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Extrait du site « Calle luna », le 01.05.05 : l’école sécuritaire par Christine Maynard, professeur de français.
Depuis la fin des années 70, parallèlement à l’attaque continue contre les conquêtes sociales, au développement de la précarité et de la pauvreté et donc au rejet d’une proportion de plus en plus grande de la population dans ce qu’on nomme pudiquement des « difficultés sociales », l’Etat a pris directement en main la fabrication et la médiatisation du « sentiment d’insécurité ».
Ce sentiment est aujourd’hui assez communément identifié à l’insécurité elle-même pour servir de prétexte à légiférer et à déployer tout un arsenal sécuritaire. Y compris à l’école.
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3. Des chiffres et des faits divers destinés à alimenter des actes politiques.
L’Education nationale s’est donné, à partir de 1998, des outils qui prétendent recenser les cas de violence scolaire. Un logiciel, anciennement ABVI (Absentéisme et violence), devenu Signa (signalement), fonctionne à cet effet, alimenté par des chefs d’établissement qui font remonter à peu près tout et n’importe quoi. Les résultats rendus publics n’ont pour seules fonctions que de renforcer la paranoïa sécuritaire collective et de permettre aux responsables politiques de tirer des conclusions (1) : il faut bien que la nécessité d’une « pédagogie de l’autorité » prônée par les ministres successifs soit étayée par des « faits » (2). Le principe de Signa veut que tout acte qualifiable pénalement soit répertorié. Ainsi peuvent l’être : les noms d’oiseaux échangés dans les cours de récréation (insultes publiques, diffamations), les bagarres (coups et blessures), les larcins (vols), les graffitis (atteintes aux biens), et pourquoi pas maintenant les regroupements dans les halls d’entrée... Le logiciel évolue aussi au gré des préoccupations médiatiques, et les caractères aggravants tels que les motivations racistes ou antisémites des actes recensés y ont fait dernièrement leur apparition. On comprend sans peine que, selon la stratégie d’un chef d’établissement qui cherche à obtenir une classification particulière (ZEP, zone sensible) ou bien des moyens supplémentaires en postes de surveillants, ou au contraire à laisser croire que, grâce à « sa » gestion, tout va bien dans « son » établissement, les stratégies de recensements des actes sont très disparates entre établissements comme entre académies.
Ces faits et chiffres fort peu fiables sont montés en épingle par les médias ; le moindre incident dans un collège ou un lycée fait l’objet d’un reportage. Le phénomène de la violence scolaire est ainsi stigmatisé, exagéré et surévalué (3). Cette exagération fantasmatique de la violence à l’école et son approche par les faits divers sont sans doute médiatiquement et électoralement payantes ; de plus, elles accompagnent et permettent des dérives sécuritaires dans l’école et dans les quartiers les plus pauvres, et plus généralement la criminalisation des classes populaires.
4. La caporalisation de l’école : l’arsenal du Père fouettard.
Il n’y a pas d’argent pour l’éducation mais il est toujours facile d’en trouver un peu pour caporaliser l’école au nom du tout sécuritaire.
Les gouvernements successifs ont multiplié les « plans d’action » pour tenter de faire face à la « violence scolaire », sans rien toucher au fond des problèmes : des établissements à statut particulier ont été créés (dans les ZEP, Zones d’éducation prioritaire) avec quelques maigres moyens supplémentaires ; le contrôle répressif a été accentué par le recours qu’offrent les nouvelles technologies : utilisation de la biométrie (pour accéder à la cantine, que de plus en plus de parents ne peuvent même plus payer), de cartes magnétiques ; installation de caméras de surveillance, de portails électriques à l’entrée des établissements . Autant de gadgets inefficaces mais qui ont pour effet de limiter la liberté de circulation des élèves, des personnels et des parents et de rapprocher les établissements scolaires du modèle pénitentiaire.
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