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Échanges et controverses autour du livre : "La construction des inégalités scolaires" : compte rendu de la journée d’études organisée par le réseau RESEIDA, Vendredi 3 février - Université Paris 8 Saint-Denis

7 février 2012

Ce texte est issu de la plaquette de présentation de la journée et de la prise de notes durant les interventions

Le livre : La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et dispositifs d’enseignement, Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2011

Cet ouvrage est issu des travaux du réseau RESEIDA, qui vise à mieux décrire et analyser les processus de production des inégalités scolaires en matière d’apprentissage et d’accès au savoir et à la culture écrite. Croisant les regards et les questionnements didactiques et sociologiques, pénétrant au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, ses auteurs montrent en quoi la production des inégalités s’alimente à plusieurs sources :
 les situations et processus dans lesquels sont présupposés chez tous les élèves des dispositions et modes de faire que seuls les élèves familiers de l’univers scolaire sont à même de mettre en œuvre ;
 mais aussi des modes d’aide et d’adaptation aux caractéristiques (réelles ou supposées) des élèves qui, loin de contribuer à réduire les difficultés et inégalités scolaires, peuvent au contraire les entériner et les renforcer.

Coexistent ainsi dans les classes, d’une part, des modalités de « cadrage » très lâches de dimensions majeures du point de vue des apprentissages, d’autre part, des modalités de différenciation et de « cadrage » très contraignant de dimensions peu riches et peu productives. Les unes et les autres s’avèrent particulièrement pénalisantes pour les élèves de milieux populaires.

Les processus de production des inégalités scolaires apparaissent dès lors tissés de logiques hétérogènes tenant aux enjeux de savoir, aux usages du langage, à l’élaboration et au choix des tâches et supports de travail et aux conceptions que les enseignants se font de ce qu’il est possible et souhaitable d’enseigner à leurs élèves. La récurrence des observations et la convergence des analyses opérées dans des classes et des contextes socio-géographiques différents conduisent à aller au-delà de l’analyse de pratiques enseignantes, pour interroger les évolutions actuelles de la forme scolaire, des dispositifs, des genres discursifs et des formats d’interaction dont elle est aujourd’hui tramée. Ces évolutions semblent épouser, voire renforcer, le caractère implicite et socialement inégalitaire du fonctionnement de l’institution scolaire.

Le réseau RESEIDA (Recherches sur la Socialisation, l’Enseignement, les Inégalités et les Différenciations dans les Apprentissages)

Ce réseau regroupe, autour de l’équipe ESCOL-CIRCEFT de l’Université Paris 8, des chercheurs appartenant à une dizaine d’équipes de recherche et à différentes disciplines (sciences de l’éducation, didactiques, sociologie, psychologie), et qui s’intéressent centralement aux processus de production des inégalités sociales et sexuées d’accès aux savoirs et à la réussite scolaires, ainsi qu’aux politiques et dispositifs qui se proposent de lutter contre « l’échec » et l’inégalité scolaires.

 

Notes prises durant les interventions :

Présentation du réseau et de l’ouvrage collectif : problématiques, méthodologies, résultats et analyses, Jean-Yves Rochex, Équipe ESCOL-CIRCEFT, Université Paris 8, responsable du réseau Reseida

Le livre croise des regards didactiques et sociologiques sur la construction des inégalités au cœur des pratiques quotidiennes de la classe. Une approche relationnelle (les inégalités se produisent dans la rencontre entre des élèves inégalement dotés de ressources et disposition et des pratiques d’enseignement inégalement dotées de compréhension des différences de ressources dont disposent les élèves) et contextuel (les effets de la différence de statut des établissements scolaires). Un point de vue diachronique sur l’évolution globale des pratiques d’enseignement qui peuvent accroître encore les inégalités. Un livre appuyé sur l’observation de classes ordinaires, de grande section, de CP, en ZEP ou dans des écoles à dominante populaire durant toute une année scolaire. Des processus similaires ont pu être observés, par-delà la diversité des classes et des enseignants, d’ordre « infra-didactique ».

