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"Pour un service public d’éducation « élitaire pour tous ». Intervention de Bernard Bier aux 3èmes rencontres nationales du GFEN sur l’accompagnement scolaire (27 et 28 avril 210)

29 avril 2010

Pour un service public d’éducation « élitaire pour tous », par Bernard Bier, INJEP ; OZP
Troisièmes Rencontres nationales sur l’accompagnement organisées par le GFEN, 27-28 mars 2010

S’interroger sur l’accompagnement dans son lien avec le droit commun éducatif conduit à questionner tant les politiques publiques que les choix éducatifs et les pratiques pédagogiques des acteurs. Le point de vue exprimé ici est double, d’une part professionnel (l’INJEP) et d’autre part militant (l’OZP).

Une ambition éducative malmenée

Deux lieux d’observations et un même constat sur les mutations en cours : le système éducatif est mis à mal.

Premier lieu : l’Institut National de la Jeunesse de l’Education Populaire (INJEP) est un établissement public, né en 1953, longtemps rattaché au ministère de la Jeunesse et des Sports. Il est aujourd’hui (depuis mars 2010) sous tutelle du ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives.

L’évolution de son institution de rattachement est en soi assez intéressante. En effet, longtemps Jeunesse et Sports, souvent sous la forme d’un secrétariat d’Etat, dépendit du ministère de l’Education nationale ; sa direction de la jeunesse fut parfois intégrée à celui-ci (par exemple sous le ministère Luc Ferry). Il fut parfois aussi ministère de plein exercice.
Jeunesse et Sports fut rattaché en 2008 au ministère de la Santé ; et sa Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), en 2009, au Haut commissaire à la Jeunesse et aux solidarités actives.

Ces glissements d’une inscription institutionnelle éducative - même si on pouvait en pointer les limites - à une institution relevant de la santé ne va pas sans interroger. Ne peut-on y voir, à l’instar de la sociologue Patricia Loncle, une « sanitarisation de la jeunesse », parallèle à une « sanitarisation de la question sociale » , qui serait comme un retour aux approches hygiénistes de la jeunesse à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Celles-ci étaient alors particulièrement prégnantes dans le champ des placements des jeunes des villes à la campagne, qui allaient donner naissance aux colonies de vacances, et qui ne glissa que progressivement vers des approches éducatives. De même ce n’est qu’en 1937, que « Léo Lagrange met définitivement un terme à la conception hygiéniste du sport et des loisirs en élargissant l’action éducative de la nation au champ des loisirs », écrit l’historien Nicolas Palluau .

Assisterait-on à un retour en arrière ? Certains le disent.

Et le glissement vers les questions d’insertion sociale et professionnelle dans la dernière configuration ministérielle interroge tout autant. Certes pendant longtemps, la question de la jeunesse au-delà du champ scolaire fut pensée sous le seul angle des loisirs (Jeunesse et Sports était de fait un ministère des loisirs) en occultant les questions d’emploi, de logement… Mais aujourd’hui, même si les services déconcentrés « jeunesse et sports » (regroupés avec d’autres services de l’Etat au sein d’un service de la cohésion sociale au 1er janvier 2010 dans le cadre de la RGPP) ont encore la tutelle sur les accueils collectifs de mineurs, il semble que l’Etat se désengage de l’éducatif (non scolaire) comme de la jeunesse, recentrant son action sur une classe d’âge (pré-adolescents et adolescents) et sur les territoires et problématiques de la « cohésion sociale ». Et ce sont aujourd’hui les collectivités territoriales qui prennent en compte le continuum éducatif et ont une approche plus « universelle » de la jeunesse, comme le souligne un rapport récent du sénateur Lambert au premier ministre, Le rapport entre l’Etat et les collectivités territoriales (de décembre 2007) .

Quant à l’INJEP, qui connut au cours de 2009, une profonde restructuration (avec suppression de 50% de sa masse salariale), ses missions ont quelque peu évolué : le nouveau décret fondateur lui donne comme mission l’observation des pratiques et des attentes (sic !) des jeunes et des politiques en direction de la jeunesse. Cette confusion entre attentes et besoins nous semble à cet égard fortement significative et s’inscrire dans une évolution du service public devenant service à l’usager (voire au client) - à rapprocher des mises en garde de Philippe Meirieu, parlant de l’école dans un texte qui n’ont guère perdu de leur actualité : « L’école entre la pression consumériste et l’irresponsabilité sociale » .

Second lieu d’observation, l’Observatoire des Zones prioritaires (OZP). La terminologie de Zones prioritaires est conforme à ce qu’elle était dans le projet d’Alain Savary : il s’agissait de mettre en place des projets de territoire, associant les acteurs locaux… Cette dénomination de zones prioritaires perdure au temps de la première relance (Jospin 1990), avec la volonté forte d’associer Zep et Contrats de ville. C’est après la seconde relance (Royal 1998) que l’on assiste peu à peu à un glissement terminologique : c’est l’éducation qui devient prioritaire .
Avec le lancement des Réseaux Ambition Réussite (RAR) par de Robien en 2006, le territoire extérieur à l’école n’est plus mentionné ; ce resserrement occulte les partenariats et les projets de territoire ; et le coordinateur de ZEP est progressivement transformé en secrétaire de comité exécutif RAR - glissement lui aussi significatif, tant en regard des dynamiques locales souhaitables mais dorénavant occultées que de l’assignation de professionnels qualifiés qui ont eu un temps un rôle moteur à des tâches d’exécution.
Les ZEP existent-elles encore ? On peut aujourd’hui légitimement se poser la question.

Un autre aspect me semble devoir être souligné. Les années 1980 avaient connu un mouvement parallèle : décentralisation et déconcentration des services de l’Etat. Sans mythifier ce modèle, et sous certaines conditions, il y avait là l’opportunité, dans le cadre de politiques territorialisées (impulsées par l’Etat et déclinées sur les territoires), d’ajuster un projet éducatif fort aux spécificités locales à partir d’un diagnostic partagé et d’un partenariat local. L’Etat se retrouvait impulseur, « animateur », pour reprendre l’expression de Donzelot . Nous assistons aujourd’hui à un phénomène décrit sous le terme d’« Etat à distance » par le politologue Renaud Epstein : le mouvement de décentralisation se poursuit, mais l’Etat se retire des territoires, se reconcentre, et fonctionne de plus en plus, à l’instar de ce que l’on observe dans les politiques européennes, par agence (ANRU, ACSE, ARS…) et par appel à projets. Autrement dit, loin de la possibilité de réponses adaptées et pertinentes aux problématiques d’un territoire, il n’y a que la possibilité de rentrer dans le cadre de l’appel à projets et de recevoir la manne publique, ou d’en être exclu : renforcement donc des inégalités territoriales, entreprise de normalisation (avec le modèle des « bonnes pratiques », modélisables et transférables), le primat du quantitatif, d’un quantitatif qui n’a plus besoin d’une réflexion problématique en amont et occulte tous les apports des sciences sociales et les études et recherche concernant le champ, le modèle des sciences dures devenant dominant (cf. à ce sujet le débat récent et animé, lors d’une rencontre de l’OZP, sur la « malette des parents » lancée par le recteur de Créteil dans le cadre des expérimentations Hirsch et « évaluée » par… l’Ecole d’Economie de Paris .

 

Voir ci-contre en format PDF le texte intégral de l’intervention de Bernard Bier, membre du CA de l’OZP ;

 

Les actes de ces journée seront publiés ultérieurement dans la revue du GFEN "Dialogue".

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