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Des élèves de ZEP en stage de danse à l’Opéra de Paris

24 janvier 2008

Extrait de La Croix du 23.01.08 : La danse fait grandir

Aux côtés de sa complice la musique, la danse reste une discipline très enseignée. Une bonne nouvelle pour cet art qui, lorsqu’il est adapté à chacun, structure les enfants et les adolescents.

Rien ne semble gagné en ce matin givré d’hiver : les élèves de cette école parisienne en stage à l’Opéra Bastille sont distraits. Les esprits sont chahuteurs, les petites têtes gigotent comme des chèvres impatientes. Plusieurs minutes déjà à attendre que l’attention se fixe. Armelle Cornillon, la chorégraphe, tient bon : « Mettez-vous dos à dos, fermez les yeux. » Ça pouffe de rire, ça vitupère, ça court plusieurs lièvres à la fois...

Ismaël, Théodore, Sabrina, Amadou, Maxime : tous ont une dizaine d’années et viennent d’une zone d’éducation prioritaire dans le cadre d’un atelier sous la houlette de l’Opéra de Paris, intitulé « 10 mois d’école et d’opéra », avec pour objectif un spectacle en mai prochain... Sus ici aux stéréotypes : la majorité de l’équipée est constituée de garçons ! « La danse n’est pas réservée à un seul sexe. Les choses ont beaucoup évolué, notamment depuis le hip-hop », explique Armelle Cornillon, qui est également professeur au conservatoire de Bagnolet.

À la question « Que peut apporter la danse à des enfants nés à des années-lumière des tutus roses ? » la réponse s’impose d’elle-même dans ce studio : coordonner les actes à l’esprit, maîtriser ses gestes. Se tenir droit. Tenir compte de soi et de l’autre. Puiser dans ses ressources. Se rendre disponible. Embellir sa vie, en somme.

Changeons de décor : l’Opéra toujours, mais du côté de sa célèbre école de danse, établie depuis vingt ans au seuil de Paris, en plein Nanterre (Hauts-de-Seine). Certes, le chahut de la récréation est le même que celui des autres écoles de France et de Navarre, mais les élèves, dès la croisée d’un regard d’adulte, se tiennent comme des ifs : inclinaison de la tête pour les garçons, révérence pour les filles. Exquise politesse qui ramollirait le cœur le plus bougon !

« La danse est un art extraordinaire mais très difficile, raconte l’un de leurs professeurs, Bernard Boucher, en charge de la 4e division garçons (14-15 ans). Dans cette école particulière, qui forme des professionnels, il s’agit bien de dominer son corps et de le diriger. Il faut un moral solide. À nous, professeurs, d’imposer cette règle sans étouffer l’enfant. » « La danse est un art très réglementé qui structure, explique en écho la directrice de la même école, Élisabeth Platel. Elle oblige à parler de discipline pour venir à la liberté. Il y a un respect du partenaire, du plus âgé, de la hiérarchie, d’une œuvre. »

Les enfants d’aujourd’hui se plient-ils aisément à cette école de rigueur ? « Aujourd’hui, l’enfant a la parole plus tôt, note la directrice. Il pose des questions que ma génération posait des années plus tard. » Et ceux - une large majorité ! - qui ne pourront pas intégrer la troupe de l’Opéra ? « Ce seront des personnes qui ne se disperseront pas. Qui seront curieuses de tout, qui auront une régularité dans leur travail, où qu’elles soient, car elles auront eu le goût de l’effort très tôt. »

« Le goût de la danse passe par une volonté de bien faire, raconte Chantal Bouton, professeur qui a enseigné plus de quarante-cinq ans la discipline. L’aiguillage des enfants est très important : pas question de mettre l’enfant dans une voie qu’il ne pourra pas assumer. »

L’Effort et le plaisir
Peu d’élèves deviendront danseurs : si la pratique de la danse touche des milliers de personnes, la France compte 5.000 danseurs professionnels, dont... 500 ont des emplois permanents. « La réalité est assez difficile, souligne Emmanuel Cot, père d’une élève. La règle est celle de l’intermittence, du CDD, du cachet. » Sans oublier le quotidien : des heures d’effort maintenu, qui nécessitent de sérieux renoncements pour les distractions. « C’est l’art de l’humilité », résume Brigitte Lefèvre, directrice du ballet de l’Opéra de Paris.

