Que donnera la réforme de la carte scolaire à Nantes ?

22 juin 2007

Extrait de « Ouest - France » du 21.06.07 : Lycée coté ou pas ? La difficulté du choix...

L’assouplissement de la carte scolaire ouvre des passerelles entre quartiers. En sens unique. Reportage à Nantes, en zones populaire et bourgeoise.

Nantes

Elles sautent aux yeux dès le portail. Des belles roses fleurissent la cour. De la verdure, des petits bâtiments blancs. On est au collège Debussy, dans un quartier popu de Nantes. Un « Ambition réussite » de 190 élèves. Cette année, 35 % des 3e partent en seconde générale, 65 % en lycée professionnel. Les élèves sont du quartier : « 85 % de ceux que l’on devait capter », précise Élisabeth Desobry, la principale. La preuve, pour elle, que le collège ne souffre pas d’un effet repoussoir. L’assouplissement de la carte scolaire, pour l’heure, ne l’inquiète pas trop : « Si on a des projets innovants, les élèves resteront. De toute façon, les collèges cotés ne pourront assurer face à un afflux de demandes. » La principale estime que le sien a des atouts. « En 6e, les enfants sont 19 ou 20 par classe. Ça permet une attention à chaque élève. »

« Ils vont nous trouver mauvais »

Florian, 16 ans, en 3e, est l’un de ceux qui passe en seconde générale. Non pas à Camus, le lycée du secteur, mais à Jules Rieffel, à Saint-Herblain. Pour sa section sportive. « Sinon, je serais allé à Camus, plus près. Et ce sont les gens du quartier. Là-bas, on est normaux. Les lycées du centre, c’est plus bourgeois. Et ils ont un meilleur niveau. Si on y va, ils vont nous trouver mauvais. » À côté de lui, Anissa, 14 ans, classe européenne espagnole à la rentrée, hausse les épaules. « Des préjugés ! Mon frère est allé à Jules-Verne (lycée réputé du centre ville), ça s’est très bien passé. J’y serai aussi à la rentrée. »

Les préjugés ont effectivement la vie dure. Camus n’a pas très bonne réputation. « À tort, regrette Michel Cocotier, son proviseur. Notre taux de réussite au bac est peut-être inférieur (78 % toutes séries confondues), mais il y a chez nous un aspect humain primordial. On fait aussi de l’accompagnement. » 37 % des gamins sont issus de catégories socio-professionnelles défavorisées. « Certains n’ont pas d’ordinateur chez eux. Dans ces cas, faire une recherche relève quasi du parcours du combattant. » Pas de compétition permanente ici, dit le proviseur qui souligne que certains viennent « pour vivre sereinement leur scolarité ».

Pas le même contexte à Guisth’au, en centre ville. La bâtisse en pierre en impose. À proximité : immeubles de standing, avenues privées. 1 130 élèves en lycée, 435 en collège, 80 % issus de milieu favorisé. La majorité des collégiens sont du secteur. 91 % vont en seconde générale ou technologique. Ils y retrouvent davantage d’élèves d’autres quartiers, du fait des nombreuses options proposées. La quasi-totalité des lycéens poursuivent des études supérieures. « Beaucoup de familles ont un projet élitiste, reconnaît le proviseur. Ce n’est pas du fait de l’établissement. Nos élèves ont, majoritairement, un projet scolaire. » Et adhèrent à ce qu’il appelle « la culture Guisth’au » : « On pense que par la réussite scolaire, il peut y avoir un épanouissement personnel. »

Coté, pas coté ? Pour Béatrice, maman d’une petite fille de 8 ans, le choix d’un collège est encore loin, mais elle y pense déjà. Théoriquement, elle dépend d’une ZEP. « L’ambiance y est dure. Ma fille est bonne élève. On ne veut pas casser son goût de l’école. On préfère qu’elle soit dans un contexte plus serein. » Le fils d’Anne, lui, va entrer en 6e dans un collège proche de sa maison : « On s’est interrogé, dit sa maman. D’autant que pour le lycée, il dépendra de Guisth’au. Et on a entendu que le niveau de la seconde, là-bas, est difficile pour ceux qui viennent d’ailleurs. » Mais ses principes ont pris le dessus : elle n’a pas demandé de dérogation.

À Camus, sur les 820 élèves, 42 % viennent du quartier. Les autres, de communes proches de Nantes, et de Chantenay, quartier ouvrier en voie de « boboïsation ». C’est ceux-là qui risquent de partir, « les cadres sup qui veulent éviter Camus. Et savaient déjà comment faire pour changer de secteur. Ils vont juste être plus nombreux à le faire (à la rentrée), vu qu’il n’y a plus de barrage », dit le proviseur. Pas top pour la mixité sociale et ethnique, qui existe encore. « Je crains que l’on perde les élèves qui servaient de locomotive dans les classes. »

Yasmine Tigoé

Répondre à cet article