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Maternelle à deux ans, éducation prioritaire et jardins d’éveil. Quels enjeux politiques ? Interview de Michel Waren par Tout Educ

2 février 2011

[...] Michel Warren dresse, dans un chapitre de l’ouvrage "L’école démocratique. Vers un renoncement politique ?", le constat d’un désengagement de l’Etat en matière de scolarisation à deux ans, par-delà l’affirmation nationale du principe de discrimination positive et l’affichage de l’éducation prioritaire...

ToutEduc : Vous interrogez le sens des orientations de la politique de scolarisation des enfants de deux ans, et les dynamiques qui sous-tendent les politiques actuelles. Dans quel but ?

Michel Warren : Mon travail se situe dans la continuité de mes recherches sur la territorialisation éducative, vue à partir de la scolarisation à deux ans. Le constat est amer, car dans certains territoires défavorisés, les inégalités sociales devant l’école se creusent. Entre 1980 et 2002, environ un tiers des enfants de deux ans est scolarisé en maternelle. Mais depuis 2003-2004, ce taux de scolarisation à deux ans chute de manière sensible. En 2009-2010, un sixième des enfants de deux ans fréquente la maternelle.

ToutEduc : Vous rappelez que l’histoire de la préscolarisation en France est marquée par la question de la lutte contre les inégalités…

M. W : Pendant tout le 19ème siècle, l’histoire de la préscolarisation est traversée par la question de l’éducation du peuple. Depuis les années 1980, elle s’inscrit dans une logique d’éducation prioritaire. Il s’agit d’étendre prioritairement l’accueil des deux ans aux écoles situées dans un environnement social défavorisé. Cette volonté de réduction des inégalités scolaires sur le territoire est affirmée dans la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (article 2, 2e alinéa). Cette politique, qui accorde une légitimité à la différence de traitement, a un objectif avant tout correcteur : elle lutte contre les inégalités, elle ne les inhibe pas dans leur genèse.

En février 2009, le directeur général de l’enseignement scolaire déclare : "Nous devons offrir, dans les zones les plus défavorisées, la scolarisation pour les enfants de deux ans des familles qui le souhaitent. C’est la consigne qui est donnée aux recteurs." Mais dans les faits, des données chiffrées contredisent cette déclaration. Cette diminution atteint de manière significative des territoires défavorisés : le rapport de la Cour des comptes (2008) souligne que dans le département de la Seine-Saint-Denis, le taux de scolarisation des deux ans est passé de 22 % en 1999 à 8 % en 2006.

ToutEduc : À quoi imputez-vous cette baisse de la scolarisation à deux ans en école maternelle ?

M. W : Cette baisse structurelle ne peut pas être réductible aux arguments de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) ; elle n’est pas uniquement liée à l’évolution démographique française. Elle traduit un paradoxe clair entre le déclaratif ministériel et le désengagement politique et budgétaire de l’État, malgré l’affichage de l’éducation prioritaire. Je fais une lecture en positif de la scolarisation à deux ans et dresse le constat parallèle d’un désengagement de l’État. L’angle est celui d’une évolution des positions et du positionnement des différents acteurs. L’école à deux ans n’est plus une priorité nationale.

[...]

ToutEduc : Les logiques politiques nationales en matière d’accueil des tout-petits semblent aujourd’hui davantage orientées vers la création des jardins d’éveil…

M. W : Alors que le taux de scolarisation des deux ans affiche une baisse depuis 2003-2004, l’État cherche à mettre en place d’autres structures d’accueil pour les deux-trois ans. En 2008, Nadine Morano, secrétaire d’État à la famille, encourageait la création de jardins d’éveil, qui a pour objet, selon la circulaire n°2009-076, de constituer "une réponse complémentaire adaptée à cette tranche d’âge", sans volonté de "se substituer à la préscolarisation à l’école maternelle". Ces jardins doivent s’inscrire "dans une continuité d’accueil depuis la naissance jusqu’à l’âge de la scolarisation". La secrétaire d’État s’est fixée pour objectif la création de 8 000 structures de ce type d’ici 2012 [Il n’y en aurait en réalité qu’une douzaine en 2011, voir ToutEduc, NDLR].

ToutEduc : Faut-il, à l’instar de certains mouvements d’opposition, voir dans ces jardins d’éveil la disparition programmée de l’école maternelle ?

M. W : Je ne crois pas à la disparition à moyen ou long terme de la maternelle. En revanche, il y a tout lieu de s’inquiéter de la baisse de la fréquentation de la maternelle par les deux ans.
Il faut avoir à l’esprit que la préscolarisation est tributaire de la volonté des maires de scolariser les tout-petits, des contraintes budgétaires des municipalités, des choix politiques et éducatifs au sein des inspections académiques notamment. Les communes ont des volontés différentes et des moyens différents. Il n’est pas sûr que dans les faits, les pouvoirs locaux seront en mesure de pérenniser l’esprit de la loi d’orientation sur l’éducation de 1989. A la clef : une augmentation des disparités territoriales et des inégalités sociales.
L’inscription en jardin d’éveil ayant un certain coût, on risque par ailleurs de voir se poser la question de l’égalité d’accès aux structures, avec, d’un côté, une école maternelle qui serait fréquentée par les enfants des classes populaires ; de l’autre, des jardins d’éveil réservés à ceux des classes moyennes et supérieures. Ces deux structures n’ont, bien évidemment, pas la même fonction.

ToutEduc : L’enjeu central de la scolarisation à deux ans serait aussi, selon vous, pédagogique et anthropologique…

M. W : D’après la même circulaire, le projet des jardins d’éveil doit porter sur l’accueil, le soin, le développement, l’éveil et le bien-être des tout-petits. Ces structures font ainsi penser davantage aux jardins d’enfants qu’à l’école maternelle, dotée d’une dimension éducative et d’instruction par les enseignants. L’école maternelle comporte une dimension éducative et sociale forte, basée sur le rapport à l’apprendre, tel que l’a défini Bernard Charlot. Il en va de la responsabilité des adultes que de considérer l’enfant comme un être "inachevé", ou plutôt en devenir, qui à travers l’éducation s’humanise, se socialise, entre dans une culture et devient un sujet singulier.
L’école à deux ans permet de développer le rapport au savoir chez le tout-petit, mais aussi son rapport aux activités et aux temps scolaires. L’enfant adopte et définit une triple posture : une posture d’élève, une posture vis-à-vis des autres enfants, une posture vis-à-vis de l’enseignant. L’enfant passe enfin d’un statut familial à un statut social. Il entre dans des logiques scolaires, intellectuelles et culturelles distinctes de celles de son milieu d’origine.

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L’école démocratique. Vers un renoncement politique ? BEN AYED Choukri (dir.), Armand Colin, 2010.

Extrait de touteduc.fr du 02.02.11 : Préscolarisation à deux ans. Quels enjeux politiques ?

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