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Journée OZP 2004. Travailler en équipe, un esprit mais aussi des techniques, avec Philippe Wera

2004

Actes de la Journée nationale de l’OZP, 8 mai 2004

Pour la totalité des Actes

TRAVAILLER EN EQUIPE

UN ESPRIT MAIS AUSSI DES TECHNIQUES

Intervenant : Philippe Wera,
directeur du Centre d’études et de formation
pour l’accompagnement des changements (CREFAC)

Animateur : Bernard Bier

Intervention de Philippe Wera

Le travail en équipe et l’expérience des entreprises

Que peuvent nous apporter les techniques et l’expérience des entreprises sur le travail en équipe ? C’est sur ce thème que les organisateurs de ces journées m’ont demandé d’intervenir à la lumière de l’expérience de l’organisme dont je suis le responsable, le CREFAC, Centre d’études et de formation qui intervient beaucoup en entreprise sur des problématiques d’accompagnement de changements. J’ai assisté ce matin aux travaux d’un atelier. Les interventions montrent à la fois un fort intérêt pour le travail en équipe mais aussi de nombreuses réticences. Je cite en vrac quelques propos entendus :

 Travailler en équipe symboliquement, je vais y gagner sans pour autant que ma liberté soit compromise.

 Tout seul, on s’en sort mieux.

 On n’a pas intérêt à travailler en équipe parce que ce n’est pas là-dessus qu’on est récompensé.

 Le travail en équipe, c’est la pratique dans nos classes : la coopération entre élèves...mais la notion d’équipe n’est pas naturelle.

 On est plutôt dans un système éducatif individualiste.

 Le groupe se soude pour résoudre un problème qu’il ne peut résoudre seul.

 La complexité est le moteur d’un travail en équipe. Sur le complexe, l’équipe trouve tout son sens.

Le monde de l’éducation et celui de l’entreprise sont deux mondes différents, celui de l’entreprise pouvant provoquer des réactions de rejet de la part de certains enseignants, lesquels sont souvent critiqués dans le monde de l’entreprise.

Quelques caractéristiques peuvent être soulignées :

Éducation

 une culture hiérarchique rigide et séparation de fonctions (pédagogie, administration)

 l’individualisme des acteurs (très lié à la situation de base de l’enseignant dans « sa » classe où il est... le maître)

 pas de culture du projet au sens où on l’entend dans l’entreprise

 pas de culture de l’évaluation des projets

 division du travail forte au sein de « l’équipe éducative »

 une méfiance à l’égard du monde de l’entreprise

L’entreprise

 une culture hiérarchique rigide, même si ce n’est pas la même rigidité

 une organisation collective déterminée par l’impératif de production

 une forte division du travail

 des fonctions transversales de plus en plus importantes (logistique, qualité, RH)

 une culture des résultats

 une orientation client qui se développe (N.D.L.R. le terme « client » utilisé ici provoquera de nombreuses réactions : voir compte-rendu du débat ci-après)

 des cultures projet (gestion par projet, projet d’entreprise...)

Un des premiers apports possibles de l’entreprise, c’est l’apport méthodologique ainsi que les outils, qu’il ne s’agit pas d’adopter tels quels mais de transposer pour les adapter à des situations spécifiques.

La gestion de projet a reçu son titre de noblesse avec une norme nouvelle, ISO 10006, version 2003. Parler projet, c’est faire référence à quelques principes de base :

 un projet = des objectifs, un périmètre

 un phasage : préparation, mise en œuvre, suivi, clôture

 des outils

 en permanence : la communication

 des délais

"Nous, vous, ils ...sont tous intelligents"

A l’opposé du précepte de Taylor : "l’ouvrier n’a pas à réfléchir, il y a des gens qui le font pour lui", le principe de base du sous-titre ci-dessus est affirmé dans un document interne d’une grande entreprise industrielle pour atteindre les objectifs combinés :

 qualité - coûts - délais

 une recherche de l’implication du personnel

 « La productivité découle moins d’une technique que de la volonté des hommes »

 l’approche client-fournisseur

 une recherche permanente de l’amélioration continue (logique de changement continu)

 intégration, implication des fournisseurs : logique partenariale

La recherche de l’implication de chacun, de l’opérateur à l’ingénieur, dans les processus d’amélioration continue est une dimension importante à prendre en compte si l’on veut comprendre le fonctionnement des entreprises aujourd’hui. Il en résulte des attitudes différentes pour l’encadrement à l’égard du personnel d’exécution.

