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Crise de l’école ? Un nouveau projet pour l’école du XXIème siècle.
Priorité à l’éducation ? Tout le monde est pour, de même que tout le monde veut mettre fin à l’échec scolaire, faire reculer la violence et les incivilités, permettre à tous les jeunes de sortir du système éducatif avec une qualification, etc.
Mais dès qu’on quitte le domaine des généralités, des déclarations de principe, dès qu’on arrive au concret, au comment faire et à ses détails, le consensus de façade s’effrite. Tout cela nécessiterait des débats approfondis, qui aillent à la racine des choses. Débats difficiles, période électorale ou non, d’autant qu’il n’est pas sûr que les termes en soient bien posés, lorsque les effets de manche et les déclarations pseudo-lyriques prennent le dessus sur la discussion sur des réalités, et à partir des réalités.
Point de départ obligé : un état des lieux.
Comment va l’école en France ?
D’un côté, on a envie de dire : il n’y a jamais eu autant d’élèves et d’étudiants, ni autant de diplômes délivrés, et dans la majorité des établissements on travaille paisiblement. Mais d’un autre côté, comment ne pas voir que l’école reste, à travers ses dispositifs d’enseignement, d’évaluation et d’orientation, une machine à sélectionner et à reproduire la stratification sociale.
L’échec scolaire persiste et s’enkyste. Il frappe toujours plus fortement les jeunes issus des familles les plus modestes.
Une sélection à l’envers tend même à s’aggraver ; on le voit en comparant le recrutement des différentes sections de lycée, ou bien celui des classes préparatoires aux grandes écoles avec celui des universités, ou encore, au sein des universités, celui du premier cycle avec celui du troisième cycle.
Assurément, l’école n’est pas responsable de la fracture sociale, mais elle contribue encore trop à la reproduire, voire à la creuser plus encore.
-> Si l’on veut être fidèle à l’idée d’école républicaine qui donne des chances à tous, il nous faut aller de l’avant et à travers ce débat public que nous appelons de nos vœux, bâtir un nouveau projet pour l’École du XXI ème siècle.
– Un projet qui rende plus lisible la portée politique de la mission de l’école et de la mission des enseignants.
– Un projet qui concerne bien sûr les élèves et les étudiants, mais aussi tous les citoyens, et pas seulement comme contribuables.
– Un projet qui agrège la dynamique militante de tous les acteurs de l’éducation :
-> Aujourd’hui les questions qui concernent l’école et l’éducation sont, la plupart du temps, confisquées par l’Éducation Nationale.
-> L’école doit trouver sa place au sein du débat public.
-> Tous les citoyens sont concernés par ce débat.
Aujourd’hui, devant l’accroissement exponentiel des connaissances et les nouvelles missions qui lui sont confiées (maîtrise des nouvelles technologies, éducation juridique, éducation à la santé, apprentissage des langues à l’école primaire...), l’école ne sait pas définir ce qu’il est essentiel d’enseigner durant la durée de la scolarité obligatoire.
A travers ses dispositifs d’évaluation et d’orientation, elle survalorise un nombre restreint de connaissances et de compétences, qui sont vides de sens pour un grand nombre d’élèves.
Or, l’humanité, pour se construire, s’est de tous temps appuyée sur des talents, des connaissances, des savoir faire divers.
La société de demain aura toujours besoin de cette diversité.
Dans la logique actuelle de son fonctionnement, affirmer que l’école s’intéresse au développement de ces diverses intelligences, que toutes les disciplines sont importantes et que tous les savoirs, toutes les compétences jouissent d’une égale dignité, est d’une profonde hypocrisie.
Par exemple :
– les évaluations en CE2 ou en sixième ne portent que sur le français et les maths à l’écrit ; - l’admissibilité au concours d’entrée à l’IUFM ne repose que sur une épreuve de culture générale écrite et un devoir de maths ;
– la technologie est trop souvent considérée comme une sorte d’enseignement de remédiation pour les élèves en échec scolaire.
-> Il faut définir, après une large consultation nationale, les éléments du socle culturel de base que tous les élèves devront avoir acquis à l’issue de la scolarité obligatoire. Les procédures d’évaluation mises en place tout au long de la scolarité obligatoire doivent être en cohérence avec ce socle culturel de base.
-> L’école doit s’affirmer également comme un lieu d’identification et de valorisation des diverses formes d’intelligence et permettre à tous de découvrir les domaines dans lesquels ils pourront s’engager.
-> L’enseignement de la technologie doit être développé au collège, et repensé en utilisant les pédagogies actives.
-> L’interdisciplinarité doit être développée, dans la pratique quotidienne et dans les examens, et dans la formation des enseignants. Les travaux personnels associant plusieurs disciplines doivent être développés durant toute la scolarité.
Il ne s’agit pas seulement de donner une formation minimale à tous les petits Français et de construire une culture commune durant la scolarité obligatoire.
Il faut aussi, concrètement, amener les citoyens de demain à vouloir résister aux menaces qui pèsent sur la démocratie, il s’agit de lutter contre les dangers de l’exclusion et de contribuer à faire vivre ensemble des personnes d’origine sociale ou culturelle différente.
