> II- EDUCATION PRIORITAIRE (Politique. d’) : Types de documents et Pilotage > EDUC. PRIOR. TYPES DE DOCUMENTS > Educ. prior. Positions de chercheurs et d’experts ou ex-responsables du MEN > Concertation. Contribution de Pierre Merle (IUFM de Bretagne) : Le bilan (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Concertation. Contribution de Pierre Merle (IUFM de Bretagne) : Le bilan de l’EP. Une question scientifique et politique (14 p.)

1er septembre 2012

Le débat sur la refondation nécessite un bilan. Celui-ci est difficile à mener pour des raisons scientifiques et plus encore politiques. Un tel bilan est un préalable à l’émergence d’une refondation de l’éducation prioritaire qui se donnerait pour objectif deux changements essentiels relatifs aux modes de financement et aux modalités d’intervention auprès des élèves en difficulté scolaire.

[...] La refondation se heurte à une triple difficulté.

Dans la période budgétaire actuelle, « donner plus à ceux qui ont moins » impose de réduire les avantages dont bénéficient les
établissements les mieux dotés, voire de leur donner moins. Les travaux économétriques de
Piketty et Valdenaire (2006) ont montré, dans une recherche de grande qualité
méthodologique, que la légère politique de ciblage des moyens, actuellement en vigueur en
faveur des ZEP (taille moyenne des classes de 21,9 en ZEP, contre 23,3 hors ZEP), permet de
réduire d’environ 10% l’écart de réussite entre ZEP et non-ZEP. Cet écart pourrait être réduit
de 40% si l’on mettait en place un ciblage fort avec une taille de classe moyenne de 18,0 en
ZEP et 24,2 hors ZEP. L’augmentation d’un élève par classe dans les établissements hors
ZEP, sans effet sur le niveau de progression des élèves hors EP, ne présente pas de difficulté
technique mais est politiquement difficile car elle se heurte aux intérêts des établissements
hors EP et à leurs personnels si bien que l’immobilisme l’emporte sur cette possibilité
effective de changement à coûts constants.

La seconde difficulté d’une refondation tient à ce que qu’il est usuel de nommer, quel
que soit le domaine considéré, le sentier de dépendance ou la dépendance au sentier,
constitué par des structures organisationnelles, des paradigmes, des idéologies, des routines et
pratiques des acteurs et des éléments techniques tels que des pratiques comptables. Ces
structures organisationnelles et mentales sont d’une grande inertie et conditionnent le
changement de façon à ce qu’il soit compatible avec l’existant, voire tendent à renforcer les
structures présentes plutôt que de les changer. Adopter une comptabilité qui remplisse mieux
ses missions de connaissance et de pilotage du système éducatif, simplifier les modes
d’intervention de l’EP, supprimer les labels, différencier davantage les effectifs des élèves par
classe selon leur niveau scolaire, doter les établissements en difficulté d’options attractives,
réduire les différences d’options entre établissements, sont des propositions réalistes qui ont
l’avantage de ne pas augmenter le coût global. Elles se heurtent toutefois à l’obstacle peu
visible du sentier de dépendance. L’histoire de l’éducation prioritaire depuis 1981 est une
illustration emblématique de la force de celui-ci. Ni la gauche ni la droite ne sont parvenues à
reprogrammer réellement le logiciel d’action de l’EP conçu en 1981.

Enfin, la dernière difficulté est de repenser la politique de l’EP dans le cadre général
de la politique éducative. Le collège unique présente à ce titre un modèle d’action qui a
montré, notamment en Finlande, qu’il était une source d’efficacité et d’équité supérieure aux
autres formes d’organisation scolaire. Mais, en France, le collège unique n’a plus d’unique
que le nom (Felouzis, 2009) en raison de la multiplication des options et du niveau élevé et
croissant de la ségrégation intercollèges (Merle, 2012). La politique éducative repose moins
sur le principe du collège unique que sur deux mots clés - différenciation et individualisation -
souvent problématiques. D’une part, la politique d’individualisation et de différenciation est
en partie concurrente à la politique du collège unique si bien que le paradigme de l’action
éducative est double et, pour cette raison, devient ambigu, voire contre-productif. Ainsi, la
polysémie de la politique d’individualisation et de différenciation permet de donner plus à
ceux qui ont plus (Merle, 2012). D’autre part, lorsqu’elle est évaluée de façon rigoureuse,
l’intérêt de l’individualisation n’est pas forcément démontré. A titre d’exemple, la politique
du « Coup de Pouce Clé », aide individualisée au profit d’écoliers de CP en difficulté scolaire,
n’a pas montré son efficacité en termes de progrès dans les apprentissages des élèves (Goux,
Gurgand, Maurin, 2011). Les politiques structurelles ciblées, telles que la scolarisation à deux
ans ou la réduction du nombre d’élèves par classe dans les établissements où les difficultés
sont les plus grandes, demeurent pour la recherche scientifique, tant nationale
qu’internationale, les politiques éducatives les plus efficaces. Ces politiques devraient être
prioritaires.

Si la refondation actuellement promise se réduisait, en 2012 ou 2013, à une nouvelle
relance de l’éducation prioritaire, comparable à celle de 1997 ou de 2006, il s’agirait d’une
manifestation emblématique de la difficulté à repenser les modalités d’action en faveur des
élèves en difficulté et d’un renoncement à une politique de réelle redistribution des moyens.
L’enjeu n’est pas seulement scolaire, il engage aussi l’intégration ou l’exclusion des
populations scolairement et socialement déshéritées et, in fine, la cohésion et le devenir de la
société française. L’adage hugolien de 1847 - Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une
prison - demeure toujours d’actualité tant, au cours du précédent quinquennat, les portes des
écoles se sont fermées et celles des prisons ouvertes.

Extrait de refondonslecole.gouv.fr du 25.08.12 : La refondation de l’éducation prioritaire. Obstacles et perspectives

Répondre à cet article

1 Message