L’objectif est moins de donner à voir des pratiques, que de mettre à jour les processus de construction des inégalités scolaire.

Récurrence de phénomènes de différenciation à travers les modes d’interaction maître-élèves :
 Différenciations passives (indifférence aux différences) : la mise en œuvre des situations pédagogiques requiert de tous les élèves qu’ils mettent en œuvre des ressources dont ils ne disposent pas tous et qu’on ne se préoccupe pas de construire en classe. Du coup l’action de l’élève ne met pas forcément en œuvre l’activité intellectuelle qui permettrait de construire les apprentissages visés.
 Différenciations actives : modes d’adaptation des pratiques, des supports, des aides, qui ne les aident pas vraiment parce qu’elles morcellent la tâche cognitive au détriment d’un apprentissage réel, donnant une illusion de réussite immédiate mais ne construisant pas les savoirs nécessaires à la suite de la scolarité. On contourne la difficulté cognitive, sans jamais la traiter. D’où un gain cognitif très inégal pour les élèves de la même classe.

Ces 2 pratiques s’alimentent à des logiques hétérogènes :
 Tendance à la centration sur les tâches au détriment des enjeux de savoirs.
 Assouplissement ou brouillage de la classification entre savoirs scolaires et savoirs non-scolaires : en proposant des situations qui semblent proches des élèves, on risque d’opacifier pour les élèves les réels enjeux de savoirs
 Usage différencié du langage dans la classe : pour mémoriser, restituer, mais plus rarement pour élaborer la pensée ; réticence à utiliser les termes mêmes du savoir ; confusion entre le registre langagier de la communication ordinaire et le registre instructeur visant à décontextualiser et élaborer une pensée qui s’émancipe des objets particuliers pour viser l’universalité ;
 Souci de cadrage ou de sur-encadrement des aspects comportementaux, mais sous-encadrement didactique des enjeux de savoirs censés découler des situations.

2 questions se posent à l’issu de ce travail de recherche :
 Peut-on généraliser ces conclusions à partir des observations limitées mais qui montrent une réelle convergence de ces phénomènes ?
 Peut-on regarder des corpus de textes réglementaires et pédagogiques qui permettraient de conclure que ces phénomènes s’inscrivent dans une véritable évolution historique des pratiques d’enseignement, voire de ce qu’on pourrait appeler « la forme scolaire » ?

 

Questionnements à partir des notions de conceptualisation, de tâches et d’activités. L’introduction d’alternatives comme méthode. Aline Robert, didacticienne des mathématiques, Laboratoire André Revuz, Université Paris 7.

Point de vue d’une chercheuse sur l’apprentissage des mathématiques dans le second degré et sur la formation des enseignants du second degré.

Des différenciations analogues dans le second degré

Les activités mathématiques des élèves sont placées entre une conceptualisation et une organisation proposée par l’enseignant. L’activité de l’élève relève à la fois de ses gestes et actions observables et de ses processus intellectuels. Elle est donc inobservable en tant que telle.
Le degré de conceptualisation est défini par le fait que les élèves montrent une disponibilité aux objets intellectuels.
Les pratiques d’enseignement peuvent se lire au regard des activités possibles des élèves et du métier de l’enseignant avec ses contraintes.

Les différenciations naissent parce que les situations proposées ne provoquent pas les mêmes effets sur les élèves ou parce que les situations elles-mêmes sont différentes.

Les différenciations interviennent à 3 niveaux :
 Au niveau global de la situation proposée : la situation permet-elle d’accumuler, capitaliser, réinvestir. Souvent les enseignants se centrent trop sur le retenir, le refaire - au détriment du « transformer » qui permettrait le réinvestissement des savoirs dans de nouvelles situations. La cohérence explicite des activités est négligée.
 Au niveau de la proximité de la tâche prévue et de la tâche réelle : trop souvent segmentation des tâches, simplification à outrance du langage, le manque d’aide procédural dans les temps de recherche.
 Au niveau des aides apportées : des aides procédurales qui balisent le chemin ou des aides constructives qui partent de ce que font les élèves pour généraliser et institutionnaliser.
 Au niveau des élèves : comment se placer dans la ZPD (Zone proximale de Développement) de l’élève ? C’est très difficile tant qu’on « naturalise » les procédures, sans avoir suffisamment analysé les obstacles successifs à surmonter pour réaliser la tâche.
 Au niveau du langage : l’oral est trop souvent porteur d’ambiguïté.

