certain nombre d’efforts qui ne se réduiront pas à un simple assouplissement de la carte scolaire.

( 1 ) Ramassage scolaire.

Caroline Brizard, Patrick Fauconnier
Le Nouvel Observateur

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