Journée OZP 2012. Yves Reuter pointe le paradoxe de la position de l’institution face à l’innovation (compte rendu Tout Educ)

4 juin 2012

Une institution peut-elle promouvoir l’innovation, encourager des fonctionnements hors-norme sans reconnaître par là-même que son fonctionnement "normal" ne lui permet pas de fonctionner ? Et peut-elle de surcroît marginaliser ceux qui innovent depuis longtemps ? Yves Reuter estime qu’il y a là un double paradoxe. Il intervenait en conclusion de la journée de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires) consacrée à l’innovation pédagogique et le chercheur a détaillé à cette occasion les conclusions du rapport qu’il a rendu au HCE (Haut Conseil de l’Ecole). Celui-ci lui avait demandé d’évaluer l’application de l’article 34 de la loi Fillon, qui autorise l’expérimentation.

Il constate que chacun des niveaux hiérarchiques (ministre, administration centrale, rectorats, chefs d’établissement, enseignants, élèves) a sa logique, qu’il n’existe pas de lieu où ils puissent échanger "hors statuts institutionnels". Il ajoute que plus on monte dans la hiérarchie, plus ils savent ce qu’il faut faire, et moins ils vont sur le terrain. Il constate que les expérimentations ne portent jamais sur les contenus d’enseignement, comme s’ils n’étaient pas susceptibles d’être interrogés, et rarement sur la participation des parents. Les élèves y sont décrits par leurs manques, leur niveau, leurs incivilitésL La définition de l’innovation, ou d’expérimentation, varie grandement d’une académie à une autre, d’un responsable à un auttre. En dernière analyse, "est une expérimentation ce qui rentre dans la liste que signe le recteur".

Dans un atelier qui avait précédé cet exposé, les participants avaient souligné que l’innovation ne devait pas se résumer à des "bonnes pratiques", et qu’elle impliquait un changement de regard sur l’enfant. Mais elle se heurte à plusieurs écueils, dont la mauvaise connaissance de ce que vivent les enfants, notamment dans les situations de très grande pauvreté.
Autre difficulté, que Y. Reuter souligne également, l’institution ne garde aucune trace des pratiques, plus ou moins innovantes, qui ont pu être mises en place ici ou là. Or si les enseignants et les chefs d’établissement s’en vont, et leurs initiatives avec eux, les familles restent, et ne comprennent pas qu’on supprime ce qui marchait.
Enfin, il y aurait urgence à articuler innovation et formation continue. C’est par des débats entre pairs, avec l’apport de la recherche, que les initiatives prises dans un établissement peuvent trouver un écho dans un autre.

Extrait de touteduc.fr du 02.06.12 : L’Education nationale peut-elle promouvoir l’innovation sans se contredire ? (journée de l’OZP)

 

La Lettre de Tout Educ du 6 juin revient sur cette intervention d’Yves Reuter et y joute un commentaire personnel sur l’innovation.

Le chercheur Yves Reuter, lors de cette journée de l’OZP, a souligné les paradoxes de l’article 34 de la "loi FIllon" qui favorise l’innovation et l’expérimentation. Une institution peut-elle poser comme condition de son bon fonctionnement qu’on déroge à sa norme ? De plus, dès lors qu’elle assure la promotion de l’innovation, elle est obligée de lui donner une définition et un cadre. Mais comme elle n’y parvient pas, est finalement considéré comme "innovation" tout ce qui figure sous ce titre dans une liste que signent chaque année les recteurs !
Rappelons ici les contradictions d’un système qui peut reconnaître la qualité d’une innovation et supprimer les moyens correspondants. En son temps, le CNIRS, chargé en 2000 par Jack Lang de promouvoir l’innovation (et supprimé par Luc Ferry deux ans plus tard), avait fait l’expérience des contradictions et des conflits internes à l’administration. Rappelons encore que l’Education nationale s’est souvent montrée incapable de supprimer ou de pérenniser des structures expérimentales, comme les lycées autogérés dont plus personne ne gère l’articulation avec le reste du système, et qui survivent sans perspectives...
Ajoutons enfin que les enseignants disposent, dans leurs classes, d’une immense liberté, qu’ils y font à peu près ce qu’ils veulent (hors châtiments corporels, propagande politique ou religieuse et pédophilie), et que, bien plus que les programmes, c’est le bac et les diverses évaluations nationales qui tendent à normaliser les pratiques, chacun devant préparer ses élèves à affronter ses collègues, donc une norme que définissent des textes officiels, mais plus encore un "imaginaire collectif".

Une directrice d’école maternelle, intervenant lors de cette journée de l’OZP, raconte comment elle a accueilli temporairement une collègue qui lui a fait part de son étonnement devant des fonctionnements pédagogiques qu’elle trouvait hors-norme, et qui semblaient parfaitement banals, ordinaires, à toute l’équipe. Elle n’en discutait pas le bien fondé, mais elle était profondément angoissée par l’idée même qu’on puisse ne pas se conformer aux usages majoritaires.

A supposer que réussite et innovation aient systématiquement partie liée (ce dont on peut raisonnablement douter), une institution peut-elle lutter contre le courant dominant en son sein ? La question de l’innovation ne se pose pas, chacun peut innover, dans sa classe ou dans son établissement. C’est sa promotion qui fait problème. Elle passe sans doute par une réforme de la formation continue, de façon à encourager les échanges entre pairs, avec des apports de la recherche, et sans que la présence de la hiérarchie impose un certain conformisme.

 

Le rapport d’Yves Reuter sur "les expérimentations article 34" est téléchargeable sur le site du HCE, ici

 

L’OZP devrait publier prochainement un compte-rendu exhaustif de la journée sur son site.

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