Journée OZP 2012. "Expérimentations/innovations : éléments de bilan de l’article 34", par Yves Reuter (Univ. Lille 3)

14 juin 2012

texte issu de la prise de notes durant l’intervention

Voir en ligne : Lire le "RAPPORT SUR LES EXPÉRIMENTATIONS LIÉES Á L’ARTICLE 34 DE LA LOI D’ORIENTATION ET DE PROGRAMME POUR L’ÉCOLE DE 2005" dirigé par Yves Reuter sur le site du HCE

Journée nationale OZP : 2 juin 2012

Expérimentations/innovations : éléments de bilan de l’article 34

par Yves Reuters ,
professeur d’université et responsable du
Laboratoire Théodile-CIREL, Univ. Lille 3,
auteur d’un récent rapport au HCE sur les expérimentations (loi de 2005)


La demande de ce rapport a été faite par le HCE suite à une recherche de cinq ans menée par Yve Reuter sur une école Freinet.
Il a demandé 6 mois de négociation avec le HCE puis 6 mois de travail et nous a amenés à poser certaines questions sur la conception de la recherche et sur ce qu’est un rapport.

Le HCE voulait qu’on leur dise ce que valait l’article 34, comment il était appliqué et quels effets cela avait. Mais les effets sur les élèves ne sont pas facilement évaluables…

L’article 34 permet l’expérimentation dans le cadre du projet d’école ou d’établissement pendant 5 ans et sur autorisation des autorités académiques avec une évaluation annuelle par le HCE (en théorie, mais en pratique le HCE a attendu cinq ans pour se soucier de cette évaluation). Cet article peut donner lieu à des interprétations différentes.

Le rapport s’est appuyé sur un corpus de documents très divers (sites et documents), sur des transcriptions d’entretiens formels (CARDIE et équipes en expérimentation) et informels (besoin d’anonymat d’un certains nombre d’interlocuteurs).
Les différents niveaux du dispositif on été investigués : ministre – DGESCO et DREDIE – recteur et CARDIE – responsables d’établissements – enseignants -partenaires. Faute de temps, nous n’avons pas pu interroger els élèves, ce ne semble avoir dérangé personne.
Investiguer dans l’Education nationale est compliqué. La transparence n’est pas le point fort. Chaque niveau a sa logique propre, des variations existent à l’intérieur de ces niveaux, mais chaque niveau ignore la logique des autres niveaux.

Au niveau national, la DREDI est très désireuse de faire des chose, et a des idées bien précises sur ce qu’il faut faire.
Au niveau académique, c’est le recteur e qui joue le rôle déterminant, avec une grande variation dans la tolérance aux initiatives locales.
Les CARDIE, qui sont nommés par le recteur, sont majoritairement des IA-IPR, ce qui contribue à marginaliser le primaire (on a eu peu de remontées de ce côté-là), Ils ont soit un discours managérial soit un discours de démocratisation scolaire.
Les chefs d’établissements sont soit pour, soit contre, soit ignorants du dispositif, avec une volonté d’amélioration du fonctionnement de l’établissement, ou une logique de gestion, voire une logique individuelle de carrière
Les enseignants veulent pour certains améliorer les choses pour les élèves, mais aussi parfois survivre, ou sont eux aussi dans une logique de promotion de carrière (ceci étant dit sans aucun jugement de valeur).Certains visent une reconversion dans le privé. Ceux qui sont entrés récemment dans l’innovation, avec de grands espoirs, sont souvent déçus. D’autres expérimentateurs, n’ayant pas attendu l’article 34 pour innover, sont moins déçus car ils travaillent dans le durée.

On relève une grande diversité entre les académies, au niveau du nombre, du type et de l’ampleur des expérimentations, ce qui cadre mal avec le mythe de l’unité de l’Education nationale, Les dossiers de projets font de 1 à 150 pages, le nombre d’élèves concerné va de 10 à 150. Certains lieux sont beaucoup plus ouverts que d’autres à l’extérieur.

