> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Pauvreté, Aide sociale > Pauvreté et Aide sociale (Rapports officiels) > "Remarques complémentaires sur la petite enfance et la pauvreté dans le (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

"Remarques complémentaires sur la petite enfance et la pauvreté dans le rapport de la Fondation Terra Nova

27 septembre 2017

Remarques complémentaires sur le rapport "Investissons dans la petite enfance"
Fondation Terra Nova
Par Denis Clerc, Michel Dollé, le 26/09/2017

Synthèse
Terra Nova a publié en mai 2017 un rapport proposant au nouveau gouvernement d’accentuer la politique de l’investissement dans la petite enfance sous l’angle de l’égalité des chances. Ce rapport reprend partiellement un travail précédent, intitulé « La lutte contre les inégalités commence dans les crèches » (janvier 2014), en actualisant les propositions relatives aux crèches, et développe de nouvelles propositions sur l’accompagnement des parents et le rôle de la PMI.

[...]

2. Priorité aux enfants pauvres
Le Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de 2012-2017 prévoyait que : « À terme, la part de ces enfants dans ces structures devra au moins correspondre à la proportion qu’ils représentent parmi les enfants du même âge sur le territoire concerné, avec dans tous les cas un minimum de 10% » (1). Le rapport Terra Nova propose de progresser vers l’égalité des chances en retenant un objectif de création de 40 000 places de crèche dans les zones où l’offre est manifestement insuffisante. Cet objectif n’est guère différent (il est même inférieur) de celui retenu
dans la convention d’objectifs passée entre l’Etat et la CNAF pour la période 2012-2017 : création de 100 000 places dont 75 % dans les territoires prioritaires (un objectif qui ne sera pas atteint). Et le rapport ne retient plus d’objectif de présence minimale dans les établissements.

Or, viser l’égalité des chances ne devrait pas conduire simplement à un objectif d’accès aux crèches d’une proportion d’enfants pauvres égale à celle dans la population locale mais d’une proportion supérieure. Rien ne garantit que des places nouvelles créées dans des zones prioritaires profitent pleinement à des publics prioritaires (2). Il convient de remettre en avant ce critère de présence minimale en le précisant (quant à la durée de présence) et en assurant des modalités de contrôle et de sanction. Une telle priorité implique aussi de coordonner accueil collectif et accueil individuel, de sorte que, en situation de pénurie, les classes moyennes n’aient pas le sentiment qu’elles sont sacrifiées au bénéfice des pauvres.

3. Réduire le non recours
[...] Un des facteurs importants du non recours réside très certainement dans la distance culturelle entre les institutions, leurs personnels, et les familles défavorisées. C’est ce qu’expriment des parents en situation de grande pauvreté à propos de l’école, cités dans le rapport Versini (4) : « les parents vivant dans la grande pauvreté ont insisté sur les causes qui, selon eux, rendent difficile la rencontre avec
l’école : le regard que l’école (toute la communauté éducative) porte sur eux. Leur culture n’est pas prise en compte ni respectée par l’école, ce qui crée un grand fossé entre les savoirs familiaux de ces enfants (de milieux populaires et de la grande pauvreté) et les savoirs dispensés par l’école. » Cela vaut aussi pour les crèches. Ceci a des implications tant pour l’organisation générale que pour la formation des personnels.

Cette difficulté est plus grande encore pour les familles d’origine étrangère en raison de la non-reconnaissance de la culture et de la langue familiale par l’institution d’accueil. Ceci est très important, non seulement pour accroître la fréquentation, mais aussi pour le développement de l’enfant (en maternelle puis à l’école élémentaire) sous l’angle de la confiance en soi ou de l’acquisition du langage(5). Pour Marie Rose Moro (6), cette non-reconnaissance de la langue familiale est à la fois un « effacement de l’histoire des enfants, de leur langue maternelle, de leurs attaches, de leurs appartenances » et « un appauvrissement pour les enfants qui doivent renoncer à une partie d’eux-mêmes pour apprendre à l’école ». Il serait temps que ce sujet soit traité à fond et sereinement car l’égalité des chances concerne aussi ces enfants. La charte nationale de l’accueil du jeune enfant
énonce pourtant (point 3) : « Je me sens bien accueilli.e quand ma famille est bien accueillie, car mes parents constituent mon point d’origine et mon port d’attache ».

