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Mobilisation des lycéens dans la ZEP de Stains (93)

10 février 2005

Extrait de « L’Humanité » du 09.02.05 : Utrillo s’exprime sur calicot

La mobilisation lycéenne contre le projet de loi Fillon se poursuit. Avant la manifestation de jeudi, plusieurs établissements étaient en grève hier.

« Plus on connaît, plus on aime. » Hier matin, les élèves de Maurice-Utrillo, lycée polyvalent de Stains, en Seine-Saint-Denis, dérobaient cette phrase à Léonard de Vinci et la couchait au feutre noir sur des tee-shirts faits de draps blancs. Plus on connaît et plus on aime : une façon de faire savoir à leur ministre de tutelle qu’on n’est jamais trop érudit. Alors que celui-ci cherche à les délester de connaissances jugées non essentielles, les lycéens faisaient savoir qu’ils ne sont pas de bons moutons prêts à se laisser tondre sans ruer dans les tondeuses.
Comme d’autres ailleurs, ils ont répondu à l’appel, lancé samedi par une coordination lycéenne, à faire de la journée d’hier un moment de mobilisation. À une dizaine d’abord, le groupe enflant à mesure que 8 heures approchaient, ils ont bloqué l’accès à leur établissement. Un piquet de grève bon enfant - peu de résistance, en vérité, s’opposait à qui voulait entrer - pour protester contre le projet de loi Fillon, qui les inquiète tant sur la forme que sur le fond. Avant 9 heures, ils étaient plus de 500 à s’agiter devant les grilles. Certains, bien décidés à ne pas retourner en classe avant midi. Comme Mylène, élève de seconde, qui analyse ainsi la réforme en cours. « Le gouvernement met sur le même plan la connaissance, l’usine et l’argent. » Fouillant dans ses idées, elle éclaire son propos. « On veut faire de nous des sortes d’employés, disposant seulement des compétences nécessaires aux entreprises, explique-t-elle. Les plus pauvres n’auront droit qu’au socle commun de connaissances, délivré par l’école publique. Les autres iront chercher les compléments dans le privé. »

Derrière elle, une banderole déroulée entre deux manches à balai met les points sur les i. « ZEP, ça ne veut pas dire Zone d’Élèves Pourris ». À ses pieds, Fouzia et d’autres filles se sont installées pour un sit-in mouvant. Elles frappent dans les mains pour rythmer les slogans. « Fillon, si tu savais, ta réforme, ta réforme... » Des classiques, uniquement. « Maurice-Utrillo subit le même sort que les autres lycées, commente Mylène. Ce qu’il pouvait avoir de spécifique, on le lui a déjà retiré », conclut-elle, un poil grinçante.

Ici comme partout, l’an prochain, les TPE, travaux personnels encadrés, seront supprimés en terminale. Si le projet de loi est voté en l’état, plusieurs filières technologiques seront regroupées. Ainsi les STT seront-elles fondues aux STI pour devenir des STG (1), avec, au passage, le risque de perdre en contenus ainsi qu’en nombre de sections ouvertes. Enfin, plusieurs options seront condamnées dès la seconde. En sus, il y a ce fameux bac qui se passera désormais pour une large part en contrôle continu. Arrivé avec une vague de bus, Samir, élève de seconde, hésite encore entre s’associer au mouvement ou se rendre en cours. Il penche néanmoins pour la grève, justement parce que « cette nouvelle formule serait inéquitable ». Le bac perdrait son caractère national, redoute-t-il. « Ceux qui viennent de lycées "pas fréquentables" seraient pénalisés. » Ils sont plusieurs, à son instar, à estimer qu’un bac labellisé « Utrillo » ne les servirait pas. Un argument qui suffit à convaincre certains de rejoindre la vague des contestataires.
Tous ne sont pas pour autant persuadés de l’efficacité de cette mobilisation. Plusieurs filles et garçons regardent les choses de loin, attendant de voir comment le vent va tourner. D’autres ont déjà tranché en défaveur de l’action. Ainsi s’exprime Bintou, jeune fille de terminale, qui la trouve un peu trop isolée. « Ça ne servira à rien d’occuper le lycée seuls. Si encore il y avait un mouvement national. » Elle n’a pas eu d’écho de ce qui se fait ailleurs.

Depuis la cour, derrière la grille, une pincée d’adultes observent, l’air interdit, la scène qui se déroule aux portes de l’établissement. « Nous aussi, nous réfléchissons à la façon de lutter contre ce projet de loi », relève un prof de maths. « Je suis surpris et heureux de voir qu’ils se mobilisent pour leur avenir, explique un prof de sciences de la vie. Ils se responsabilisent. »
Devant eux, à quelques pas des barreaux, Nicolas, élève de première S, plaide, à sa manière, pour la pérennisation de cet esprit critique que vantent les enseignants. « Avec le projet de loi, il est question de supprimer des matières. Les sciences de la vie, l’histoire-géo... déplore-t-il. J’ai le sentiment que si on laisse faire cela, les prochaines générations seront manipulables à loisir. On va provoquer une nouvelle forme d’obscurantisme politique. » Plus on connaît et plus on aime. CQFD. Demain, la coordination lycéenne appelle à de nouvelles manifestations, entre autres à Nantes et à Paris (2). Les jeunes d’Utrillo ont l’intention de s’y rendre, afin de continuer à démontrer la validité de la maxime.

Marie-Noëlle Bertrand

(1) Sciences et techniques du tertiaire, de l’industrie et de la gestion.
(2) L’UNL (Union nationale des lycéens), le CAL (Comité d’action lycéen) et la JC (Jeunesse communiste) appellent à se rassembler,
à 14 h 30, place de la Bastille. La FIDL (Fédération indépendante et démocratique des lycéens) a fixé rendez-vous à 14 heures, place de la République

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