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Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, J. Donzelot, C. Mével, A. Wyvekens, Paris, Le Seuil, 2003, 363 p.

2003

Note de lecture recopiée du site « Claris » : www.groupeclaris.com

Ce site est particulièrement utile aux acteurs de ZEP qui s’intéressent aux questions de justice, de citoyenneté, de politique de la Ville et de d’insertion sociale. L’OZP conseille vivement à ses adhérents de visiter ce site régulièrement : il se trouve dans les « liens favoris » de ce site. Les notes de lecture qui s’y trouvent (nous avons déjà indiqué ici celle portant sur « Collèges de France ») sont toujours d’une grande qualité.

A propos du livre de J. Donzelot, C. Mével, A. Wyvekens : Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, Paris, éd. du Seuil, 2003, 363 pages.

Ce livre iconoclaste (premier chapitre : traiter les lieux ou s’occuper des gens ; deuxième partie : communauté et citoyenneté ; troisième partie : « community policing » et restauration du lien social ») est principalement constitué :
 d’une comparaison très stimulante des dispositifs de la politique de la ville en France et Outre-atlantique ;
 d’un plaidoyer enchanté, voire prosélyte du modèle américain.

· Une démarche « bottom up » [1]

Les travaux comparatifs portant sur les différentes formes de mobilisations institutionnelles développées par la France et les Etats-Unis pour faire face à la crise urbaine et à la fragmentation sociale montrent que le modèle « social » français s’oppose d’un point de vue philosophique et pratique au modèle « communautaire » américain. Néanmoins, J. Donzelot et son équipe ont comparé les différentes approches de la « politique de la ville » dans l’hexagone et outre-Atlantique et soulignent qu’il faut savoir dépasser les idées reçues (le terme « communautaire » est associé en France à celui de « dérive » tandis que le terme « social » est associé aux Etats-Unis aux notions d‘« assistance » et de « dépendance ») pour réellement étudier les conséquences de ces modes d’intervention divergents sur la dynamique de recomposition sociale. Dans les faits, « l’approche américaine valorise effectivement la notion de communauté, mais seulement dans la mesure où celle-ci se place au service d’un objectif civique. De même, l’approche française mérite-t-elle bien l’appellation de sociale, mais avec cette particularité que le social sert ici à qualifier le souci de restaurer l’autorité, la magistrature, dira-t-on, des institutions. »

Ainsi, au regard d’une analyse de terrain, les présupposés négatifs sur les modes de régulation sociale aux Etats-Unis sont battus en brèche. En effet, plutôt que de montrer le manque d’engagement politique de la société libérale américaine tant décriée par les « anti » ou les « alter-mondialistes » qui accusent les Etats-Unis de mener une politique anti-sociale, sécuritaire et punitive [2] , dans la pratique, la comparaison des modes d’organisation étasuniens et hexagonaux pour pallier la décomposition urbaine met surtout en relief les limites de la politique de la ville en France et notamment, le manque de participation de la population dans la recomposition collective du tissu social urbain.

En fait, les américains cherchent surtout à consolider une « communauté civique » et par conséquent, travaillent prioritairement sur les « gens et leur mouvement » plutôt que sur l’espace urbain et le traitement social et institutionnel des habitants des quartiers pauvres considérés comme désocialisés ou repliés sur eux-mêmes et leur communauté. Dans ces conditions, « l’identité communautaire » n’est pas un handicap contre lequel il faut lutter mais bien un atout sur lequel il faut s’appuyer, voire même développer (politique de soutien des community developpement corporations (Cdc)). Une politique urbaine bien planifiée au niveau national pour lutter contre la fracture urbaine et bâtir des cités idéales n’existe donc plus aux Etats-Unis depuis l’échec de ces dispositifs dans les années soixante et soixante-dix. En revanche, il existe toujours des programmes économiques et sociaux visant des zones urbaines défavorisées, mais « l’objectif est de permettre aux gens d’acquérir les moyens nécessaires pour franchir les obstacles qui les retiennent dans ces lieux de misère » et non pas de construire des « cités radieuses ». L’essentiel est donc d’agir sur la mobilité des gens, leur capacité d’action et de mouvement au lieu d’œuvrer sur les territoires urbains dégradés en tant que tel.

En gardant ses particularismes (ethniques, religieux, sociaux, culturels, politiques...) et ses intérêts particuliers, il s’agit de développer une politique « socio-urbaine » qui permette de dégager un intérêt commun à tous afin de construire une « citoyenneté locale » où chacun peut accéder à une forme de pouvoir sur l’organisation de la vie de la cité. L’Etat américain incite donc la population à recomposer des communautés et à s’organiser elle-même plutôt que de déléguer sans cesse les affaires publiques aux autorités ou à des professionnels de l’intervention sociale rémunérés pour s’en occuper. Dans ce cadre, la population exerce un réel pouvoir d’action et de pression auprès des autorités et notamment sur la police dans le domaine de la sécurité. D’ailleurs, les « communautés de quartier » sont associés à la police pour lutter contre l’insécurité ; il s’agit d’établir « une vigilance commune » sur un quartier (community policing), de construire des « liens civiques » au sein de la communauté.