[...] 5. Articuler accueil des petits et maternelle
Le rapport se focalise sur la toute petite enfance (0 à 3 ans) avant l’entrée en maternelle. Ceci renvoie au découpage de responsabilités politiques et administratives entre le ministère des affaires sociales et celui de l’éducation nationale, qui a aussi des traductions sur le terrain local. Or cette césure
correspond très peu au processus de développement de l’enfant : par exemple, le développement de la socialisation, celui du langage, le renforcement (ou malheureusement parfois la destruction) de la confiance en soi , etc. se jouent de manière continue à cheval sur les deux systèmes institutionnels.

De plus l’existence de la scolarisation à deux ans de certains petits en maternelle interfère. Mieux coordonner les politiques au niveau central comme au niveau local, envisager aussi le développement de formations professionnelles communes devraient faire l’objet d’une attention particulière. Le retour à la semaine scolaire de 4 jours marque de ce point de vue un recul : comme l’accueil de la petite enfance, la maternelle doit viser le développement global de l’enfant et ne doit pas être, après la
crèche, la seconde marche du développement de l’inégalité des chances.

[...]
7. S’inspirer des autres, mais avec discernement
Pour améliorer la qualité éducative de l’accueil des jeunes enfants le rapport préconise le déploiement de programmes (« jeux d’enfants », « parler bambin ). Sans discuter de la qualité de ces programmes, cela ne constitue pas, à soi seul, une politique d’amélioration de la qualité éducative. Le rapport de Terra Nova aurait pu faire référence aux politiques suivies dans d’autres pays pour l’accueil et l’éducation des jeunes enfants, par exemple par le biais des études réalisées par l’Ocde, l’Unesco et l’Union européenne, nombreuses et bien documentées. Par ailleurs, il existe diverses expérimentations relatives aux processus qualité, réalisées dans différents pays européens qui auraient mérité examen. Le rapport s’appuie en effet sur des expérimentations (Perry Preschool et Abecedarian) aux États-Unis, pays dont les conditions sociales sont bien différentes et qui ne brillent pas par leur politique de la petite enfance.

Le rapport débute de manière tonitruante : « à quatre ans, un enfant issu d’une famille défavorisée a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant de famille aisée – parce que ses parents lui ont beaucoup moins parlé à la maison », affirmation partant « d’une étude célèbre sur le langage parlé et entendu par les très jeunes enfants dans des familles américaines, Hart et Risley (1995) ». Sauf que
ce chiffre provient d’une expérience menée auprès de 13 enfants issus d’un niveau social élevé et de 6 enfants de familles relevant de l’aide sociale : ont été enregistrés les échanges verbaux des enfants avec leurs parents, une heure par mois dans un lieu qui n’était pas leur maison, et ceci à partir de 7-9 mois jusqu’à 3 ans. Les 30 millions de mots sont donc une extrapolation de l’écoute d’une heure d‘échanges verbaux par mois pendant un peu plus de 2 ans, extrapolation obtenue par une
multiplication par 11 750 (car les enfants étaient supposés échanger avec leurs parents 14 heures par jour, 12 mois par an pendant 2,3 années).
Taille d’échantillon réduite, extrapolation hasardeuse, milieux sociaux très typés et, enfin, univers culturels bien différents : le chiffre de 30 millions est vendeur, mais pas forcément à prendre à la lettre. Le vocabulaire et les échanges verbaux des
pauvres avec leurs enfants petits sont sans doute plus limités que ceux des riches et les enfants de Bill Gates bénéficient sans doute de plus de facilités que ceux d’une famille monoparentale. Mais ne confondons pas écart et gouffre abyssal. Se rapprocher de l’égalité des chances n’est pas une tâcheimpossible : c’est à notre portée.

Extrait de tnova.fr du 26.09.17 : Remarques complémentaires sur le rapport "Investissons dans la petite enfance (6 pages)

Répondre à cet article