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Alain Renaut, philosophe : " Egalité et discriminations" (Le Seuil). Sur l’égalité des chances et la discrimination positive

7 novembre 2007

Extrait du « Monde » du 24.08.07 : Au défi de « l’égalisation des chances »

Un plaidoyer pour la discrimination positive

La question de savoir comment mieux promouvoir l’ascension des minorités « visibles » est devenue l’un des thèmes majeurs du débat français. Mais la discrimination peut-elle être « positive » ? Comme l’observait avec humour un jeune homme issu de l’émigration lors de la récente présentation au Sénat des spots « Ensemble pour la diversité », « pour moi, « discrimination » et « positif », ce sont des mots qui ne vont pas ensemble. Bientôt, on parlera d’un « meurtre sympa » ». On le sent bien, pourtant, de la crise des banlieues de l’automne 2005 aux manifestations anti-CPE du printemps 2006 : l’invocation rhétorique de « l’égalité des chances » ne suffit plus à masquer les démentis que l’état réel de la société et des mentalités ne cesse d’apporter à ce bel idéal républicain.

Pour le philosophe Alain Renaut qui, d’un essai à l’autre, s’attache avec beaucoup d’intelligence à scruter les paradoxes qui travaillent notre identité démocratique, ce malaise dans l’égalité pose un problème de fond désormais impossible à éluder : celui du rôle qui incombe à l’Etat pour « intégrer davantage de considérations de justice à l’économie de marché ». Quand une génération en vient à tenir pour illusoires les chances ménagées par plusieurs années d’études universitaires, observe ce professeur en Sorbonne, c’est en effet tout le fonctionnement du système qui se grippe, « aussi bien par le haut (par la partie de la jeunesse qui avait cru bénéficier de la fabrication républicaine des élites) que par le bas, dans cette autre partie de la jeunesse qui s’estime exclue d’emblée de cette fabrication ». D’où l’idée selon laquelle il conviendrait précisément d’injecter une dose de « discrimination positive » en faveur des plus mal lotis.

Ce programme, inspiré de la politique d’ affirmative action mise en place aux Etats-Unis, inviterait donc à instaurer des quotas obligeant à embaucher un certain nombre de Noirs ou d’Arabes, à l’instar de la loi qui oblige déjà les entreprises à recruter des handicapés. Il s’agirait donc de prévoir des dispositifs préférentiels afin de remédier aux situations inégalitaires qui se sont perpétuées pendant des générations. En clair : imposer la marche vers l’égalité en empruntant un moyen (la discrimination) qui contredit provisoirement cet idéal.

Or, c’est là que tout se complique, montre bien l’auteur qui retrace au passage les grands moments contemporains de cette discussion. La raison ne tient pas seulement au fait que ces pratiques heurtent de front l’universel républicain, lequel procède par abstraction des différences. Dans le cas des minorités ethniques, ces politiques s’avèrent à double tranchant. Parce qu’elles peuvent enfermer dans une différence jugée sous l’angle du seul handicap, non de la richesse. Mais aussi parce qu’elles risquent d’exposer les intéressés au soupçon d’avoir décroché tel poste ou tel diplôme grâce à un traitement privilégié, et non pour leur mérite.

A cet égard, Alain Renaut est de ceux qui pensent qu’il serait redoutable de renoncer aux droits de l’individu au profit de droits communautaires. Et on ne saurait lui faire grief d’être rigide sur ce point, lui qui, dans Alter Ego (Aubier, 1999), défendait justement la possibilité d’ « être égaux en tant que différents » via la promotion de « droits culturels » conçus comme une nouvelle catégorie des droits de l’homme. Dans ce prolongement, tout l’enjeu de sa réflexion vise cette fois à creuser une tierce voie entre le rejet du modèle républicain, considéré comme une vaste hypocrisie, et l’importation du modèle américain. En clair, y aurait-il une place pour une politique volontariste visant à réparer les inégalités issues de la loterie naturelle ou sociale, mais qui ne passerait en rien par les quotas ?

Convaincu que la justice distributive peut parfaitement intégrer une part de justice « compensatrice » sans fragiliser les valeurs démocratiques, Alain Renaut se concentre ici sur un exemple qu’il connaît bien : l’université. Car il ne suffit pas de dire : chacun peut y tenter sa chance de façon indiscriminée. Encore faut-il que les conditions dans lesquelles il le fait ne le vouent pas à un échec programmé. La solution passerait, à ses yeux, par la répartition des étudiants en divers groupes de travaux dirigés. Cette action différenciée viserait à aider ceux qui le souhaitent à acquérir un certain nombre de repères - culturels ou linguistiques - qui, en règle générale, s’héritent davantage qu’ils ne s’enseignent.

N’est-ce pas leur inégale maîtrise qui, à effort égal, fait que les résultats ne sont pas les mêmes ?
La proposition mériterait à coup sûr d’être expérimentée. Mais Alain Renaut laisse peut-être un peu facilement à son lecteur le soin d’extrapoler les formes que serait susceptible de prendre cette « égalisation des chances » dans d’autres secteurs que l’éducation où, à vrai dire, des politiques de ce genre sont déjà en vigueur, des ZEP aux « classes relais ». Avec les résultats mitigés que l’on sait. Si on le suit volontiers dans l’idée que ce type d’ « action positive sans quotas » serait souhaitable en France, on ne voit pas très bien comment l’appliquer, par exemple, à l’emploi. L’objet, espérons-le, d’un prochain essai de « philosophie politique appliquée ».

Alexandra Laignel-Lavastine

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