Comment se construisent ces différenciations à l’insu des enseignants ?

Que veut dire « à l’insu de l’enseignant » ?
Une double approche pour analyser les pratiques : imbriquer les choix de contenu, de gestion, l’adaptation aux contraintes institutionnelles et au contexte de la classe en interrogeant en même temps le niveau d’organisation et les gestes professionnels.
Cette approche majore les groupes professionnels et la manière dont les groupes s’adaptent aux contraintes et aux contextes, en réponse aux postures et dispositions que montrent les groupes d’élèves.
C’est très difficile de passer au-delà de cet « insu », voire déstabilisant... Les gestes professionnels nécessaires ne peuvent pas s’improviser à partir d’une simple prise de conscience de l’enseignant. Il faut construire du générique, entre le particulier et le général. Il faut s’appuyer sur le travail de groupe des élèves. Cela a des effets, mais pas sur tous les élèves. Entre paix scolaire et vigilance didactique on doit construire des intermédiaires, des étapes.

Quelles alternatives ?

Interroger les pratiques existantes pour voir quelle potentialité elles ont et quels risques différenciateurs. Repenser la formation en termes de proximité avec les pratiques réelles des enseignants.
Le socle et les compétences ne sont-ils pas une source de nouvelles illusions ? Le travail à venir pourrait porter sur la question de déterminer des marges de manœuvre conditionnelles qui prennent en compte les acteurs, les institutions et les acteurs dans leur institution.

 

De l’insu des élèves et des enseignants à l’insu des chercheurs : questions pour tous, Yves Reuter, didacticien du français, Équipe Théodile-CIREL, Université Lille III

Les accords avec le livre :

 La recherche doit viser à comprendre comment l’enseignement produit des inégalités
 Avoir une approche relationnelle et contextuelle
 Les modalités de la recherche : on doit passer du temps dans les classes, la durée des observations est primordiale ; s’interroger sur la façon de fonder les résultats
 La réflexion sur les concepts : la « forme scolaire », les dispositifs, « les modèles sociaux d’élèves
 Les résultats produits sur les mécanismes potentiellement producteurs d’inégalités d’apprentissage

Les interrogations et les désaccords :

 Pas de mise en discussion des didactiques, peu de discussions entre didactique et sociologie
 Le cadre disciplinaire n’est pas clair. Soit on est dans un point de vue disciplinaire, soit on veut être au-delà mais qu’est-ce que c’est alors ?
 Pas de référence à Charlot sur le rapport au savoir
 Pas de référence à J.-F. Alté qui explicite la notion de malentendu
 Pas de référence à Michel Brossard sur la psychologie de l’échec scolaire
 Pas de référence à Marcel Laine sur les modes de travail et les stratégies pédagogiques
 Sur quoi sont fondés les résultats ? Il y a globalement des mécanismes de différenciation, mais est-ce que c’est à l’insu des maîtres ? mais est-ce qu’il y a différenciation en termes d’apprentissage entre les élèves ? On ne peut qu’en faire l’hypothèse...
 Le livre dénonce une « pédagogie contemporaine » mais peut-on passer des pratiques à une « doxa ». Effet de confusion avec les pédagogies « nouvelles » ou « actives »
 Mais que propose le livre comme alternative ? Y aurait-il des pratiques égalitaires à mettre en place ?
 Le livre n’explicite pas suffisamment les concepts de savoir, de culture, de littéracie, de secondarisation (genre premier et genre second), la différence entre langue ordinaire et langue scolaire (existe-t-il un « genre discursif scolaire »)
 Que veut dire décontextualiser ?