Comme ici, dans ce studio Merce-Cunningham au Conservatoire de Paris à quelques jours d’une période de congés : « Les vacances peuvent être difficiles, témoigne Élodie Sicard, l’une des élèves. La reprise est souvent rude. Les hanches sont rigides, la souplesse n’est plus évidente. Mais la danse donne l’envie de persévérer, d’aller de l’avant. »

L’effort certes... le plaisir surtout, pour ceux qui dansent sous la dictée de la passion. « J’ai toujours regardé mes élèves gauches ou lymphatiques avec beaucoup d’amour !, reconnaît Chantal Bouton. Je sentais combien la danse pouvait les aider : donner un peu d’assurance à ces enfants gênés par eux-mêmes, les faire rêver, leur faire oublier qu’ils n’étaient pas gracieux, les aider à mieux exprimer leurs sentiments. Notre travail est de faire bouger l’imagination. »

« La façon d’enseigner a évolué, témoigne Daniel Agésilas, directeur du Conservatoire de Paris. Nous avons autant conscience de former... que de déformer le corps. Jusqu’aux années 1990, le diplôme d’État n’était pas nécessaire pour enseigner. Or, faire des pointes sur le carrelage peut être très dangereux ! Aujourd’hui, on doit protéger les jeunes afin que leur corps, à 40 ans, ne soit pas abîmé. »

Un art accessible aux plus jeunes
La danse, une maîtrise de la gravité ? C’est la partie émergée de l’iceberg : elle est aussi un travail de l’œil et donc des méninges. Initier les jeunes regards à la culture chorégraphique fait partie, dans certaines maisons, des fondamentaux. Or, comme l’explique Agnès de Jacquelot, responsable des actions pédagogiques depuis une vingtaine d’années à l’Opéra de Paris (1), « on ne s’improvise pas spectateur. Former le goût commence tôt. Beaucoup d’enfants ont des habitudes télévisuelles, passives. Nous essayons de transformer ces attitudes afin d’en faire des personnes sensibles, capables de réagir, de réfléchir, de percevoir. »

Autre exemple avec les Fables à la fontaine : près de mille représentations de fables dansées, entre 2002 et 2007, devant un public largement familial. À l’origine du projet, Annie Sellem, fondatrice de La Petite Fabrique, qui a permis au projet d’exister en appelant de célèbres chorégraphes à écrire pour les enfants. Militante du jeune public, elle plaide en faveur de cet art, « proche, accessible » pour les plus jeunes pour qui ce langage peut être une grande force.

Au Centre national de la danse (CND), Delphine Bachacou, responsable des actions artistiques, porte le même souci : « Apprendre à analyser, à rencontrer l’autre, est le cœur de cette démarche auprès des plus jeunes », dit-elle, précisant que la dernière saison, le CND a touché environ 2.000 enfants et adolescents à travers des ateliers chorégraphiques.

« Nous nous apercevons combien la médiation de la danse permet à l’enfant de se rendre disponible à recevoir quelque chose. Chez certains adolescents qui se posent de façon frontale ou chez ceux qui ont même du mal à se repérer dans l’espace, à se diriger eux-mêmes, ordonner ses mouvements amène à construire plus finement sa pensée, dans la même démarche que l’écriture. »

« Enseigner à un public de ZEP ou à celui des conservatoires est certes très différent, mais ce sont finalement les mêmes fondations pédagogiques, les mêmes soucis de recherche du beau dans l’authenticité, dans l’exercice de vérité », témoigne Armelle Cornillon. On est loin d’une discipline qui serait une affaire de belle mécanique.

À la retraite aujourd’hui, Chantal Bouton a encore un souvenir très vif de ces soirées de Noël où des parents acceptaient de lui « prêter leur enfant quelques heures », le temps d’une Cendrillon enveloppée de tulle devant un public sevré de tout lien, dans des maisons de retraite. « Quel art merveilleux, courroie de transmission du bonheur avec les autres », sourit encore ce professeur. « Pratiquer la danse responsabilise l’enfant, le pousse à chercher l’harmonie avec les autres tout en développant sa personnalité, témoigne en écho la pétillante Susan Alexander, professeur au Conservatoire de Paris. C’est rechercher la joie. »

Joséphine MULON

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