Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Extrait du « Nouvel Observateur » du 17.02.05 : « Je me souviens d’Arnaud ».
Clarisse Martin (*), 40 ans, est professeur de gestion. De 1993 à 2003, elle enseignait dans un lycée professionnel en zone d’éducation prioritaire, près de Versailles.
« La situation s’est réellement aggravée au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, "fumer" pour des élèves - surtout à partir de la première - est aussi normal, aussi anodin que d’allumer une cigarette ou de prendre une bière. D’autant plus qu’on leur dit partout qu’il n’y a pas de dépendance. En classe, on repère facilement celui qui commence à "fumer". Il se met à manquer souvent. En cours, il a les yeux rouges, il s’endort. Quand vous lui posez une question, il rêve, il n’a pas l’air de comprendre. C’est un poids mort. Je l’adresse généralement au médecin scolaire. Parfois, il reprend le droit chemin. Parfois, il décroche tout à fait : il a accumulé trop de retard.
Je pense à Arnaud (*).
A 20 ans, il était en terminale. Un élève aux yeux clairs, très mal dans sa peau, très triste. Mais par ailleurs fin, intelligent, qui avait du répondant en classe... enfin le matin ! Après le déjeuner, il était complètement amorphe. Il fumait entre midi et deux. Un vrai gâchis. En début d’année, il était seul à se droguer. Mais en décembre il avait fait des émules. Ils étaient huit à dix - uniquement des garçons - à tirer sur des joints. Au lycée, nous nous sommes alarmés. J’ai demandé à rencontrer ses parents. Son père était journaliste, sa mère parlait trois langues. Ils étaient au courant, mais impuissants. Arnaud nous a promis d’arrêter. Il a fait une cure de désintoxication. A la rentrée des vacances de Noël, il semblait aller mieux. Puis il a replongé. Après un accident de Mobylette, il est revenu par intermittence, puis plus du tout. »
(*) Les noms et prénoms ont été changés.
Propos recueillis par Caroline Brizard.