En ce sens, l’action des communautés a bien une finalité civique et par conséquent, la « citoyenneté » n’est pas apprise, voire imposée mais construite par l’implication responsable de chacun dans une « communauté civique » qui reste également tournée vers l’extérieur grâce à l’action des community developpement corporations qui veillent à l’engagement civique et démocratique des communautés de quartier.

· Une démarche « top down » [3]

Face à la démarche de « communauté civique » américaine, J. Donzelot et ses collègues indiquent que la démarche française se caractérise par le « volontarisme urbain » et la « sollicitude sociale ».

L’utilisation récurrente par les différents protagonistes institutionnels de la reconstruction urbaine de trois notions fondamentales : mixité (« politique d’ordre, par la dispersion des pauvres), citoyenneté (apprentissage d’un « devoir-être ») et proximité (« restaurer l’autorité défaillante des services par la légitimation nouvelle que leur procure ce contact avec les administrés [4] »), montre bien que ce ne sont pas directement les populations concernées qui façonnent la politique de la ville mais l’« Etat social » qui, certes, veut émanciper les habitants des quartiers défavorisés en luttant contre les inégalités de traitement dans de nombreux domaines (santé, éducation, emploi, loisirs, services publics...) mais désire également les contrôler et les neutraliser. En fait, l’organisation de la politique de la ville française montre que l’Etat et plus largement les instances locales de « gouvernance » n’ont pas confiance dans la capacité des populations à s’approprier « civiquement » leur territoire.

Cette volonté de restaurer l’autorité des institutions incluse dans la politique de la ville est appelée « magistrature sociale » par J. Donzelot et ses amis. Or, cette forte ambition de « transformer la ville », ce « volontarisme urbain se déploie au détriment des politiques sociales en direction des gens. » En fait, « la citoyenneté relève donc du devoir-être plus que de l’acquisition d’un pouvoir. » Concrètement, cette notion de citoyenneté comprise comme un devoir-être plus que comme un savoir-être se révèle de manière caricaturale dans le concept de participation, souvent associé aux discours de la politique de la ville et plus largement aujourd’hui, aux dispositifs publiques de redynamisation urbaine. Cependant, par crainte que cette « logique de participation » permette la construction réelle d’un pouvoir conquis par la population, cette logique se mue pratiquement en logiques de « consultation » et d’« information. » En effet, « la participation n’est qu’un moyen de la paix sociale. Elle n’est jamais présentée comme le moyen de la construction d’un pouvoir pour ceux qui en ont le moins. »

En définitive, le modèle de la « magistrature sociale » aujourd’hui incarnée par l’Etat, les collectivités territoriales et plus largement les institutions (par ailleurs en déclin [5] , voir F. Dubet, 2002) voudrait donc fondamentalement émanciper les hommes des effets de l’influence néfaste de la société et plus encore des communautés, en gardant une autorité sur eux au lieu de leur faire confiance pour qu’elle s’auto-organise et participe à la recomposition de « schèmes normatifs de l’action [6] » .

· Le nécessaire désenchantement d’une critique utile

Finalement, la question fondamentale qui sous-tend cette réflexion critique sur la politique de la ville en France et aux Etats-Unis est : n’est-il pas plus opportun pour combattre la désorganisation sociale, les violences et l’insécurité de favoriser la « participation » de l’ensemble des acteurs présents sur un territoire (Etat, collectivités locales, associations, habitants) pour qu’ils développent eux-mêmes leurs capacités d’action collectives et individuelles et construisent une « communauté civique » plutôt que de continuer entre soi (acteurs institutionnels, publics, para-publics et politiques ) à vouloir imposer une forme de citoyenneté désincarnée à une population déresponsabilisée et/ou stigmatisée ?

Pour autant, il ne s’agit pas de peindre un tableau idyllique de la démarche « communautaire » américaine. Au-delà de l’enthousiasme de l’équipe de J. Donzelot pour le bon usage du « modèle civique » américain, nous y voyons plusieurs limites inquiétantes pour la démocratie et le respect des individus. En effet, ce modèle semble attaché à la croyance qu’un « retour » aux contraintes sociales imposées par les processus de socialisation et de contrôle social en œuvre dans des « communautés » fortement intégrées est une garantie contre la délinquance, les violences urbaines et les incivilités. Il existe au sein de ce modèle une sorte de nostalgie pour le modèle « communautaire classique » caractéristique des sociétés traditionnelles et qui était d’ailleurs déjà regretté par les premiers sociologues (E. Durkheim, F. Tönnies, M. Weber...) qui cherchaient à reconstruire des formes de solidarités nouvelles pour lutter contre l’anonymat et l’anomie destructrice des sociétés modernes émergentes .