Du point de vue méthodologique, de nombreux outils ont été conçus pour favoriser l’analyse des causes d’un problème, la recherche de solutions :

5 S

SMED : changement rapide de série

TPM (Total Productive Maintenance)

AMDEC (Analyse des modes de défaillance et de leur criticité)

Diagramme d’Ishikawa

GANTT, PARETO

Techniques d’animation de groupe

Tableaux de bord...

Management visuel

Gestion du temps

Certains outils facilitent la gestion et le suivi de projet comme le diagramme de Gantt ou l’analyse des causes comme le diagramme d’Ishikawa (ou diagramme Causes-Effet ou encore « arête de poisson »).

N.D.L.R. Le diagramme d’Ishikawa (ou des 5 M) est un outil de réflexion collective qui permet, lorsqu’un dysfonctionnement à été constaté, d’en rechercher les causes en évitant de tomber dans l’explication monocausale.

Mode d’utilisation : Dans le schéma ci-dessous, on peut remplacer les 5 M dans les encadrés (Matière, Main d’œuvre, Matériel, Méthode, Milieu) par d’autres item relatifs à l’éducation : Programmes, Personnels, Parents, Elèves, Environnement, Institution.

Par exemple : à partir d’un « effet constaté », l’absentéisme des élèves dans un établissement, l’animateur, sous la dictée du groupe, écrit sur l’axe d’une ou plusieurs flèches horizontales d’un item (le sens des flèches importe peu) le ou les causes possibles : par exemple, sous l’item Administration, on pourrait avoir des flèches « remplacements non assurés », « communication insuffisante en direction des familles », sous l’item Elèves « accumulation des échecs scolaires », etc.

La démarche qui correspond à ce type d’outils est certainement proche de celle de nombreux enseignants qui créent des outils pédagogiques destinés à favoriser l’analyse d’un problème par un groupe d’enfants (N.D.L.R. Les interventions qui ont suivi cet exposé le confirment).

NDLR : pour consulter le diagramme d’Ishikawa, voir la version en format PDF

A travers les quelques exemples cités, mon propos était d’illustrer des aspects pratiques liés au travail collectif, d’où la question pour introduire le débat avec les participants :
"Que peut-on en tirer sur notre fonctionnement en équipe, en groupe de travail, dans nos relations internes, dans notre façon d ’envisager un projet ?"

Débat

Après son intervention, Philippe Wéra propose à l’assistance de se partager en quatre groupes afin d’échanger à partir de son exposé.

Remarques du premier groupe :

 En s’appuyant sur le diagramme d’Ishikawa, la transposition entre l’industrie et l’éducation est frappante : si l’un des partenaires ou objets est défaillant, c’est l’ensemble de l’organisation qui défaille ; dans la réalité, il y a toujours plusieurs facteurs (partenaires ou objets) qui dysfonctionnent.

 On peut néanmoins s’inquiéter des intentions qu’il y a à vouloir rapprocher le monde de l’entreprise de celui de l’éducation. Il est choquant de comparer un élève à un client. Dans l’éducation, on travaille avec des êtres humains et il est difficile d’admettre que l’on calcule par exemple le coût du redoublement.

 Deux points de vue se sont opposés : pour les uns les méthodes présentées sont nouvelles, pour les autres elles sont de fait pratiquées sans avoir été apprises.

 L’affirmation selon laquelle il n’y a pas de culture du projet ni de l’évaluation dans l’école est contestable : on ne fait que cela dans les établissements scolaires (projet d’école, de réseau, de classe, de l’élève, évaluation somative, diagnostique, en CE2, en 6ème).

 De l’échec scolaire est produit par l’école parce que la société en a besoin : il s’agit de produire du chômage et de l’employabilité, et de baisser le coût de la main d’œuvre.

Remarques du deuxième groupe :

 Le modèle proposé n’est pas totalement applicable à l’Education Nationale pour des raisons structurelles : dans cette dernière, la hiérarchie est plus souple, on y a une marge de manœuvre et d’initiative plus grande ; dans l’entreprise, l’organisation est plus rigide : il s’agit avant tout d’augmenter la production.

 Le langage, spécifique à l’entreprise, utilisé par P. Wera ne peut être transposé.

 Etre enseignant, c’est d’abord travailler en équipe, savoir quel est le sens donné au travail et quels sont les objectifs poursuivis. L’adhésion collective est préalable à l’acquisition des techniques de travail de groupe.

Remarques du troisième groupe :

- Certains ont des réticences à entendre le vocabulaire de l’entreprise appliqué à l’Education Nationale, où l’on parle de manières de travailler ensemble et non pas d’objets produits. D’autres insistent sur le manque de formation au travail d’équipe et sur les compétences à acquérir à ce sujet.

