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Travail de terrain sur la guerre de 14-18 et la guerre d’Algérie dans un atelier d’écriture au collège REP Léon-Blum à Villiers-le-Bel

30 janvier 2005

Extrait de « Libération » du 29.01.05 : des livres d’histoire dont les élèves sont les héros.

En ZEP, des profs réussissent à enseigner autrement l’histoire contemporaine.

Fataine, Yucel, Abdelkrim, Nivath, Dona, Nadjila... Au collège Léon-Blum de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), les prénoms des élèves évoquent tous les continents. Leurs difficultés sociales sont connues et se répercutent sur l’orientation : près de 50 % d’entre eux n’iront pas en lycée général. Ce collège cumule les étiquettes peu gratifiantes : classé en ZEP, zone sensible, zone de violence. « En contrepartie, on s’autorise une grande liberté pédagogique », résume Alain Degenne, professeur de français.

Décloisonnement.

Il y a trois ans, ce littéraire passionné d’histoire s’est entendu avec son collègue professeur d’histoire-géographie et épris de littérature : tous deux désiraient décloisonner leurs matières. Ils ont créé un atelier d’écriture qui regroupe, une heure par semaine, des élèves de deux classes de troisième.

Au départ, il n’y avait pas vraiment de projet pédagogique. Juste l’envie de travailler ensemble sur la guerre de 14-18. Les enseignants ont demandé aux élèves de se mettre dans la peau d’un poilu qui tiendrait son journal intime. Ces lettres très personnelles, écrites sur un coin de la table familiale à l’heure des devoirs, ont convaincu les enseignants de la force des jeux de rôle : « Les élèves incarnaient des personnages, percevaient le conflit à leur échelle. Ils devenaient des auteurs. » Le personnage du poilu Louis Joubert est né dans leur imagination.

L’année suivante, les élèves ont poursuivi leur exploration de l’histoire contemporaine en créant le personnage de Nicolas, un garçon de Villiers-le-Bel confronté à la guerre d’Algérie. Petit-fils de Louis le poilu, Nicolas part en pleine guerre pour Oran, parce que son père, fonctionnaire, y est muté. D’Oran, Nicolas écrit des lettres à son copain Djamel, resté à Villiers-le-Bel. Cette correspondance entre le Français d’Algérie et l’Algérien de France a donné naissance à Lettres croisées, un livre finalement édité par l’Harmattan et lauréat du prix René-Cassin 2004, qui récompense chaque année le meilleur travail scolaire sur les droits de l’homme. « Cette reconnaissance leur a procuré énormément de fierté, souligne Renaud Farella, le professeur d’histoire. Ce dont nos élèves manquent souvent au quotidien. »

Saga familiale.

Cette année, le groupe construit une autre étape de la saga familiale, il a choisi la période 1939-1945. Charles est ainsi le fils de Louis le poilu, et le futur père de Nicolas le Français d’Algérie. Pour l’heure, il vit sous l’Occupation, toujours à Villiers-le-Bel, point d’ancrage des différents récits. Ce lundi-là, les élèves présents à l’atelier d’écriture précisent les contours du personnage de Charles : il travaille à la poste, tient son journal de bord et, amoureux de Marie, il lui dédie des poèmes. Elia, qui les a tous écrits, les lit à voix haute. D’ordinaire plutôt agitée en classe, elle est ici extrêmement attentive, puis multiplie les questions sur la crédibilité de ses écrits. Douée en dessin, elle est aussi chargée de réaliser des illustrations. Un vaste synopsis a été élaboré collectivement, qui mêle événements historiques et anecdotes personnelles sur la vie de Charles.

Pour construire leurs récits, les élèves ont rencontré des témoins de l’époque : un ancien déporté les a longuement reçus ; une habitante de Villiers-le-Bel leur a dépeint ce gros village essentiellement peuplé de maraîchers. Une Parisienne, témoin de la rafle du « Vél d’Hiv » et qui s’est mariée pendant la guerre ¬comme le personnage de Charles¬, leur a confié quantité de détails précieux. Un adjoint au maire de Sarcelles va leur parler de son passé d’enfant juif caché par une famille. « Face aux témoins, les élèves ont osé toutes sortes de questions, racontent les deux enseignants. Ils ont pu aborder la complexité des situations. » Ils ont également visité le camp de Drancy, comme leurs prédécesseurs s’étaient rendus au mémorial de Verdun avant d’écrire l’histoire de Louis le poilu.

Nouvelle génération.

Pour Benoît Falaize, auteur d’une étude sur l’enseignement de la Shoah et des guerres de décolonisation (« Entre mémoire et savoir, l’enseignement de la Shoah et des guerres de décolonisation », INRP, Paris, 2003), le travail mené à Villiers-le-Bel « permet aux élèves de comprendre que l’histoire du XXème siècle est un tout. D’assumer toutes les mémoires, sans donner l’impression que l’on en favorise une au détriment d’une autre, ce qui est souvent source de conflits dans les salles de classe ». Alain Degenne et Renaud Farella reconnaissent qu’ils ne disposaient pas d’une méthode prête à l’emploi avant de se lancer.

Simplement l’envie de donner à leurs élèves l’occasion de s’approprier « ce qui fait l’histoire commune, malgré leurs origines culturelles diverses ». Le chercheur y voit la marque d’une nouvelle génération d’enseignants.

Marie-Joëlle GROS.

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