Or, cette volonté de réinstitutionnalisation nous paraît décalée et contre-productive dans une société postindustrielle appelée, aujourd’hui, société d’information plus propice au respect de la subjectivité des acteurs qu’à leur encadrement normatif.

Par ailleurs, ce modèle qui, pour l’intérêt déclaré d’une stabilité communautaire, valorise la constitution de groupes de « vigilants » et la dénonciation de personnes présumées déviantes, anormales, ou délinquants, outre le fait qu’il transforme chaque individu en une menace potentielle (« mes voisins surveillent »), laisse un goût amer : celui de la période non glorieuse de la « collaboration » sous le régime de Vichy. Par conséquent, pour éviter l’explosion de violences dues à l’ostracisme de catégories personnes stigmatisées par le « contrôle social spontané » - celle de la surveillance de chacun par son voisin - , nous croyons nécessaire l’émergence d’une « logique de participation » intégrant l’ensemble des acteurs sociaux prêts à agir démocratiquement sur un territoire pour consolider la cohésion sociale. Cependant, la logique de participation ne peut pas être confondue avec celle du contrôle social. En effet, que le contrôle social vienne « d’en haut » (institutionnels) ou qu’il vienne « d’en bas » (communautés), dans les deux cas, il ne peut pas pour autant favoriser un processus de régulation sociale respectueux de la subjectivité des acteurs. La logique de participation que nous préconisons ne peut donc être définie que par la coopération de forces institutionnelles et politiques (venues d’en haut) avec celles des organisations sociales (venues d’en bas) engagées dans un espace public dialogique conflictuel et néanmoins respectueux des particularités de chacun ; l’ensemble de ces forces étant motivé par un objectif commun : « mieux vivre ensemble, égaux et différents » au sein d’une communauté d’inter-connaissance mais ouverte sur le monde.

Dépassant des pratiques de « médiation » qui ne seraient que le prolongement de « l’action des institutions au plus près des gens (...) à partir d’une légitimité venue d’en haut », de discours politiques et institutionnels sur la « coproduction de la sécurité » devant être assurée par tous les acteurs sociaux - mais qui en réalité, ne concerne que les institutions publiques ou assimilées (cellules de veille, CLSPD...) - , ne vaudrait-il pas mieux organiser des modalités de concertation, de coordination et d’action intégrant - au-delà des mouvements intermédiaires classiques toujours nécessaires - l’ensemble des acteurs (professionnels, bénévoles et habitants) qui souhaitent s’impliquer dans la vie locale et la construction de la régulation sociale ?

Pour consolider les « liens sociaux » nécessaires à la cohésion sociale et finalement à la baisse des phénomènes d’insécurité, ne faudrait-il donc pas passer d’une « organisation verticale » établissant une méfiance envers la population, d’où la nécessité de la part des autorités multiples de l’encadrer, de la moraliser et de la contrôler, à une « organisation horizontale » qui fait confiance aux « gens » et à leurs capacités à s’intéresser à la « chose publique » et à leur implication dans la constitution d’une « communauté civique », démocratique et non délatrice ?

Dans tous les cas, l’émergence d’une société participative, au-delà de l’accès primordial pour chacune des composantes à celle-ci, à un travail ou à une activité rémunérée et valorisée (accès à un statut et participation à la société de consommation) nécessite la mobilisation de « nouvelles » règles partagées ainsi que l’affirmation d’une identité individuelle et collective assumée.

Manuel Boucher.

Notes

[1Qui fait remonter les initiatives

[2Cf. L. Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, éd. Liber/Raisons pratiques, 1999

[3Qui est imposée d’en haut

[4Pour J. Donzelot et al. la démarche américaine voudrait rétablir la confiance entre les gens alors que la démarche française voudrait rétablir la confiance envers les institutions

[5(5) « Le déclin des institutions participe de la modernité elle-même, et pas seulement d’une mutation ou d’une crise du capitalisme. (...) Souvent, on attribue au déclin des institutions et à leur décadence des tares qui relèvent en fait des inégalités et des injustices sociales les plus évidentes bien plus que d’anomie. » (F. Dubet, Le déclin des institutions, Paris, éd. du Seuil, 2002, pp. 372-376)

[6Cf. G. Rocher, introduction à la sociologie générale, Tome I, Montréal, éd. HMH, 1968.

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