 Le poids de la hiérarchie dans l’Education nationale est ressenti différemment par les membres du groupe : permissive pour les uns, rigide et pesante pour les autres, avec un grand nombre de fonctions hiérarchiques (contrairement au resserrement des fonctions en entreprise). Ceci est d’autant plus paradoxal que l’on travaille sur de l’humain.

 Un enseignant en histoire-géographie découvre qu’il utilise, sans le connaître, le diagramme d’Ishikawa dans ses cours d’instruction civique

Remarques du quatrième groupe :

 Si l’on a peu d’occasions de se former au travail de groupe, on utilise cependant de façon empirique, à la manière de Monsieur Jourdain, certains des outils présentés.

 Dans le monde de l’éducation, au-delà de l’objectif des 80% d’élèves au niveau du bac, les missions sont assez peu définies et les obligations essentiellement morales, contrairement à l’entreprise où dominent les obligations de production.

 Compte tenu de la complexité des phénomènes dans l’institution scolaire et de la difficulté à identifier et nommer chaque paramètre, le diagramme d’Ishikawa est-il utilisable ?

Philippe Wera :

 Les méthodes proposées sont en effet basiques, mais il importe qu’elles soient systématisées. Quand les gens utilisent le bon outil après avoir reçu une formation, ils en voient alors l’efficacité.

 Le projet porte bien sur le sens : il signifie « aller vers... ». Trop souvent l’évaluation d’un projet se résume à l’expression d’une satisfaction ou d’un mécontentement, alors qu’il s’agit d’évaluer l’utilité de ce qu’on a fait, de ce qu’on a obtenu. Il est donc indispensable de se doter d’outils, d’indicateurs.

Dans les échanges du matin, il a été question « de ZEP où l’on est mieux qu’avant ». Evaluer dans ce cas consiste à se poser les questions suivantes : quels sont les impacts du dispositif ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’a-t-on fait qui a permis de produire ce résultat ? Il faut se donner les moyens à un moment donné de voir ce que l’on a fait. Des outils et des méthodes permettent de se mettre d’accord sur les résultats, sinon on reste dans un vague consensus ou dans un affrontement dont on ne sait pas forcément clairement sur quoi il porte. La méthodologie proposée permet d’aller vers un jugement partagé. L’évaluation ne doit d’ailleurs pas porter uniquement sur les enseignements, mais aussi sur l’environnement social et la vie du groupe.

 Il est possible de débattre sur la notion de client du service public. La poste avait des « usagers », maintenant elle a des « clients » ; personnellement je ne sais pas lequel est le mieux traité ou pris en considération. On dit souvent "Un usager est passif, le client est roi !" Ce débat sur les mots peut choquer, mais il va au delà des termes, c’est toujours un débat d’actualité. D’autre part, j’ai volontairement utilisé le vocabulaire d’entreprise pour provoquer la réflexion, ce qui ne veut pas dire qu’il faille reprendre systématiquement ce vocabulaire, les mots ont en effet leur importance.

Dans la salle : En tant qu’enseignants, nous ne nous adressons pas à un client mais à un groupe classe, à tous les élèves quels qu’ils soient, quels que soient leurs résultats.

P.W. : Au-delà des mots « client » ou « usager », ce qui importe, c’est l’interaction entre les acteurs, entre les services et les bénéficiaires ; cet échange est fondamental.
Certes le système éducatif n’est pas une entreprise comme une autre. Mais des évolutions importantes ont lieu dans l’entreprise, les comportements des personnes changent, il y a d’importants progrès même si des aspects restent contestables. Quant aux remarques sur l’emploi de méthodes reprises de l’entreprise, je rappelle par exemple qu’Internet a été créé par et pour l’armée, ce qui n’a pas n’empêché d’autres usages. Lorsqu’on demande aux entreprises de travailler sur les comportements transversaux, cela permet aux personnels de mieux comprendre et de prendre leur place dans l’entreprise, ce qui est une avancée. On n’est pas ici dans un débat de fond sur ce qui permet au système de fonctionner ; on peut d’ailleurs avoir des effets inattendus, inverses aux objectifs poursuivis.

Dans la salle : Il faut sortir de la bipolarisation du monde, de la sacralisation de l’institution scolaire et de la diabolisation de l’entreprise. L’Education Nationale n’est pas hors du système et peut prêter le flanc à bien des critiques.

Dans la salle : Ce débat est hors sujet, cet atelier devait nous apporter des techniques pour apprendre à travailler autrement.