-> L’école doit se définir comme le lieu de construction de la solidarité humaine et d’apprentissage de la démocratie, et mettre en cohérence son fonctionnement global et les pratiques des enseignants avec les principes dont elle se réclame et les valeurs auxquelles elle se réfère.
-> La solidarité, l’entraide, la coopération, doivent se trouver au cœur de la vie des classes, au cœur des situations d’apprentissage, de la maternelle à l’Université.
Tous les enseignants manifestent le désir de former des citoyens instruits, autonomes, solidaires, responsables, conscients de leurs droits et respectueux de leurs devoirs. Mais comment rendre efficace l’enseignement ?
Les détracteurs de la pédagogie affirment que l’efficacité de l’enseignement dépend quasi exclusivement du niveau de maîtrise disciplinaire du professeur. La pédagogie ne serait qu’une affaire de talent personnel de l’enseignant, un don secondaire qu’il exercerait comme bon lui semble au nom de la " liberté pédagogique ".
Il n’est pas question, bien entendu, de contester l’importance tout à fait essentielle de la connaissance de la discipline enseignée, ni de remettre en cause la liberté de l’enseignant. Mais les travaux en didactique des disciplines et en psychologie cognitive réalisés ces dernières décennies montrent clairement que la façon dont les savoirs sont transmis conditionne largement leur acquisition.
L’attitude de l’enseignant, le regard qu’il porte sur ses élèves, les encouragements qu’il leur prodigue, le soutien qu’il leur apporte, les responsabilités qu’il leur laisse assumer, le statut qu’il donne à leur parole, les temps d’échange, de confrontation, de questionnement qu’il met en place... sont tout autant importants que la façon dont il aura articulé les savoirs présentés.
-> La réflexion pédagogique doit être affirmée comme un élément constitutif de l’enseignement et de l’éducation. La formation, initiale et continue, des enseignants doit accorder autant de place à la dimension professionnelle qu’à la dimension disciplinaire.
-> Les mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, qui bénéficient d’une riche et longue expérience dans ce domaine, doivent être associés aux diverses formations.
-> La recherche pédagogique doit être fortement développée, et ses acquis mis à la disposition des enseignants.
De nombreux textes nationaux et internationaux, et en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant, définissent les droits qui doivent être reconnus aux mineurs.
Or force est de constater que le statut d’apprenant, dans l’école française semble conférer à l’élève, quel que soit son âge, un statut d’irresponsabilité. Nombre de circulaires et de dispositifs qui permettent aux mineurs l’exercice de leurs droits (droit d’expression, droit d’information, droit d’association, droit de participation...) ne sont pas mis en œuvre.
-> L’école française doit placer la problématique des droits de l’enfant au cœur de ses pratiques et des projets d’établissement (Cette question des droits de l’enfant n’étant en fait qu’un élément de la problématique générale des droits de l’homme).
-> Les élèves doivent pouvoir bénéficier, dès la maternelle, d’un réel apprentissage actif de l’exercice de la liberté et de la responsabilité.
-> Le débat sur l’école doit identifier les blocages qui s’opposent à une évolution nécessaire.
Parmi ces blocages :
– la sacralisation d’un système d’évaluation et d’examens contraire à ce qu’a établi la docimologie, différent de ce qui se fait dans un grand nombre de pays développés, qui entraîne des pratiques souvent stériles telles que le redoublement, et ne prend pas en compte la capacité à réinvestir en dehors du cadre scolaire les connaissances et compétences acquises dans ce cadre.
– la définition du service des enseignants uniquement en terme d’heures de " cours ", ce qui marginalise toutes les autres formes d’acquisition des connaissances par les élèves.
– la focalisation trop courante du débat sur les seuls aspects quantitatifs et sur l’obtention de moyens supplémentaires, présentés comme un préalable à tout changement.
-> Le débat doit aussi chercher comment mettre fin à l’hypocrisie qui règne dans certains secteurs du système éducatif, par exemple dans les façons de contourner la sectorisation ou dans une inégalité dans les dotations en postes qui privilégie trop souvent les établissements ou les filières déjà privilégiés.
Mais il ne faut pas se tromper de débat : contrairement à ce que certains croient ou affectent de croire, l’école ne peut pas, à elle seule ni rapidement, corriger les effets du chômage, de décennies d’urbanisme ségrégatif, de la médiocrité des media, de l’évolution des mentalités vers toujours plus d’individualisme, de la marchandisation envahissante.
Mais c’est aussi en pensant à tout cela qu’il est urgent d’ouvrir le débat sur l’école.
Jacques George,
Jacky Beillerot,
Alain Bérestetsky,
Luc Bérille,
Maurice Charrier,
Gilles Ferry,
Claire Héber-Suffrin,
Marc Héber-Suffrin,
Claude Lelièvre,
Gilbert Longhi,
Philippe Meirieu,
Nicole Mosconi,
Claude Rebaud,
Dominique Sénore,
Georges Vigarello,
Jean-Luc Villeneuve,
Jean-François Vincent,
Thierry Volk,
Jean-Michel Zakhartchouk
Ce texte résume les idées proposées dans le Manifeste pour un débat public sur l’école, Éditions de La Découverte (10,50 €).
Vous pouvez participer au débat sur le site forum de discussion http ://www.occe.net/federation