 

Les grandes tendances :
 Les expérimentations concernent souvent un seul établissement, rarement un réseau (peu de projets sur le lien école-collège), et se situent plutôt dans un environnement urbain populaire et défavorisé.
 L’enseignement privé, qui ne souhaite pas qu’on se mêle de ses affaires, est peu représenté.
 L’implication des parents est difficile à cerner et peu visible (elle représente environ 15% des actions).
 Les enseignants sont plus ou moins volontaires, les élèves eux ne sont jamais consultés et apparemment pas très heureux d’être expérimentés.
 Les références sont rares, à part les textes prescriptifs (circulaire), avec des affrontements sur le socle commun. Les références théoriques sont souvent générales et anciennes (Freinet, Aristote…). On note la quasi-absence de références didactiques.
 Les élèves sont souvent présentés par les enseignants en termes de manque ou de transgression. L’appartenance des élèves aux catégories populaires et la pauvreté sont considérés comme un problème en soi. L’innovation apparaît alors comme un moyen de survie.
 La réduction des moyens et l’incertitude sur leur pérennité sont une question très sensible et sont souvent présentés comme une perte de dignité des enseignants et un manque de reconnaissance de l’administration, un peu atténués par les articles de la presse régionale.
 Les fonctionnements normaux de l’Education Nationale, les problèmes internes entre expérimentateurs et non-expérimentateurs, la lourdeur du travail demandé expliquent une bonne part de cette lassitude.
 La pédagogie apparaît aux enseignants comme le grand levier de changement, ce qui tranche avec la vision présentée par le discours médiatique.
 L’idée qu’il faut d’abord ramener l’ordre dans l’établissement avant de penser à faire autre chose est la plus répandue. Mais est-ce si évident ? Ne faudrait-il t-il pas plutôt tenir les deux bouts ?
 Au final, les bilans sont mitigés et certains expérimentateurs déçus. Les effets positifs sur les élèves semblent décliner à partir de la 6ème.

 

Ce rapport souffre d’une grande incertitude évaluative :
 L’accès des chercheurs aux informations est difficile. Il faut des lettres d’introduction. L’institution n’ pas de mémoire (les documents ne sont pas conservés).
 Le nombre d’expérimentations varie selon les bases de données de 100 à 700. Nul ne peut en donner le nombre réel.
 La définition de ce qu’est une expérimentation varie selon les acteurs et les acteurs utilisent certains mots de manière imprécise : « dérogatoire », « nouveau », expérimentation, innovation
 Les critères d’évaluation de départ sont rarement ceux qui servent au moment des évaluations.

 

Des éléments de conclusion
 Les expérimentations sont assez peu innovantes : on pense, par exemple en travaillant en groupes de niveau, qu’on fait une expérimentation à partir du moment où on essaie quelque chose qui ne se pratiquait pas dans l’établissement.
 Dans nombre de dossiers, la catégorie « élèves de milieux populaires » est décrite comme un problème en soi.
 La situation dans les territoires abandonnés est catastrophique.
 Les jeunes collègues sont sans outils et sans illusions.
 Les « vieux expérimentateurs » souffrent d’usure.
 On peut difficilement s’appuyer sur ceux qui pourraient être réellement aider, les acteurs expérimentés, dont le capital d’expérience est bradé.
 On ne constate pas de remise en question critique du contenu des programmes.
 Aucune articulation n’existe entre l’expérimentation et la formation initiale et continue.

 

Au cours du débat, Yves Reuter porte quelques jugements sévères sur l’Education nationale :
 Plus on monte dans la hiérarchie, plus on est persuadé qu’on sait mieux que les autres et moins on voir ce qui se passe sur le terrain, ou alors on y va en groupe.
Et tous ceux du bas pensent que ceux du haut ne pensent qu’à les embêter.
- Il n’existe pas de lieux qui permettraient un travail inter-métiers au-delà des positions hiérarchiques de chacun.
 On relève un double paradoxe : l’institution scolaire crée des dispositifs qui dérogent au fonctionnement normal pour continuer à fonctionner et marginalise ceux qui expérimentent depuis longtemps.
 On pourrait dire aussi, déclare Jean-Claude Emin, que l’institution crée des dispositifs dérogatoires dans les milieux difficiles pour pouvoir continuer à fonctionner normalement ailleurs.

Compte-rendu rédigé par Stéphane Kus, coordonnateur RRS à Saint-Priest (Rhône

 

Voir aussi Journée OZP 2012. Yves Reuter pointe le paradoxe de la position de l’institution face à l’innovation (compte rendu Tout Educ)

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