Ce que nous pensons fondamental :

 Sur la notion de dialogue entre les disciplines au niveau didactique et avec la psychologie et la sociologie : il faut construire le dialogue sur la précision disciplinaire des questions de recherche, et sur ce que chaque discipline ne peut pas éclairer de son point de vue
 Il faut travailler sur les variations des disciplines scolaires, en terme de configuration disciplinaire liée au moment du cursus, à la pédagogie, à la filière (cf Astolfi et les niveaux de formulation)
 Notion de conscience disciplinaire qui permet de voir comment chaque acteur (maître et élève, voire parent d’élève) reconstruit la discipline
Complexité des manières de faire, de dire et de penser des acteurs.
 Quelles sont les caractéristiques des contenus scolaires ? Quelle est l’articulation entre l’institutionnel et le pédagogique ? Quelle est la diversité des modes de travail pédagogique ? Quels sont leurs effets ?
 La dimension du travail empirique : il faut analyser aussi les cultures des élèves et réfléchir à ce qu’on peut en faire.
 Il faut croiser les méthodes quantitatives et qualitatives, observations de classe et productions d’élèves ainsi que questionnaires et entretien. Sinon comment dire que ces mécanismes se mettent en place à l’insu des acteurs.

 

Comment varient les pratiques et inégalités scolaires ? Quelles possibilités d’étudier ces variations ? Sylvain Broccolichi, sociologue, Équipe RECIFES, Université d’Artois

Le livre se focalise sur la classe, mais ne dit rien sur ce qu’il y a autour dans les univers institutionnels, professionnels et sociétaux. Son intérêt est de mettre en évidence des récurrences dans la manière dont la classe construit les inégalités.
Mais n’y a-t-il pas forcément des différenciations dans l’interaction du maître avec les élèves ? Il y a une vraie difficulté des professionnels à faire avec les différences des élèves, que ce soit lorsqu’ils les ignorent, que lorsqu’ils en tiennent compte.

Le livre montre les récurrences de pratiques différenciatrices, mais d’où viennent-elles ? Comment l’état du système scolaire dans la société actuelle produit-il ces modes de faire différenciateurs récurrents ?

Le livre invite donc à aller plus loin dans l’analyse des variations des pratiques selon la catégorie d’enseignants, selon les contextes, selon la trajectoire sociale des enseignants mais aussi selon leur parcours professionnel. Comment se combinent ces influences qui malgré leurs disparités construisent malgré tout des récurrences.

Il y a donc un double chantier pour appréhender la construction des inégalités scolaire : construire des outils, des catégories pour penser les pratiques professionnelles en articulation avec la compréhension de ce qu’elles font sur les élèves en termes d’apprentissage.

La recherche doit assumer sa part dans la production des inégalités. Si elle veut contribuer à faire bouger les lignes, elle doit construire le dialogue entre les disciplines de recherche pour éclairer la pratique de la manière la moins partielle possible.

 

Entrer dans les tâches scolaires par les savoirs : quels dilemmes pour les enseignants des écoles ? Patrick Picard, responsable du Centre Alain Savary, Institut Français de l’Éducation, ENS Lyon

Comment faire dialoguer la recherche avec les métiers intermédiaires (coordo, IEN, chef d’établissement) pour produire des ressources : c’est la problématique du Centre Alain Savary.
Question de rôle idéologique pris par certains acteurs sur l’éducation qui ne sont pas les enseignants mais des acteurs idéologiques qui semblent parler pour les enseignants.

Il y a 3 pressions sur l’école :
 La pression néolibérale qui transforme le métier d’enseignant
 Le système éducatif est mis au défi d’une énorme élévation du niveau de savoir et de compétences des élèves
 La fin du cadre national de formation des enseignants

Le métier nous dit que le couple « pédagogues vs traditionnels » n’a pas de sens sur le terrain.

Les enseignants débutants rencontrés ne ressemblent pas forcément à ceux du livre.

Comment construire de nouvelles relations entre la recherche et les métiers intermédiaires de l’éducation pour accompagner la transformation des pratiques professionnelles en dialoguant avec ce qu’en dit la recherche.

compte-rendu rédigé par S. Kus, coordonnateur RRS dans le Rhône

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