Bernard Bier (conseiller à la direction régionale Jeunesse et Sports Ile-de-France et animateur de l’atelier) :

En réponse ou en réaction aux propos tenus, quelques remarques :

 Si l’école peut produire de l’échec scolaire comme il a été dit, elle produit aussi, et même en ZEP, de la réussite scolaire (voir à ce sujet les travaux de l’équipe ESCOL à Paris VIII) : des élèves qui ont tout a priori pour échouer se retrouvent en situation de réussite. Ceci grâce entre autres à la mobilisation des enseignants, et plus largement des différents acteurs, et à l’action éducative, interne et externe à l’école. Il est curieux qu’après des décennies de dénégation du fait de l’échec - l’école était émancipatrice ! - ce soit les membres de l’Education nationale qui portent aujourd’hui ce discours univoque de dénégation de la réussite.

 Dans la présentation de l’atelier, il a été souligné (par les organisateurs et non par P. Wera) que la culture du projet et de l’évaluation faisait défaut dans l’Education nationale, point de vue contesté par quelques uns.
En fait c’est surtout la rhétorique du projet qui se développe : le mot "projet" en effet connaît un succès certain dans le discours des politiques publiques depuis une vingtaine d’années, et bien sûr dans l’Education nationale. Mais parler de projet d’établissement par exemple est relativement récent à l’aune des décennies d’école républicaine. En outre, force est de constater que les différents acteurs de l’école ne sont en aucune manière formés à la méthodologie du projet. Enfin, une des questions qui nous semble importante est bien de savoir comment un projet pensé par quelques uns (chef d’établissement, inspection, conseil d’administration...) peut devenir un projet partagé par l’ensemble de la communauté scolaire. On est aussi ici dans la question du sens.

 En ce qui concerne l’évaluation, l’école, comme l’ensemble de l’administration française, a vécu et vit encore souvent plus dans la culture du contrôle que dans celle de l’évaluation, ce qui est pour le moins différent. Là encore, force est de constater le peu d’appropriation du résultat des évaluations par les enseignants. Des rapports récents ont confirmé le fait que l’évaluation des situations et pratiques pédagogiques était une des zones d’ombre de la recherche et du travail dans les classes. On est donc bien loin de cette banalisation du projet et de l’évaluation dont parlaient certains, voire de l’entrée dans une logique d’évaluation partagée (laquelle bien sûr n’a rien à voir avec des indices de satisfaction).

 Le rôle du diagnostic partagé donc parlait P. Wera semble particulièrement important quand on voit comment les dysfonctionnements de l’école sont imputés, par les uns et les autres, systématiquement et tour à tour, aux différentes strates de la hiérarchie, aux enseignants du primaire ou du secondaire, aux parents, voire aux élèves qui ne sont pas ce qu’ils devraient être !

 Enfin au-delà des questions de terminologie, on ne peut que constater - et regretter - les réticences voire les résistances des membres de l’institution scolaire à entendre la parole des associations, des parents, et des élèves eux-mêmes (partenaires ? clients ? usagers ? bénéficiaires ?) sur ce qu’est le service public d’éducation. Pour la quasi-majorité de nos concitoyens il va de soi que les usagers de l’hôpital ont un droit de regard sur le service public de santé, c’est-à-dire sur la qualité de l’accueil et des soins (cf. la charte de l’usager). Les associations d’usagers se multiplient dans différents secteurs. Mais il paraît encore impensable, malgré quelques timides avancées en ce domaine, que les bénéficiaires du service public d’éducation puissent avoir leur mot à dire sur ce qui se passe dans l’école.

P.W. : Il est important de voir et comprendre ce qui a évolué dans l’entreprise. Il ne s’agit pas de transposer mécaniquement des méthodes d’un monde à l’autre, ce qui conduirait à l’échec, mais de voir comment certaines pratiques (travail sur les savoirs transversaux, programme d’enrichissement instrumental, outil de raisonnement logique, techniques d’animation de groupe) peuvent être appropriés ailleurs. Cela peut être utile à tous.

Compte rendu rédigé par Michèle Théodor et Bernard Bier

Bibliographie

Quelques références d’ouvrages auxquels il a été fait allusion dans l’exposé et dans le débat :

Sur les pratiques du management aujourd’hui :
BRILMAN (Jean). Les Meilleures pratiques du management, par Jean Brilman, Editions d’Organisation, nouvelle édition 2003

Sur les outils méthodologiques :
CHAPEAUCOU (Robert). Techniques d’amélioration continue en production, Dunod

Sur l’animation d’équipe
MUCCHIELLI (Roger). Le travail en équipe, ESF éditeur (Coll. Formation Permanente en Sciences Humaines)

Sur l’assertivité (affirmation de soi)
FEVRE (Odile), SCHULER (Eric). L’affirmation de soi au féminin (L’assertivité des femmes au quotidien), ESF éditeur (Coll. Formation Permanente en Sciences Humaines)

Ce texte est disponible en format PDF dans une mise en page identique à celle du tirage papier des Actes

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